mercredi 23 juin 2021

Nous ne nous aimerons plus





Timide jeune femme, accompagnant sa belle-mère à une cérémonie de mariage familial. C’était au milieu du siècle dernier, cette époque si belle et si riche et si pudique des amours corporels, si pudique des regards même de désir, surtout de désir. 


Jeune femme apprêtée, belle, discrète et fine. Aux côtés d’une Mimi si fière de sa belle bru. Deux femmes, un homme, de l’approche, les débuts d’une histoire de famille. 

 

Aimez-vous mes enfants, aimez-vous ! La vie est si courte.






 

L’histoire de S.S, l’histoire de Sa et de son beau ténébreux, donateur et conciliant. Que faire pour saisir cette intimité sans trop s’immiscer, sans dénaturer les êtres et les situations, sans faire du sur-beau ?

Regarder les vieilles photos, les photos jaunies par le temps qui broie tout, inexorablement. Le passé est toujours de couleur sépia.



I.

 

Voilà une très jeune fille, d’une grande beauté. L’œil lumineux, la peau laiteuse, les joues cerise, le nez fier, le sourire vrai et éclatant, les dents en perles. Elle avait appris qu’ils venaient demander sa main, qu’il serait avec sa nonno, sa mère, ses zie, ses sœurs et quelques amis très proches. Elle s’entendit avec Sofia, de deux ans son aînée, pour mettre toutes les chances de leurs côtés pour l’entrevoir et le passer au peigne fin. Vieux stratagème duquel découle l’accord ou le désaccord. Seule la mère recevait comme il se devait. Peut-être une de ses aînées mariées ou même déjà mère. Toutes les autres feraient de l’acrobatie de toutes parts pour donner le maximum de détails sur le physique, la mise, la démarche. D’en haut, de derrière les rideaux, d’en bas, de la fenêtre de l’autre côté …

Les frères, en rogne, avaient déserté la maison. Sa était la dernière née et qu’on osât demander sa main alors qu’elle sortait à peine de l’enfance les faisait frémir de rage. Mais la mère avait donné son accord pour faire connaissance, après les avoir consultés, évidemment. Mais même … « cette espèce de chose qui a le cran d’imaginer un seul instant que Sa quitterait sa famille … pour lui ou pour n’importe quel homme … »

 

Et ce fut le coup de foudre. A quinze mètres ou à vingt-cinq, personne ne sait. Lui savait sa beauté, son éducation, son nom. Elle ou ses sœurs ou So, sa plus proche, ont vu l’homme : brun, cheveux noirs lisses, nez fin, sourire et dents éclatants, élégance et sobriété, sourire au coin, homme beau comme un Italien, racé et digne, homme dans tous ses gestes, sa stature, ses mots et sa retenue. Un jeune premier de cinéma, des films américains des années 40, avec réalisateurs à patronymes italiens.

 

Ils ouvriront bien des bals vite fait, éblouissants de beauté. Elle se laissera mener par les bras protecteurs de cet homme qu’elle aimât plus que tout au monde. Sa, la noble, la timide, la belle, la fidèle. Évidemment. 


L’amour n’autorise pas l’infidélité sauf mobile grave.










II. 


Été 48


La cérémonie fut sobre, élégante, fine. Ils partirent vers chez eux, la maison familiale en réalité. C’était de rigueur. Y vivaient le père, la mère et la grand-mère. Ils avaient pris une chambre qu’il avait aménagée, un petit salon coquet. En cadeau de mariage, elle eut une parure en platine, diamants et perles. Une pièce d’orfèvrerie d’une grande méticulosité. Ils s’installèrent au salon avec leurs proches. Sa mère passa la nuit chez eux comme de coutume. Et c’était rires, eau d’amandes, friandises. Lui ne pensait qu’à la prendre dans ses bras mais était trop fin pour laisser deviner son empressement. Tous voulaient l’admirer encore dans sa keswa* de mariée, ses bijoux. Elle était magnifique de lumière naturelle et de vraie pudeur.

 

Quand ils entrèrent dans leur chambre sous les regards amusés, pleins de sous-entendus des proches, il l’aida à se déshabiller, doucement, en gentleman qu’il était, sans forcer les gestes, lui demanda si la cérémonie lui plut. Elle acquiesça de la tête. Il lui caressa les cheveux, la joue et lui dit qu’il était tellement heureux de l’avoir dans sa vie, pour toujours.

Il prit ses mains, les embrassa langoureusement.

 

-       Vos mains, je les aime, dit-il.

 

Son cœur battait à tout rompre. Elle avait peur qu’il n'entendît son pouls. Aucun son ne sortait de sa bouche et elle avait du mal à le regarder dans les yeux. Lui la regardait de partout, son front, ses paupières baissées, ses joues, sa bouche, ses oreilles, son cou… 

 

-       Voulez-vous garder vos bijoux, Madame.

 

Elle acquiesça. Elle sentait la fièvre amoureuse de ses yeux sur elle. Elle était assise sur un fauteuil au pied du lit nuptial, les mains croisées sur sa combinaison intérieure de satin blanc. Un genou au sol, les mains sur ses joues, il lui releva le menton de façon à plonger dans ses beaux yeux.

 

-       Vous êtes mienne, lui murmura-t-il, en lui souriant.

 

Une nuit d’amour délicat, de gestes doux, de baisers dans le cou, sous l’oreille et au coin des lèvres. Nous sommes dans une époque révolue aujourd’hui, où un homme essaye d’amener son épouse vers lui, en douceur et patiemment. Nous sommes dans une époque révolue où la jeune femme n’a pas le pouvoir des gestes d’amour, ni leur connaissance et encore moins leur savoir.

 

Il l’emmena vers leur lit, lui embrassa le front, les lèvres, le cou, lui murmura des mots d’adoration et de louanges de sa beauté. Mari et femme, nuit de noces à peine parlante. Gestes chauds non sans le souci de la lenteur. Mots d’amour à l’oreille. Poitrine effleurée, regardée, caressée, embrassée, poitrine galbée, de satin blanc. 


Nuit d’amour sincère, d’homme sincère et fin, de femme résistante d’abord et progressivement consentante et aimante. Les gestes libres viendront avec le temps et la contention de la pudeur. 


La nuit de la première fois dans toute sa splendeur et son silence parlant : hymne hyménéen.



Note explicative :

*Keswa : Tenue de mariée entièrement brodée main, constituée d'un haut et d'un pantalon bouffant qui faisait jupe.







Hommage à toi Sa, que j'aimais tant. Je suis beaucoup toi, je le sais.


 


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