Aimer l'autre est affaire d'intelligence émotionnelle et rationnelle, d'humanisme ...
Crédit photo Christophe Granier, 2023
« J’ai tellement de choses à déterrer, à exprimer, à signifier !
Nous sommes deux alors, fit-je, en souriant.
Merci du pèlerinage de ce matin. Le lieu n’a pas complètement changé, en réalité … mais il est surtout vide des siens. Multiples, variés, affairés et souriants …
Il y a certes plus de voitures, moins de silence, plus de locaux administratifs … Les odeurs n’y sont plus ni l’ondulation des femmes en robe à pois allant à la mer … Vous avez raison, c’était un autre temps et le changement est inhérent à tout, la vie, les lieux, les hommes, les femmes … J’ai cru voir ma mère et ma tante au Café. Un beau mirage fulgurant …
Fermez les yeux, ils y sont tous encore. Moi, j’écris le passé sans trop m’y attarder, le présent et surtout l’avenir. L'avenir est ma patrie.
Vous êtes la Pythie de Carthage, me dit-elle, avec une vraie gentillesse. Vous vous rappelez de la petite porte bleue ? De la maisonnette dans cette ruelle serpentée ? Toute la vie intérieure, je l’ai vue en m’attardant quelques minutes. Ma mère, ses fourneaux, mon lit … Jusqu’à sa colère quand nous dormions jusqu’à midi … J’avais sa voix à l’oreille. Ce bleu et ce blanc, ces ruelles dallées, le silence d’alors dans les moments de torpeur…
A midi, de 14h à 17h …
Nous sommes un livre, des pages, des marques et des empreintes.
C’est joliment énoncé, dis-je, dans un sourire.
Cet éloignement est déchirant. Je comprends. Il a été pensé ailleurs, vous le savez bien. A dessein. Effacer la mémoire et construire une bulle. Vous êtes chez vous. Je suis chez moi. Nous partons et revenons. Personne n’avait le droit de toucher à notre Mémoire. C’est intime la Mémoire et c’est doux et réparateur. Ils ont fait cela pour eux, rien que pour eux et beaucoup ont marché. Un jour, ils lèveront leur main et ce sera tragique, de nouveau.
Ces tireurs de ficelle sont froids et déshumanisés.
Pire, le monde c’est eux, leurs bénéfices.
L’humanité : des êtres rampants.
Pourtant, nous nous aimons entre nous et les choses peuvent êtres claires et simples. Regardez tout ce que nous fîmes, tout ce que nous dîmes en trois jours … Nous ne sommes pas des rampants, plutôt des êtres pensants au cœur battant.
La pensée devrait diriger le monde, la pensée humaniste, pratique aussi, évidemment.
Mais pas mercantile, froide et calculatrice. »
Elle pleurait doucement, sans bruit, avec une belle dignité, une belle élégance humaine. C’était un trop-plein d’émotion. Le passé, les siens, les miens, les lieux et la mer. J’avais bien assez tôt fait du rationalisme, de la réflexion permanente, du soupèsement, mon procédé d’abordage de toute chose. Parce que je me trouvai entre trente et quarante ans dans un chaos émotionnel lié à mon histoire personnelle et que cela me fit vaciller. Je résolus avec moi-même d’ajuster les choses et j’arrêtai une résolution. Ce qui me permit de rationner mon énergie et me fit gagner des années, fort probablement.
L’éloignement, la perte des repères, le départ précipité en 1982, la peur, le degré 0 de la Mémoire, le mensonge trouvé beau au départ, le décapage et la réalité ont largement entamé Hannah A. et ses larmes qui coulaient en douceur, je les voyais comme une réconciliation, mais aussi comme une compréhension raisonnable de bon nombre de choses. Évidemment, nous évoluions dans des lieux protégés, nos mots savaient onduler, sans entrechocs. Et c’était déjà beaucoup.
Il y avait l’âge.
Notre histoire personnelle se portait mieux, surtout la sienne.
Écrire devrait consigner les choses et si deux ou trois curieux s’y pencheraient, ce serait deux ou trois curieux d’acquis à la cause humaniste.
Hannah A. et moi, c’était au-delà de l’amitié et de la reconnaissance réciproque. Bien au-delà.
A suivre, évidemment.