- Vous voulez vraiment que je dise les choses ? Jusqu’où êtes-vous prêt à vous regarder de l’intérieur ? Y a-t-il seulement des aspects de votre psyché que vous ne connaissez pas ? Vous êtes beaucoup plus intelligent que moi et j’apprends de vous depuis fort longtemps.
- Dites-moi tout, je vous prie. Je suis tout ouïe.
- Vous ruminez depuis des décennies, c’est excessif et je ne vois pas l’utilité. Vous vous inscrivez peu dans le faire, par contre. La praxis. Vous vous savez fort intelligent et tellement intuitif, mais je vous trouve peu engageant et peu engagé. Vous vivez en vous-même, dans une introspection continue et cela dure. Je suis votre seule société et c’est très peu. Vous n’ouvrez pas la porte du monde extérieur. Est-ce par crainte ? Par franche détestation ? Par déception ? Évidemment, je connais les raisons, mais je ne suis pas de votre avis. Le monde extérieur est utile, s’adapter est une vraie compétence humaine. Il faut savoir faire, surfer sur les aspérités et arrondir les angles. Le mensonge souriant, l’échange léger, l’hypocrisie légère - l’amabilité en d’autres termes - font la vie qui n’est d’aucune manière une Cité parfaite. Les hommes et les femmes de tous les jours ne sont pas des Schopenhauer en puissance. Ce sont des gens ordinaires, qui vont et viennent, sourient et pleurent, s’accommodent et avancent bien mieux que les êtres de génie, les philosophes et autres êtres de tourmente intellectuelle. Pourquoi devrait-on penser son discours avec vous ? Choisir ses termes et toucher les étoiles ? Pourquoi êtes-vous un être de suspicion et un inquisiteur ? Sont-ce ces deux aspects de votre personnalité qui vous acculent à la grande solitude ? Et le rire dans tout cela ? Vous riiez bien quand vous étiez enfant ? Et le partenaire dans votre existence ? Où est-il ? Quelle place aura-t-il ? À moins que vous ne vouliez le mettre au monde et le façonner selon vos désirs. Seriez-vous un Pygmalion amoureux d’une statue de son œuvre ? Devrait-on pour être dans vos bonnes intentions perdre l’usage de sa langue et gommer sa personnalité ? Je vous vois froncer les sourcils. Ah oui, il ne faut pas évoquer l’amour et le partage ! J’avais oublié. Dites-moi, s’il vous plait, l’intérêt d’une vie de réclusion, de frustration, de silence, de rumination à l’excès, de grande solitude, d’introspection H24, d’abstinence, de colère rentrée, de condamnations de l’ombre, de « rapetissage » de tout, de redéfinition de tout, d’évitements divers … Vous m’aviez dit la dernière fois que vous aviez en vous un enfant contrarié. Faites-en un enfant rieur et joueur ! Je crois fermement que ce que vous avez de mieux à entreprendre est faire revenir de loin cet enfant qui fut rieur, il y a fort longtemps. Cet enfant devenu un adulte acrimonieux à l’égard de lui-même et des autres, qu’il raya de sa vie. Secouer vos puces, faites les choses, entreprenez un mieux-être, descendez de votre trône névrotique. Vous avez Le matériau le plus efficace, levez le bras ! Je vous rappelle que vous me pressiez de m’exprimer et je le fais sans aménagement. Je prends le risque de vous perdre afin que vous vous retrouviez ou que vous vous trouviez vous-même. Enfin. Parce qu’il est temps et que les litanies pèsent. Voilà.
Il la regarda longuement en silence, cela dura près de dix minutes. Elle soutint son regard et n’en démordit pas. Il finit par tourner sa tête vers la fenêtre qui donnait sur la mer, s’en emplit les yeux fort pensif et dit :
- Vous avez tout dit. Le plus dur est de mettre le pied à l’étrier. Faire les choses, agir. Vu sous cet angle-là, je suis tout simplement insupportable, admit-il, en se levant.
Il lui serra la main et prit congé.
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