mardi 15 juin 2021

Les guerrières du Tableau noir

 






Pensées ce soir à ces soldates des salles de classes, ces dispenseuses de savoir, ces Femmes structurantes d’antan, maîtresses et enseignantes d’époques révolues. Pensées à celles d’aujourd’hui qui sculptent les êtres dans l’honnêteté et l’abnégation à l’époque de l’indécence, souvent, des réseaux sociaux et du factice promu style de vie.

 

Hommage à Mme Sophie B., Mlle Joubert, Mme K., à M. K, à M. B, à tous ceux que je n’ai pas connus, à tous les autres, ici et ailleurs. Mme K. dont le fils se nomme Othello, un choix significatif et logique au vu de sa passion pour la mythologie et le théâtre. 


Ces dames droites, sévères et justes, ces hommes investis. Époque des tableaux noirs, de la craie blanche, rouge, verte et bleue, du chiffon-barre … Époque de la date transcrite au tableau en attaché, le titre du cours …


 

                                                           Jeudi 3 mars 1960  


                                                Leçon de grammaire 


 

Hommage à ces enseignants des époques passées, des époques difficiles, des époques de boue et de gadoue, des époques de cahiers avec une quatrième de tables de multiplication …


Des soldates droites et rigoureuses, combatives et fortes. Debout, toujours debout à mener classes et logis, écoliers et enfants, donneuses de savoirs, de morales et de détermination. 


Je me souviens de ces femmes minces et grandes en blouses grises, à 10 heures, heure de la soupe lait-épinards. Leur souvenir, aujourd’hui, adoucit le goût atroce de cette exécrable potée. Oui, aujourd’hui parce que peu sûr qu’à l’époque, elles étaient saisis par les écoliers tremblants.

 

Femmes et hommes, constructeurs, ingénieurs, jongleurs d’approches pédagogiques. Femmes levées à 5 heures du matin, épouses et mères et invariablement, rigoureusement, strictement, foncièrement maîtresses d’école, maîtresses d’application, pourvoyeuses de mots, de lignes, de tracés, de chiffres, d’images … Tableau de feutre vert sur chevalet, collages de lettres et d’images. Murs de classe tapissés de tableaux, de schémas, de frises …


Et puis l’armoire de la maîtresse ! Ce coffre-fort sacro-saint si majestueux ! Bien plus impressionnant que tous les motards dont s’affublent les chefs d’État pour faire taire. Armoire debout, armoire imposante, armoire austère aussi mais si digne. Armoire de peu de mots, de silences et de droiture. Armoire dont l’approche passe par le mérite. Je pense à ce lointain petit garçon qui avait la responsabilité du placard de Mme D., qui restait avec elle après le cours, qui était aussi responsable du registre et du chiffon-barre. Un bienheureux, à la droite de la maîtresse. Un enfant craint, un enfant admiré.

 

Ces maîtresses-femmes debout donnaient le matin, l’après-midi et nourrissaient le soir. Dans le re-commencement, investies d’une mission, celle d’éduquer, d’élever, de construire, de former, de corriger, d’approfondir …

 

-    Bien, très bien, recommence, efface, soigne, corrige, réécris, souligne, consulte, apprends, récite, refais …

 

Les Lagarde et Michard du passé, ouvrages du passé eux-mêmes, inépuisables, emplies, remplies, indicateurs, indicatrices. Apprendre est la seule chose qui vaille. Apprendre pour se lever, se relever, marcher droit, avancer, tenir et recommencer. Apprendre est un bonheur les jours de pluie, de vent et de soleil.

 

Hommage à cette maîtresse d’école, formatrice et inspectrice. Femme forte, femme debout, femme animée de faire multiple, femme sévère et femme juste. Femme de peu et d’abondance, celle que l’on a en soi et qui fait de nous une Vraie nantie. Maîtresse et mère, charpentière et équilibriste, femme debout à toute heure dans la dignité et le don. Mère-courage, mère exigeante, mère en attente d’un retour du savoir : fais, accomplis, avance et regarde droit devant.

 

Hommage à ces écoles féminines en temps masculin, hommage à ces écoles féminines désencombrées de brides, d’obscurité et de billevesées, faiseuses de femmes et d’hommes, d’hommes vrais et travailleurs, d’hommes debout à leur tour et pourvoyeurs.

 

Respect, immense respect, considération à ces pionnières de la Connaissance, du don de son temps, de sa grise, de sa force et de sa volonté. Pour peu, bien peu, en retour. Mais pour des missions à mille ramifications, pour la dignité du Savoir, pour la fabrique des esprits.

 

Merci guerrières, merci soldates, merci lumière, merci ennemies de l’ignorance, du gigantisme réalisé, celui des êtres bâtis à la force de votre noblesse.


Je suis de vous, un peu vous, dans l'édifice Savoir, le plus beau des chantiers.






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