mardi 13 février 2024

Siciliano, 2

 Paolo, 2







La Mamma n’avait plus toutes ses dents et je lui émiettais le toast à la tapenade et au thon que je lui faisais manger par petits bouts. Elle devait se demander pourquoi ce n’était pas un minestrone bien de chez nous. 

 

Ma femme, elle, regardait en préparant la salade de fruits et en souriant, mais je devinais son étonnement intérieur. Chez elle, on remettait tout en marche, les cheveux, les dents, les oreilles et tout ce qui battait de l’aile. 

 

« Pourquoi la faisait-il manger ? Elle n’était pas grabataire ? Pourquoi la classait-il sénior impotent ? »

 

Peut-être parce que c’était dans mes gènes de Siciliano que d’assumer ma mère à la moindre petite faiblesse. 

Peut-être parce que ma mère s’abandonnait à moi, tout naturellement, à la première défaillance. 

Peut-être parce que nous acceptions d’être des humains et des mortels et que nous n’étions pas de la race des dieux faiseurs et bâtisseurs. 

 

Elle n’était tellement pas dans cette optique que notre fils - qu’elle serina à la liberté - était toujours au loin et ne s’enquerrait que de la praxis de sa mère.


 

-       Alors, ton projet actuel, maman ?


 

Elle ne l’aurait certainement pas laissé faire. Ce n’était pas possible. D’ailleurs, elle mourut debout. Et il en mourut de désespoir. C’était son premier rendez-vous avec la faucheuse et il ne supporta pas. 

 

Et il décida de m’ignorer et de ne me voir qu’épisodiquement, se préparant une douleur moindre à ma mort à-venir. 


 

« Merci mon fils, mais je vivrai encore. Parole de Siciliano. »



 

Ma mère, cette femme de mon enfance, cette grande Sage de mon âge adulte, je la vis toute sa vie debout, vaquant à ses occupations, les traditionnelles et toutes celles inventées dans les périodes creuses. Sauf au dernier quart d’heure et cette chute qui la plia en deux. Ma mère si belle avec ses grands yeux bleus et son rire tout en affection. 

Et puis, ma femme, qui lui offrait des soutiens-gorge, pour mettre en valeur sa poitrine.

 

Et pourquoi le « bien faire les choses » serait moins humain et moins important que les besoins basiques et vitaux, que les fourneaux, que les corvées domestiques ? Je trouvai cela fort amusant. Et le jour où je vis ma mère coiffée, maquillée, les ongles vernis, s’apprêtant à aller dîner dehors, je me raclai la gorge si fort que des larmes coulèrent de mes yeux. 

 

Ce n’était plus la Mamma, mais une Dame du monde qui sortait dîner, elle qui connaissait tous les secrets de la cuisine sicilienne. Je fus impressionné et intimidé. Elle prit un port de tête que je ne lui connaissais et me tança vertement : 


- Je ne suis pas destinée à faire la cuisine toute ma vie !


Pardon Maman, pardon !

 

 








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