J’avais 14, 15 ans peut-être, je ne m’en souviens plus et l’inquiétude était quotidienne : vais-je pouvoir sortir de chez moi pour profiter de mon après-midi ? Ou sera-t-il là sur les marches à débiter son flot de paroles incessant comme presque tous les jours ?
J’avais une telle peur des ivrognes et des déséquilibrés de toutes sortes. Était-ce mes parents ou était-ce moi ? Qui avait gravé cette peur dans mon mode d’appréhension ? Étais-je déjà promue à n’échanger qu’avec ceux qui se prévalent d’une certaine stabilité spirituelle ? Je ne saurais le dire.
Il était grand de taille, avait une dignité certaine quelque part et même un air bon si ce n’était cette terrible peur. Il m’était déjà arrivé de le trouver à la même place en revenant chez moi et je faisais vite fait demi-tour.
C’était un rituel quasi quotidien. Il revenait de je ne sais quel abreuvoir totalement saoul, titubant et proférant des propos inintelligibles. Et parce qu’à tout moment, il était sur le point de s’écrouler, il se laissait tomber sur les marches de notre maison, par là-même où je sortais pour profiter de mon après-midi d’été.
16h, assez tôt pour être ivre mort mais c’était ainsi.
« Tu seras celle que je prendrai comme épouse à mon fils Kam. Ce sera toi et personne d’autre ! Kam, mon FILS, ton bonheur est là ! Je te l’apporterai ! »
Je tremblais de la tête aux pieds et courrais me réfugier chez Lili, mon amie. Jusqu’à ce qu’il partît.
Je ne sais comment son souvenir remonta à la surface, par quelle réminiscence, il me revint en tête, par quelle mécanisme ma mémoire le sélectionna … Je sais que cet homme, au milieu de son naufrage éthylique, dans sa nudité la plus totale, dans l’absence de son-surmoi castrateur, ne songeait qu’à ce qu’il possédait de plus beau pour lui : Kam.
Je crois aujourd’hui que son regard sur lui-même était mort en ce temps-là et que pour toucher le beau, le bon, il n’y avait que Kam et le bonheur de Kam.
Paix à vous Monsieur, vous étiez si touchant dans votre désespoir, si pathétique dans vos conditions et si humain dans votre ode à votre fils.
« Lui, ce sera quelqu’un ma FILLE, croyez-moi ! »
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