Avec M., nous dînâmes jeudi 9 et cela nous fit du bien.
J’avais une grande tristesse et la vie que j’aime tant me paraissait absurde.
M. remarqua mon engouement assez tiède et je lui appris que je venais de perdre une proche.
Karlitto qui ne m’oublia pas du tout visiblement, vint vers moi et réclama des câlins.
Il était hors de question de partager ma peine avec M. ni avec personne d’ailleurs, mais je ne me sentais pas d’humeur à être enjouée et prolixe. Je faisais beaucoup d’efforts pourtant. Je dis à M. que j’étais contente de l’avoir rencontrée, que j’avais dû retarder notre deuxième rencontre parce que j’étais assez vide et que j’avais besoin de juguler les choses en moi-même.
Elle me demanda si j’étais amoureuse et je lui répondis en toute franchise que je ne l’avais été qu’une seule fois et que je ne réussis pas à dépasser, que mon conjoint était parti lui aussi vers les constellations alors que j’étais à peine quadra et que je ne pus, ni ne voulus me lier à quelqu’un d’autre. Que c’était beaucoup mon éducation rigoriste, ma personne rigoriste et que ma vie de femme me prit beaucoup d’énergie. Que je vécus un bonheur insolent de 20 à 40 ans, avec des remous énergivores pour moult raisons. Que j’eus un partenaire exceptionnel et aimant et que ce fut une passion … avec tout ce que cela laisse deviner comme respiration de vie, c’est-à-dire des hauts vertigineux et des bas lamentables.
- L’amour dédramatise tout. Et la mort perd toute superbe en sa présence. Voilà pourquoi.
Je lui parlai de mon ami homosexuel qui ne fit jamais son coming out, qui passa sa vie à faire briller les autres par faiblesse et culpabilité, malgré une finesse certaine qu’il avait en lui et une belle sensibilité.
Je lui dis aussi ma détestation des hommes sauf les plus avisés intellectuellement. Me vint à l’esprit, un proche parent qui osa m’aborder avec malhonnêteté alors que jamais dans mes relations avec la gent masculine, la simple idée de me projeter en partenaire potentielle ne m’effleurait l’esprit. Pourtant, je fus virulente et je l’étais de nature.
- Je hais les moyens détournés et la masculinité nourrie de préjugés sur la femme et sa supposée fragilité. A 20 ans, j’étais puissante parce que derrière moi, il y eut un père puissant. Et, je pense, pas mal de rationalisme. Ce qui revient à dire que je peux de moi-même tout dédramatiser, sans courir à l’amour. Ceci dit, il serait venu avec les exigences dont je le dote, j’aurais sûrement pris le temps de m’arrêter pour voir.
- Vous jugulez les choses de vous-même, mais le faisant, vous perdez beaucoup d’énergie. Et l’autre dans notre vie nous la donne à vivre plus en douceur.
- Sûrement. Mais mon histoire m’a ruinée énergétiquement.
- Vous êtes toujours jeune.
- Pas tant que ça. Je voudrais quand même vous dire que je n’ai jamais cessé d’aimer la vie même au cœur de l’absence. J’ai surtout mes passions qui revêtent le reste de tiédeur et qui m’emplissent les yeux de Beau et le cœur d’amour d’Ontos.
Karlitto vint se nicher dans mon giron après m’avoir regardée intensément de ses grands yeux quasi désorbités. Je ris et M. aussi. Il était si mignon.
- Vous avez les joues cramoisies.
- C’est le Chardonnay, lui dis-je. Je prends toujours un verre et de très rares fois un deuxième. Basta.
- C’est aussi d’exprimer sa vie. Vous êtes encore 10 ans en arrière.
- Je reconnais, mais je ne m’offris pas le luxe d’une bonne dépression ni d’une moyenne léthargie. Ni à ce moment-là, ni même maintenant que j’ai tout mon temps. J’ai travaillé, aidé, soutenu les autres … J’ai alimenté mes passions. Je suis sortie, j’ai ri, j’ai pleuré … et à chaque fois, je m’arrêtais, j’étudiais, rectifiais, et redémarrais. Mon rationalisme est ma seule boussole.
- Quelquefois d’oublier la boussole fait du bien.
- Je comprends, mais ce n’est pas moi. Je suis la Détentrice de la boussole.
Nous rîmes de nos confessions, de la douce chaleur du blanc, de Karl qui faisait le malin entre deux femmes qui disaient la vie, des couleurs de Paris le soir et de ce quartier mien que j’adorais par-dessus-tout.
- Tu as raté le début vingtième, m’est avis, me dit-elle.
- J’aurais tant aimé. Eluard, Breton, Magritte, Max Ernest …
- La puissance des rêves … Que diriez-vous d’une visite de Gaïa demain ou après-demain ?
Nous convînmes d’un rendez-vous en début de semaine prochaine. Sur le chemin du retour, je me dis en moi-même que ce que j’aimai le plus à Paris, c’était ces rencontres rares avec des esprits d’un autre temps, entre arts et vie.
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