vendredi 12 avril 2024

Hannah A. et moi

 Par un très beau jour d'avril ...











La Bleue, invisible, dans toute sa splendeur. Et puis, peu de tables libres.

 

-       Je vous en prie, répondis-je, en souriant.

 

L’ambiance était feutrée, le piano bas, la lumière ocre. Le salon suffisamment grand pour qu’on s’y sente chacune dans son espace, sans promiscuité. C’était une Dame, peut-être d’un plus de soixante ans, fort discrète, de sa personne et de son élégance.

 

Je la sentis très peu commune et je sus que nous allions lier connaissance.

 

Et ce fut le cas.

 



Nous regardions toutes les deux vers la mer qu’on ne voyait pas, mais qu’on devinait. La nuit était intense dehors. Quelques lampes ocres en-dessous des arbres, semblait-il. Et beaucoup de silence intérieur, une sorte de désir de paix. 

 

On s’était vite regardé au début, rapidement et pudiquement. Et puis, on s’était partiellement entendu. Nous pourrions échanger. Nous le comprîmes.

 

-   Je suis juive, me dit-elle, d’une manière un peu impromptue. Juive tunisienne.

 

-     Je suis tunisienne, fis-je, dans un sourire. Absolument athée. S’il faut se prononcer sur ses croyances. 

 

-       Je suis athée aussi. 

 

-       Donc, vous êtes athée, non ?

 

-       Oui, mais il y a le poids de l’appartenance.

 

-     Je suis une femme, d’ici et d’ailleurs. Une mortelle, athée. Humaine et humaniste. Et je ne supporte pas les contraintes.

 

-       Je vous ai sentie intelligente.

 

-       Moi aussi, sensible, je dirai.

 

 

Rare manière de faire connaissance. Nous nous tûmes. Quand on a cinquante et plus, on a toute la latitude de vivre librement sans s’assujettir aux bienséances. Quitte à fréquenter trois personnes, à vivre par monts et par vaux, à bannir l’hypocrisie sociale - la diplomatie et le tact - à s’exprimer profondément en déployant sa pensée. 

 

-       Chez les juifs, il y a l’appartenance qui est primordiale. S’en défaire est un désaveu. Même athée, cela veut vous attraper. 

 

-     Nous avons tous été juifs, il y a fort longtemps. Après, soit c’est une appartenance sympathique et tendre. Soit, il y a le scalpel et la chirurgie. Surtout sous la contrainte. J’ai trouvé mon identité, personnellement. Je suis un être humain. Je vis et je mourrai. En cours de route, j’ai mis des enfants libres et fort sensibles. Une véritable architecture. Et là, je dis les choses, librement. 

 

-    Ici, je suis chez moi. J’aime. Mais je n’évolue que dans des endroits protégés.

 

-    Vous connaissez d'autres lieux, je suppose. Puisque vous êtes chez vous. 

 

-       Oui, mais je voudrais bien, revoir certaines places.

 

-   Le grand Mahmoud Darwich, exilé pendant des décennies, était retourné chez lui. En chemin, son cœur battait, ses tempes inspiraient, expiraient … En ses lieux, il eut une peine incommensurable, ce n’était plus ce qu’il y avait laissé.

 

-    Il faisait trembler la Knesset. Un immense poète-penseur. C’était la tension sûrement qui régnait là-bas.

 

-       Pas seulement. C’était la disproportion entre ses images mentales et la réalité. Même des siens propres. 

 

-       Vous ne m’encouragez pas à retourner chez moi, je crois.

 

-     Sauf si vous avez un regard neuf. Mais pour y retrouver la petite fille que vous étiez, il vaut mieux pas. 

 

-   Je vous ai dit le poids de l’appartenance, alors mon quartier de naissance et d’adolescence … 

 

-      Vous en êtes à 15 minutes. Imaginez-le. Ou allez-y en ayant bien en tête cinquante ans d’écart. A peu près ?

 

 

Elle sourit très gentiment.

 

-       A peu près, oui. Je suis en vacances chez moi.

 

-       Moi aussi, dis-je, en souriant. 

 

-       Je suis pianiste.

 

-  J’adore le piano. Je suis Scribe. Comme à l’époque de l’Égypte ancienne. 

 

-       Vous êtes incomprise, sûrement.

 

-        Non, pas tant que cela. Je persévère. Et puis, j’ai mon Cercle d’esprit et de cœur. Ceci dit, je suis passée du Cercle identitaire et familiale, un peu obligé, à celui des affinités et c’est de tout repos. Plus connivence, plaisir et peu de mots.


A suivre 







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