jeudi 4 mars 2021

" Ôte-toi de mon soleil "

 




I.



Je n’avais jamais vu cette espèce. Je décidai de la suivre. Je dis « la » parce que convaincu qu’elle est de la gent féminine. Pourtant à y voir de près, elle a une démarche d’homme. Peu importe et le piège des représentations livrées par l’éducatif et le social a la peau dure et même en temps de réflexion consciente, on oublie quelquefois de secouer le cocotier. 

Je sais qu’elle voit mon manège et semble s’interroger sur son utilité. Pour moi, c’est une co-terrienne et je suis d’emblée dans un respect et une attention toute particulière.


 

 

 

II. 



-    Évidemment qu’on ne s’appartient pas. Évidemment que cela n’a jamais été le cas. L’univers est cloisonné. Je viens de loin, vous êtes d’ici. Je suis plongé dans l’étude des espèces, vous donnez le change. J’ai besoin des variétés, des couleurs, de l’encre pour toucher sa signifiance -- même qu’elle échappe : de nature mercurienne – vous êtes dans l’escamotage et la jonglerie ludique. 


Ainsi, s’exprima-t-il, devant une foule qui le croit fou. 


Le Faiseur de rêves.




 


 

 

III.



« Ôte-toi de mon soleil. »

 

Dans sa forge des mots, il a quelque chose de Diogène, l’existence à contre-courant. Forgeron le jour, scribe le soir, il parle peu mais écoute attentivement l’exigence du client sans le moindre signe extérieur.


Rambo, surnom dont l’affuble une société qui le considère comme un égaré. Or, une minute d’examen de son travail fini, dévoile l’incroyable ingéniosité de l’artisan.

Cheveux et barbe en broussailles, les bras nus été comme hiver, il se lève au petit matin, allume son atelier et y vaque. Quand ce n’est pas le fer, les arabesques, les chevaux qu’il ne fait que pour lui-même, c’est un vieux banc d’école, un encrier et de vieux cahiers à carreaux qu’il noircit de ces lettres longues et effilées. 


Qu’écrit-il depuis des lustres ? 

 

-      Mes échecs passés et à-venir, lâcha-t-il un jour à une dame cliente qu’il semblait accepter avec moins d’indifférence, d’animosité, de silence. 

 

Elle se tut, consciente d’avoir la confiance de l’ours blanc.

 

-     Connaissez-vous Diogène de Sinope ? lui dit-elle, un autre jour alors qu’elle passait devant sa forge, certaine qu’il allait manifester une réaction furtive. Il parla après un long silence mais elle vit son tressaillement.


-       J’ai choisi la liberté totale mais je travaille. Je suis très heureux d’être exilé de leur monde, c’est le prix de mes mains. Vous, vous l’êtes à moitié.


-       Vous vivez pour l’essentiel l’Ami.

 

L’Artisan sourit à l’œuvre qu’il façonnait.

 

Elle continua son chemin. 


- Je tiens mon philosophe, se dit-elle, en son for intérieur.




 

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