dimanche 11 février 2024

Siciliano

Paolo, 1





 


Je faisais la vaisselle de mon déjeuner et je pensais à ma mère. Sûrement parce que j’avais mangé mes fonds d’artichauts farcis dans une de ses assiettes, une opaline bleutée que j’aimais beaucoup. Mes artichauts s’y tenaient un peu à l’étroit, parce que c’était une assiette de dessert, mais je la prenais instinctivement à chaque fois et je boudais les autres. Il me la fallait inconsciemment par besoin de douceur, par carence et pour me replonger dans mon histoire.

Nous les hommes, on ne s’encombre pas du genre d’assiette, ni de l’assortiment des couleurs des draps et des oreillers, mais en matière de sentiments, il nous faut des stimuli pour secouer la torpeur et l’oubli. L’oubli de nous-mêmes. 

 

J’étais l’aîné de ma mère, son confident, son chéri et dans son esprit, le plus fort de tous. C’était certes une véritable énergie qu’elle m’insufflait, mais aussi beaucoup de questionnements et de doutes. 


 

-       L’opulence ouvre toutes les portes mon fils. Toutes. Et je compte sur toi pour l’atteindre. Les bons sentiments, le cœur vaillant … je veux bien, mais il vaut mieux être malade et riche que malade et pauvre. Mon frère s’offrit des années de vie grâce à cela. Je le sais. A chaque malaise, il courait se réfugier dans la meilleure clinique, faisait vérifier tous les moteurs, les retapait le cas échéant et en sortait comme un coq et un sou neuf, se pavanant et brillant au soleil. 


 

Je fus biberonné à ce discours, le matin, le midi et le soir. Et le jour où je fis sa connaissance, je décidai en mon for intérieur que ce serait elle. Elle m’attira par son aisance, ses manières et sa propension à élever les autres. Flair de Siciliano. 

 

 

 

A quarante ans, le Siciliano alla à l’hôpital rendre visite à sa mère, il essuya fort discrètement une larme au coin de l’œil, quant à l’intérieur c’était le déluge de Noé. Je ne l’avais jamais vue alitée, mais toujours s’affairant derrière ses fourneaux. Et elle aimait cela sans le savoir. C’était la maison et la table et tout le monde à nourrir.

 

-       Tu aimes mes macaronis, dis-le petit garnement !


 

Elle ne voyait plus d’un œil et avait un fort risque d’amblyopie. Je voulais lui donner le mien et ne plus avoir la gorge aussi serrée. La Mamma, c’était de l’amour pur, mais aussi beaucoup de silences partagés, de souffrances insupportables exprimées dans des regards appuyés. Je voulais prendre sa tête dans mes bras et la couvrir de bénédictions, moi l’athée indécrottable, pour lui signifier que la vie continuait et que le soleil brillait au dehors.


 

En vieillissant, elle avait perdu cette intimité avec moi. Peut-être, l’impressionnais-je. Ou alors c’était de me voir installé dans ma vie, avec femme et fils. Je ne saurai dire. Ce jour-là, elle me demanda de l’Arabica, son café de prédilection. Il était près de 20 heures et je partis faire le tour des rares torréfacteurs ouverts à cette heure-là. Je mis près de deux heures pour lui en ramener et elle me toucha pudiquement le bras en guise de merci. Ce geste silencieux m’avait souvent fait pleurer dans mes moments de solitude, après sa mort. C’était comme si de me voir marié l’empêchait de me toucher, comme si devenir un homme et non plus un garçon mettait des frontières entre nous. Freud avait vu juste. La Mamma, sans la raison, le rationalisme, je voudrais dire, aurait été une affaire presque d’inceste. 


Un amour puissant et sans nul autre pareil. Siciliano.







 

À suivre













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