dimanche 1 décembre 2024

Bonsoir ma Soeur, fin

 









Il avait souvent eu l’obsession du bonheur sans se soucier de vérifier si c’était à l’identique de l’autre côté. Et puis, il crut qu’il était assez fort pour deux. Or, deux, c’était distinct et il ignorait tout encore de la légende du cœur unique. 

 

Il se mit en branle et ce fut vertigineux : créativité, pétrissage, ornements … Une forge à plein temps et à pleins poumons qui lui fit perdre sa perception de l’autre et son sens de l’observation. 

 

« Nous sommes deux musiques, deux tempos. » 


Il aurait fallu ne pas l’oublier. Il y avait de la musicalité en lui et puis, il y avait eu cette mère d’exception qu’il fit souffrir allègrement. Cette mère-mer qui passa sa vie à l’aimer et parce que les passions sont nocives, il le lui rendit en petites monnaies frappées à la cruauté.

 

-       Combien j’avais été indifférent, se disait-il, tellement ! La jeunesse est une embarcation lancée à l’aveugle et à vive allure. J’avais enveloppé mon cœur dans un pan de la muraille de Chine.


 

Il s’agit toujours de cet homme fou de la mer. Celui-là même qui lit en lui comme un dyslexique : « Qui avais-je été et qui suis-je ? Pourquoi ma génitrice me hante-t-elle à ce point ? Pourquoi se dénouer avait-il été pour moi si ardu ? La passion de la mer suffit-elle pour continuer la traversée ? »

 

Et son esprit allait dans tous les sens sans qu’il s’en rendît compte. Il était en perpétuelle introspection et même dans les bras de la mer, il avait des difficultés à tout démêler. Il se rappelait encore que jeune pré-adolescent, il se demandait s’il était normal. Il l’était, mais il ne sut pas se protéger assez de la toxicité et, de la toxicité, il y en avait à chaque coin de rue. 

Et puis, il était si sérieux, si premier degré. Il lui manquait l’immense savoir de la dilution, de la distanciation, du rire. Le rire, la seule médicamentation à l’effet immédiat. Pourtant enfant, sa génitrice craquait devant ses rires ingénus, ses rires de gosse génial, hypersensible et mature. Un bout de bonhomme beau comme seuls peuvent l’être les enfants heureux, un bonhomme à l’appétit intellectuel étonnant.


Et le voilà à 50 ans qui reconnait une enfance heureuse, gaie et riche de savoir. 


-   Ma génitrice fut dominante, mais pas dominatrice et elle avait ses raisons. Que vais-je faire aujourd’hui de cette vérité si évidente pourtant ? Le bombardement hormonal m’eut complètement et j’étais une feuille blanche. Je ne savais pas la valeur de la distanciation. Pardon, Mère et merci pour tout.

 

Il versa une larme chaude dans le bassin, douloureusement et pudiquement. Il en avait des vagues hautes, mais se souvint de ses leitmotive sur la nécessité de la résilience. 

 

-        Vous m’avez façonné et je vous en remercie, chère Mère.

 

Les mots sont des baumes, mais ils viennent de loin et se fixent souvent assez tard. Néanmoins la maïeutique opère et l’humain se sent léger. Ce Monsieur n’était pas plus mal qu’un autre, sauf qu'il avait en lui un atout majeur : la capacité à s’étudier, à se lire et à faire montre d’objectivité. Il lui avait fallu du temps, pour démêler le faux du vrai, pour laisser s’épanouir une objectivité et un sens de la justesse, pour faire parler un cœur contrarié.


 

Était-ce seulement la grande force de cette femme, sa rigueur et son autorité ?

Était-ce l’excès qu’elle mettait dans son éducation ?

Était-ce la société dans laquelle il vécut et qui s’obstinait à faire de la femme un complément de l’homme ?

Était-ce ces femmes entretenues si différentes de sa soldate ?


 

C’est l’histoire d’un quinqua en butte avec lui-même. Un amoureux transi de la mer et de son calme iodé. Un Monsieur malmené par lui-même bien plus que par la vie auquel il fallait du temps et encore du temps entre cloisonnement, oubli, indifférence et refus de percer l’épais voile qu’il avait solidement tissé lui-même et dont il se couvrit les yeux. On ne peut discuter les natures humaines, mais on peut y remédier soi-même. Peut-être avait-on omis de lui apprendre le salutaire geste de « se pincer ici et maintenant ». Peut-être avait-il vécu un bouleversement qui fit qu’il se cabra par réflexe d’auto-défense. Peut-être que la grande solitude empêche la visibilité et que par conséquent, il se croit seul au monde noyé dans ses souffrances. 


Quelle fragilité l’humain au final et l’homme en particulier, quel drame que le silence, quelle perte de temps que la rancœur, quel manque de discernement de croire souffrance les aléas du quotidien … 


Il faut cependant reconnaitre aux êtres de sensibilité et d’introspection des qualités psychiques et philosophiques certaines. Leurs allées-venues en eux-mêmes dites, écrites, chantées, peintes ou sculptées demeurent des leçons ontologiques et existentielles sans pareil. 








René de Chateaubriand, Alfred de Musset, Paul Éluard, les peintres surréalistes, Modigliani, Romain Gary, l’immense Paul Auster … Tellement d’autres faiseurs de mots, de formes, de volumes et de volutes se perdirent en conjectures folles, hasardeuses et foncièrement inutiles, ils eurent l’immense mérite de s’enfermer dans leur forge et de créer ce qui permet à l’homme contemporain de consulter toutes ces psychés, d’en apprendre sur l’humain, de mieux se saisir soi-même et de réguler sa respiration.


La cavité utérine, la forge, la caverne, les parois, la plume et le pinceau, les tablettes d’argile, l’hiéroglyphe, la pierre taillée, la pyramide … autant d’entreprises pour exprimer sa mère, sa mer et soi-même. Le bonheur peut être une obsession, le toucher de ses doigts n’est pas chose aisée.

 

-         J’écrirai, se dit-il.

 

Il s’en alla léger, souriant et empli d’embryons à venir. Il sourit au firmament, la pseudo-demeure de ceux que nous avons tant aimés.
















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire