vendredi 26 mars 2021

50 ans c'est 90 !

 



6h. Il fait très froid. Mais je ne laisse pas les mirages du sommeil avoir le dessus sur moi. 

 

J’enfile mon soutif de sport, mon cycliste et direct sur le tatami. 

 

Des séries de 90 depuis quelques jours déjà. L’exercice le plus dur : les squats. Je déteste mais j’aime et je m’exécute. Je triche un peu aussi : je fais des mini squats. 

 

Je commence par les bras. 90 dans tous les sens. Vers le haut, latéral, tendus, pliés, avec haltères. 

 

Après cela, tous les exercices de repliement vers le bas. J’ai lu quelque part que pour vivre longtemps, il n’y rien de mieux que de pencher sa tête vers le bas. Depuis, je n’arrête plus. 

Le bas, le bas, de nouveau le bas. D’ailleurs, câliner ma chienne étendue de tout son long sur le sol est d’une facilité absolue. Je reste accroupie tant que l’échange dure, lestement.

 

Au sol, je travaille mes jambes dans tous les sens, mon buste aussi, chassé-croisé également. Le plus dur, c’est de se trouver à mi-chemin de 90. Mais on continue. Je viens d’écrire à ma benja que notre corps est notre enveloppe, que c’est tout ce que nous possédons vraiment, que c’est notre pire ennemi-ami et qu’il ne faut pas le laisser prendre le pouvoir sur nous. Que nous DEVONS le gérer. Oui, en majuscules devoir. Elle m’écrit textuellement : « Mom et ses phrases vérités démontrables. » 

 

Cette jeune fille a le sens de l’humour.

 

Quelquefois, je fais travailler le bas de mon corps sur le lit : de la triche mais je veille à la correction de chaque mouvement. Le mirage du lit. Et un peu le froid et, j’avoue, le dos.

 

C’est que 50 ans, c’est jeune. Pas vraiment vieux. Mais assez, quand même, pour prendre les choses totalement en main.

 

Ah oui, j’ai oublié de mentionner qu’entre chaque série, je fais du tapis de course. Après je souffle 10 secondes et je reprends. Ma benja vient de m’écrire : tu me rappelles la mère de Romain Gary, me dit-elle. Immense compliment, répondis-je.

 

Inutile de vous dire que 10 minutes après le commencement de l’échauffement, je contrôle mon pouls cardiaque : il s’accélère. La machine fonctionne. Et là, à chaque fois, il y a une angoisse existentielle qui pointe du nez mais que je maîtrise psychiquement avec mon rationalisme à toute épreuve. 


Ah ! Le temps de l’inconscience où tout est acquis. Où ces choses-là fonctionnent sans l’intervention problématique du conscient curieux ou du curieux conscient. Qui à 20 ans prend conscience de son pouls comme à 50 ? A moins de tenants et d’aboutissants spécifiques, qui ?

 

Je laisse toujours les squats durs vers la fin. Entrecoupés de tapis. 90, c’est assez dur. Voyez. 

 

A la fin de la séance matinale, je suis bien, je souris. Je prends mon Cappu, une part de mon gâteau diététique - un tiers de mon chocolat italien absolument délicieux, en cachette - et je me dirige vers mon bureau. La même séance de près d’une heure sera reconduite le soir. Et c’est ainsi un jour sur deux et, quelquefois, tous les jours. 

 

Il y a une satisfaction - pas du tout crédule – des exercices bien accomplis. Je travaille sur moi, je continue, je gère. Et je fais taire les Voix persistantes. 

 

Un médecin ami, père de famille et homme posé parle à peu près la même langue que moi. Il a pour lui l’avantage d’être, d’abord, le père de ses enfants sevrés du sein maternel et du geste doux caresseur des cheveux. Les silences sont riches et chargés d’émois. Pourtant, je déteste les silences. Mais il y a de ces silences sur lesquels les mots peuvent féconder des signifiances dignes. 

 

Marchons, courons, exerçons-nous et faisons taire les voix lancinantes.

 

-       … dix, onze, douze, treize, quatorze … vingt. 

Deuxième doigt : un, deux, trois, quatre … vingt.

( 20 par doigt plus 10 avec l'auriculaire  : 90. C'est fait. Well done. ) 





dimanche 14 mars 2021

Je voudrais être juste ce que je suis

 C, le 12 mars.






 

« Je voudrais être ce que je suis. Couper avec cet environnement pesant que je n’ai jamais supporté et que je ne supporte plus du tout. Je sens que je ne peux assurer ma liberté qu’à ce prix-là. Celui de la rupture avec le commun des mortels. Je voudrais être moi-même, rien que moi-même.

 

Le monde se joue de la peur des hommes, il a été construit sur des subterfuges, une malhonnêteté. Cela fait très longtemps que je donne le change. Pas beaucoup, c’est vrai. Mais là, je n’en peux plus. 

 

Pourquoi devrais-je vivre selon les mirages du grand nombre ?

 

Pourquoi est-on obligé de subir et de taire l’ignorance et la soumission. L’ignorance de l’univers, de l’Existence, de l’être humain, de l’être vivant ?

Pourquoi la majorité criarde et inconsciente exerce-t-elle une répression abjecte sur les esprits libres ?

 

Ma liberté leur casse leur commerce, n’est-ce pas ?

Je suis au beau milieu du XVIIème siècle en 2021. Voilà.

 

Je sors de chez moi au matin pour m’offrir un café chaud dans le froid coupant et vivifiant et  je me retrouve nez à nez avec leurs vérités, leur intransigeance riche du plus grand nombre de ploucs possibles et ce joli monde si définitif, si sûr d’avoir tout saisi, ce monde des Assis Suprêmes veut interférer dans ma pensée construite au prix de grosses sueurs neuronales, la contester, la tourner en dérision, la rapetisser parce que pas aussi répandue que la leur et au mieux et préférentiellement et violemment l’interdire ?

 

Non, non. »

 

 

« Oui, je l’ai vu. Non, je ne suis pas Spinoza. Évidemment, je l’ai lu, relu, re-relu. »

 

« Sûrement, Coach. Mais cette liberté d’être moi comme je l’entends, dans mon auto-détermination, il me la faut incessamment. »

 

 

« Alors, il ne me reste plus que vous trois et ceux du Collège. La mer, mes palimpsestes et ma plume."







 

 

 

samedi 13 mars 2021

Le fils de F. Dolto était un humoriste

 



- Tu es égoïste et jalouse, lui dit-elle, très calmement.


-   Comment peux-tu me dire des mochetés pareilles ?!

-  C’est de la psychanalyse sauvage. Je te mets face à la nature profonde de l’humain avant qu’il n’intervienne consciemment.

-  Je parle à ma mère et pas à un psy. Le fils de Françoise Dolto était un humoriste. Il fuyait le sérieux à mon goût.


-  Je ne sais pas s’il fuyait le sérieux, peut-être. Je ne pense pas à lui là mais à toi. Je veux juste te dire que l’être humain doit se sonder et après cela agir sur lui-même. Et c’est, là, où il est un être conscient, déterminé et volontaire. Réparateur aussi et ajusteur. 

Tu es très belle, tu es très jeune, tu as des doigts divins, des mains accoucheuses, une sensibilité fraîche et nourrie de visions libres, underground. 

Tes expériences et tes épreuves émotionnelles ne sont pas identiques aux miennes. Ton approche des arbres, des animaux et de l’univers est à toi et reflète ta personne à toi. 

Tu as la vie devant toi, un chantier tout neuf, tout initiatique, laborieux. 

Je peux crever de jalousie de tout cela. C’est humain la jalousie, c’est bestial aussi. Et bien non, je vais mettre en place mon faisceau correcteur et je ne crèverai pas de jalousie. Je verrai, je regarderai, quelquefois je scruterai avec amour, plaisir, intérêt et curiosité ton chemin. 

Alors voilà pourquoi ces mochetés que je te dis sont positives. Et là, je redeviens mère. Insupportable les trois-quarts du temps.  ( Rires )
 
 
Elles décidèrent d’un commun accord de reconsidérer les choses et d’abord de s’offrir un petit verre nuageux.
 

jeudi 11 mars 2021

Maman, dis, n’est-ce pas que tu sais tout ?

 




-       Maman, dis, n’est-ce pas que tu sais tout ?

 

-       Non, je sais pas mal de choses mais je suis loin de tout savoir.

 

-       Mais maman, tu as toujours dit qu’il y a des solutions à tout voyons !

 

-   Oui, il faut le croire. Il faut agir aussi. Maintenant se dire, je dépasserai cette situation critique, c’est-à-dire difficile, est en soi une très bonne chose.

 

-      Maman s’il te plaît ( très irritée ), à mon âge, j’apprends tous les jours. N’est-ce pas ce que tu me dis tous les matins ? Alors, réponds-moi et que je comprenne. Je ne suis pas vieille moi pour savoir autant que toi.

 

-      Je ne suis pas vieille chérie.

 

-      Maman, tous les grands sont des vieux. Et moi je veux savoir comment je peux faire pour que papa ne vieillisse plus et que moi je grandisse quand même encore. Parce que je veux vivre avec lui toute ma vie. Comment faire maman, c’est simple, non ?

 

-       … ( La mère se tut, désarçonnée ) …

 

-       Maman ? Tu me réponds s’il te plait ?

 

 

La maman prit la décision intérieure de s’arrêter de vaquer à ses occupations au vu des yeux interrogateurs grands ouverts de la petite. En même temps, elle voulait gagner du temps et réfléchir à cette quête existentialiste et anxieuse.

 

 

-      Tu sais, quand j’étais petite, je posais des tas de questions à mes parents, surtout à mon père d’ailleurs. Et un jour, il me dit : tout coûte de l’argent dans la vie, absolument tout. Et j’étais très embêtée parce que je ne comprenais pas comment cela pouvait être possible. Et je le lui fis remarquer : papa, quand on marche dans la rue, on ne paye pas ! Et il me dit cette phrase qui me travailla pendant longtemps : évidemment qu’on paye quand on marche dans la rue.

 

Je ne sais pas trop si cette réponse va te convenir mais je veux t’expliquer que les adultes oublient très souvent que les enfants ont besoin de réponses concrètes, claires, sans mystère dans le sens. Et là, je n’en ai pas vraiment une.

 

Papa va avancer dans l’âge et toi aussi. C’est logique. Et heureusement ! 

Elle se mordit la langue ) 

Je veux dire si l’un de nous s’arrête d’avancer dans la vie, dans l’âge je veux dire, cela signifie qu’il n’est plus de ce monde, qu’il n’existe plus. Donc papa grandit, tu grandis, vous vivez ensemble et en même temps chacun de son côté fait tout son possible pour beaucoup vieillir donc beaucoup vivre en faisant du sport, en mangeant des choses saines et en riant c’est-à-dire en étant souvent heureux. Et tout cela fait que tu vis avec papa, que nous vivons ensemble et que nous sommes en vie.

 

-      Donc, papa fera beaucoup de sport et rira beaucoup et moi aussi. Et il doit manger des choses bien propres. Et maman, dis-moi, qu’est-ce qui n’est pas bien dans la nourriture ?

 

-      Ça papa le sait, tu n’as pas à t’en faire. Ce n’est pas à toi de lui dire ces choses-là. Et puis, tu sais, je ne vis pas avec mon père, moi, ni ton père avec les siens. Il faut avoir des amis aussi, parce qu’ils peuvent eux aussi être de très grands proches. Et vivre, c’est cela, avoir beaucoup de personnes autour de nous, les parents et les amis. Mais pourquoi tu me poses cette question toi, dis-moi ?

 

-       Mais maman, tu n’as pas entendu ce que disait papa à mamie ?

 

-       Non, que lui disait-il ?

 

-       Ben, que tout le monde vieillit et que personne, personne ne sait quel jour il mourra. 

 

 

 

 


 

jeudi 4 mars 2021

" Ôte-toi de mon soleil "

 




I.



Je n’avais jamais vu cette espèce. Je décidai de la suivre. Je dis « la » parce que convaincu qu’elle est de la gent féminine. Pourtant à y voir de près, elle a une démarche d’homme. Peu importe et le piège des représentations livrées par l’éducatif et le social a la peau dure et même en temps de réflexion consciente, on oublie quelquefois de secouer le cocotier. 

Je sais qu’elle voit mon manège et semble s’interroger sur son utilité. Pour moi, c’est une co-terrienne et je suis d’emblée dans un respect et une attention toute particulière.


 

 

 

II. 



-    Évidemment qu’on ne s’appartient pas. Évidemment que cela n’a jamais été le cas. L’univers est cloisonné. Je viens de loin, vous êtes d’ici. Je suis plongé dans l’étude des espèces, vous donnez le change. J’ai besoin des variétés, des couleurs, de l’encre pour toucher sa signifiance -- même qu’elle échappe : de nature mercurienne – vous êtes dans l’escamotage et la jonglerie ludique. 


Ainsi, s’exprima-t-il, devant une foule qui le croit fou. 


Le Faiseur de rêves.




 


 

 

III.



« Ôte-toi de mon soleil. »

 

Dans sa forge des mots, il a quelque chose de Diogène, l’existence à contre-courant. Forgeron le jour, scribe le soir, il parle peu mais écoute attentivement l’exigence du client sans le moindre signe extérieur.


Rambo, surnom dont l’affuble une société qui le considère comme un égaré. Or, une minute d’examen de son travail fini, dévoile l’incroyable ingéniosité de l’artisan.

Cheveux et barbe en broussailles, les bras nus été comme hiver, il se lève au petit matin, allume son atelier et y vaque. Quand ce n’est pas le fer, les arabesques, les chevaux qu’il ne fait que pour lui-même, c’est un vieux banc d’école, un encrier et de vieux cahiers à carreaux qu’il noircit de ces lettres longues et effilées. 


Qu’écrit-il depuis des lustres ? 

 

-      Mes échecs passés et à-venir, lâcha-t-il un jour à une dame cliente qu’il semblait accepter avec moins d’indifférence, d’animosité, de silence. 

 

Elle se tut, consciente d’avoir la confiance de l’ours blanc.

 

-     Connaissez-vous Diogène de Sinope ? lui dit-elle, un autre jour alors qu’elle passait devant sa forge, certaine qu’il allait manifester une réaction furtive. Il parla après un long silence mais elle vit son tressaillement.


-       J’ai choisi la liberté totale mais je travaille. Je suis très heureux d’être exilé de leur monde, c’est le prix de mes mains. Vous, vous l’êtes à moitié.


-       Vous vivez pour l’essentiel l’Ami.

 

L’Artisan sourit à l’œuvre qu’il façonnait.

 

Elle continua son chemin. 


- Je tiens mon philosophe, se dit-elle, en son for intérieur.