mercredi 19 janvier 2022

Je ne fus jamais heureux

 





Nous avons tous notre histoire, nos histoires, nos lots de peines et de joies, nos indignités et nos fiertés, tous, sans exception.  

 

La mienne est faite de secrets, de travestissements. Je ne suis même pas sûr de trouver en vous des sympathisants. Mais peu importe aujourd’hui. 

 

Je n’ai pas vécu les trois-quarts de ma vie, j’ai dû faire semblant, composer, entrer dans le moule du moralement et du socialement correct, en famille et dans le monde. 

Dans les années soixante et encore maintenant, je suis ce que l’on appelle un pédé. Alors que pour moi, tout n’était que sentiments et amour.

 

A treize ans, je me sentais attiré par les garçons forts, je les trouvais puissants et invincibles. Moi, à cet âge-là, j’étais gros, petit et mal dans ma peau. Très vite, je m’étais lassé de regarder en-dessous des jupes des filles et même que je le faisais par mimésis et sans vraie conviction. Par contre, au collège, dans le vestiaire de sport, les copains m’impressionnaient par la bosse de leurs slips kangourou. Quelle force masculine, quel potentiel ! 

 

Je ne me jugeais pas encore, je ne me savais pas attiré physiquement par les hommes, j’étais juste admirateur de leur corps et je ne me considérais pas comme eux. Je me trouvais rond, lourd et faible de constitution. D’ailleurs, je n’étais pas un bon sportif. 

 

Vers seize ans, un copain de classe me frôla le sexe en me traitant de fille et j’en fus fort troublé, ce qui m’interpella. Évidemment d’être traité de fille n’était pas flatteur au lycée et au lieu de me battre avec lui, j’allai vers le principal me plaindre. Ce qui me valut par tous, filles et garçons, la réputation de mouchard. 

 

Vers dix-huit/vingt-ans, je me compris : les filles étaient mes vraies amies et les très rares copains me troublaient physiquement. J’étais aussi totalement puceau et horrifié par mes inclinations. 

 

Le bac en poche, je partis à Paname pour faire mon université et j’étais déjà en mode travestissement. Mes amies filles me confiaient leurs secrets, leurs histoires d’amour, leurs ruptures. Je vivais à travers leurs relations et j’aimais passionnément leurs partenaires. Quelquefois, je gardais les photos d’eux qu’elles jetaient dans des accès de colère et mon imaginaire faisait le reste. J’eus, un peu plus tard, quelques expériences étranges avec des hommes avec lesquels je partageais des idées, des concepts et pas mal de philosophie. Des expériences qui m’avaient marqué fortement et que j’ai haïes par la suite. Je ne m’étendrais pas là-dessus parce que des nœuds psychologiques gordiens se forment aussitôt encore aujourd’hui. 

 

A quarante ans, je rentrai chez moi et ma mère me reçut avec une phrase épouvantable : 

 

-       Que de temps perdu. 

 

Pour être en conformité avec ses attentes et celle de la société, je m’étais marié avec une fille correcte d’un milieu fort humble. Je lui fis vite fait un enfant et nous divorçâmes. Elle n’était ni correcte ni gentille : elle misa sur les biens de la famille et je l’utilisai pour me travestir et surtout pour donner le change. Quittes. 

J’aurais pu être pansexuel comme on dit aujourd’hui sans forcément passer par le corps, du moins avec les femmes, mais cela aurait été encore un travestissement comme s’il fallait que j’adoucisse ma vraie nature.

 

Que vous dire encore ? Avoir passé sa vie à se cacher a été dur, très dur. Ne pas s’assumer, ne pas s’affranchir des autres a vite fait d’épuiser ma vie. Je n’ai pas eu une psychologie mais des psychologies : de refus, de rejet, d’imaginaire, de solitude, d’absence d’épanouissement physique, d’expériences atypiques mêlant intellect et corps, intellect prétexte pour se donner de la légitimité … 

 

Que vous dire ? Le poids des autres, les schémas consentis, l’intolérance, la condamnation, la dérision, la violence, la peur, le silence ? 

 

Je ne fus jamais heureux. 





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