Cabinet de coaching psychologique et PNL
Il prenait ses rendez-vous en fin d’après-midi quand le cabinet se désemplissait et veillait à ce que l’heure soit respectée à la minute près. La secrétaire le savait impatient et nerveux et l’appelait au moindre retard. La salle d’attente était vide et il parut soulagé. Elle l’introduisit assez vite.
« Chère Madame, l’enfant qui est en moi est malmené. Je le crois du moins. J’ai rêvé il y a peu d’une soirée familiale, il y avait ceux qui me connaissaient le mieux, que j’aimais tant et si mal. Les odeurs étaient si fortes que je les ai encore au nez et vous n’êtes pas sans savoir l’importance de la mémoire olfactive. Un séjour bien chaud, assez cossu humainement et on y riait pour la moindre boutade. Pourtant je riais peu adolescent.
Peut-être parce que mon père m’intima l’ordre de ne plus pleurer, un jour de grosse colère. Je n’avais jamais compris pourquoi les hommes ne devaient pas pleurer. Je me rappelle du courroux de ma mère qui ne supportait pas les interdits paternels. « D’un autre temps », disait-elle.
Était-ce ce diktat de la sécheresse lacrymale qui fit de moi ce que je devins à seize ans ? Un adolescent qui ne supportait pas les siens. Toutes les familles du monde dysfonctionnent, un peu, beaucoup … Et puis, il y a ces liens forts, puissants, chaotiques, douloureux. On répare ou on essaye et je ne savais pas faire. Je n’ai jamais su. J’avais un chaos dans la tête, encore aujourd’hui, je crois.
Dans la filiation, il y a une chaîne et un déterminisme agissant qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Le plus important est la volonté de faire les choses, d'agir sur soi, d'être résilient, de construire un semblant d'équilibre. Ce que je n’ai jamais su faire.
La colère intérieure creuse et la rupture est la preuve d'un échec.… Mais à seize ans, on est seul au monde et ce que je viens de vous dire est d’aujourd’hui et, pourtant, la colère revient fréquemment. Peut-être suis-je encore, aujourd’hui, maintenant, ici, en train de cogiter et de ne pas agir ? C‘est tout moi, cela.
Chère Madame, je ne trouve toujours pas mon unité. Pourtant, je vous paye pour cela depuis de nombreuses années. Suis-je fatalement un désorienté ? »
« Vous êtes, vous, ce qui vous constitue, votre personne, votre singularité, lui dit-elle. »
« Et c’est supposé me suffire cette formule fort lapidaire ? Non, non, c’est bien plus complexe que cela. Probablement aussi qu’un capital génétique et des psychoses de famille s’en mêlent. La branche maternelle a eu bon nombre de tordus du ciboulot ! »
( Il éclata de rire. Elle garda son air attentif et sérieux. )
« Je ne vous trouve pas tordu. Je vous trouve singulier, je vous le répète. »
« Fortement singulier, dans de cas-là. Vous savez, je saisis tout, mais agir n’est pas dans mes cordes. Je suis empli d’une pesanteur et assis à mon bureau, mes membres s’allongent, s’introduisent dans le sol, loin très loin … comme le font les racines de l’eucalyptus ou du saule pleureur. Et pendant tout ce temps, les choses se bousculent dans ma tête, l’enfance, les miens, ma mère, les années d’études, la solitude, la peur de la folie … Celle-là est on ne peut plus régulière et cela date !
( Il se tut un moment et la fixant des yeux, lui posa une question. )
Est-ce vrai que vous ne me trouvez pas tordu ? C’est ce que vous m’aviez dit, il y a un instant. »
« C’est vrai, répondit-elle, en le regardant droit dans les yeux. Mieux, votre intelligence est saisissante. Votre discours est quelquefois dans tous les sens, je vous le dis, mais il est toujours fort intéressant. »
« Et bien, je vous remercie de votre honnêteté, chère Madame. »
Il se leva, prit congé et promit de revenir bien assez tôt.
À suivre
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