mercredi 8 mars 2023

Mme Granier, la narratrice des deux Guerres

 



Lundi 6 mars 2023, au matin, Mme Granier partit rejoindre les constellations.

 

Elle aurait pu durer encore, rien que pour le plaisir. 

 

Mme Granier est Mamie Simone, une Dame pleine de vie, pourtant. 

 

Nous nous écrivons depuis trois ans et nous avons déjeuné ensemble le 8 mars 2022, dans sa belle Résidence. Je me rends compte, à l’instant même, que cela fait un an, jour pour jour. 

 

Un clin d’œil probablement de ce que l’on appelle le destin. 





 

Nous avions mangé finement, nous avions levé un verre à sa santé et c’était douceur et sourires. C’était la première fois que je la voyais dans la vie et j’avais l’impression de la connaître depuis toujours.

 

-       La guerre en Ukraine me renvoie quatre-vingt ans en arrière, me dit-elle.

 

Exactement, le genre de propos qui m’arrête et je suis toute ouïe. Et je l’écoutai. Une Dame vive, claire et qui sait mettre des mots. Ce n’est pas peu quand on a ses années. 

 

-       Ce tableau représente ma fille disparue et il est d’Anne, mon aînée, me dit-elle.


 

J’appris qu’elle avait vu partir un enfant et, son collier, son cardigan rose pâle sur les épaules, sa chemise blanche, son pantalon droit, me parurent encore plus élégants et forts de vie. C’était dans son appartement à l’étage, après le déjeuner, après avoir fait le tour du propriétaire avec la maîtresse des lieux, après être restés quelque temps à la terrasse, vaste et agréable, à partir de laquelle, on pouvait regarder le héron de Sophie et le cours d’eau.


 

Pour moi, Mamie Simone était la Dame et puis la Mère et puis cette Grande personne qui avait vécu les Grandes Guerres, la grand-mère de mon aînée et de son mari, un cadeau de Myriam. 

 

La mère perdue à 20 ans et jamais oubliée, la Dame avec un vécu de petites et de grandes histoires dont mon fol imaginaire fut immédiatement un admirateur. 

 

-       A 50 ans, on est jeune encore S., me dit-elle.

 

Je crois que nous avions en commun la force, la vie, le désir de prendre les choses à bras le corps. La détermination et l’autorité. 

 

Oui, l’autorité qui est un trait essentiel de ma personne, comme chez elle. L’autorité organisationnelle, formaliste, rigoureuse, soucieuse du Faire. Sans autoritarisme.

 

Quand on est proche d’être centenaire, que nos idées limpides ont le dessus sur les décades, que nous nous entourons de nos enfants pour se concerter, quand on sait que la mort rôde et que la Peur ne nous étrangle pas, que la lucidité prime, il y a de la grandeur existentielle.


 







« Vous êtes heureuse et rayonnante dans cet hôtel bijou … Vous le méritez après ce long effort pour écrire votre livre. Mimi me donne de vos nouvelles. Cela me tient un peu dans la vie des actifs, moi qui suis surtout au lit ! Je vous embrasse, merci de penser à moi. »

22 février 2023


 


Merci de ce que vous avez été, une Mamie, une Dame. Ma fille vous a aimée et nous aussi. Aucune pudeur à dire que des sentiments étaient là, sont là malgré le temps relativement court. Nous nous étions mises d’accord pour encore une décennie de vie. J’étais pourtant certaine et je n’ai même pas pensé à vous quand je reçus l’appel matinal. 


Je sais que vous vouliez vivre encore malgré les hésitations : un mélange de petites craintes, de reconnaissance aux années, d’étonnement de sa longévité, mais d’espoirs pudiques aussi. 

Vous auriez pu d’ailleurs sans cette vacillation et l’absence professionnelle. 


Et puis le départ. 

 

-       Allez, c’est bon, j’ai vécu.

 

Peut-être ou peut-être pas. Il y a aussi la fatigue de la vie. Et de passer du temps long au lit n’est pas très réjouissant pour les animés du cœur.

 

-       Maman, Mamie regarde des podcasts, tu sais !

 

La vie est splendeur quand on a de la force et du cœur. De l’élégance et du sourire. De la détermination et de la résolution. 

 

Vous avez été une belle histoire, Mamie Simone. Je sais que la mort se détend et happe aussi vite que la langue d’un caméléon, mais je pensais agir sur le temps avec du neuf, des histoires, la mer et des photos. Je me suis absentée six jours et vous voilà évanescence. Il y a déjà un grand vide. Pourtant, je suis toute récente dans votre vie. 


Beau départ à vous. Dans la discrétion et la finesse.


Le pôle que vous étiez dans la vie des vôtres.


Vos souvenirs historiques et les mots toujours renouvelés que vous greffiez en eux, afin de durer, d’animer, d’agir et de marquer.


J'ai encore dans les yeux votre sortie de l'ascenseur, votre arrivée vers nous, vos pas pesés et non moins précis et le sourire d'accueil de notre rencontre.

 

Hommage à vous, Mamie Simone, vous fûtes une Dame d’esprit et sûrement de cœur.







 

 

 

 

 

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