jeudi 10 octobre 2024

Cet ami qui fut fourbe, II

 






" Mon père était fou et tout le monde le savait. 


Ma mère le maîtrisait et tirait profit de ses excès. Tout ce qui lui semblait aller de travers le mettait dans des états épouvantables et incontrôlables. Et il se mêlait de tout. De la taille des arbres par les municipaux, aux voitures garées en bord de mer, en passant par les gamins qui jouaient au pingpong sur la plage. Et il se présentait d’office en Grand spécialiste de toutes ces questions. C’était un borderline complet, un hurleur cramoisi et un vociférant incompréhensible. 


J’en avais honte avant d’étrangement lui ressembler quelques années plus tard. Ses crises le saisissaient à intervalles réguliers et quand ma mère n’était pas dans les parages pour intervenir et le forcer à rentrer, il les étirait à loisir, donnait naissance à une situation de confusion et de tension et se donnait en spectacle dans une grandiloquence insensée et complètement folle. Hurlements, gesticulations, discours emphatique et creux, menaces, prestation en poings si nécessaire … et habileté à amortir le coup si les choses tournaient en sa défaveur. 

 

Un jour lointain, il nous appela à la rescousse et nous enrôla dans une bagarre inexplicable, à mains nues. Nous étions quatre et chacun prit à partie un adversaire qu’il nous assigna et très vite nous passâmes aux poings. Je ne sus jamais exactement les raisons de cette rixe. 


C’était papa, un homme fort, au verbe haut, qui croyait aux études d’abord, à Dieu ensuite, qui ne supportait pas ce qui allait de travers, auquel il fallait demander l’autorisation pour entreprendre les grands chantiers des rues et du pays, qui haïssait les dépassements de toutes sortes et ceux à venir … mais jamais les siens. 

 

Ce fut une vie intense, tumultueuse et haute en couleurs. Je fus beaucoup battu. Parce qu’adolescent, je n’acquiesçais plus aveuglément à ses diktats, mais je restais très régulier sur les rixes de groupe qui s’achevaient en harangue.

 

-       Le respect, il faut leur apprendre le respect … Il le faut, hurlait-il.



 

Mon meilleur ami tremblait en présence de mon père. Il le vit quatre ou cinq fois à la sortie du collège et cela lui donna des crampes d’estomac.

 

-       Je ne sais pas ce qu’il me demande ton paternel !

 

C’était à chaque fois la même chose, mon père le regardait en silence, le pesait et le soupesait, cherchait un motif de colère probablement, se rappelait de son père qui était son ami et se ravisait. Certes, en ce temps-là, il avait carte blanche pour être sévère ; c’était de mise et un intérêt certain à l’éducation du gamin

Sauf que mon père n’était pas sévère, il était fou. Les yeux écarquillés, la bouche postillonnant, la face rougeoyante comme une forge, l’oreille dressée … un animal en furie pour des raisons comprises de lui seul.


 


Nous étions en Seconde et les hormones m’attaquèrent dès la troisième, brutalement. 


-   Son père est fou, complètement ! Je m’en rappelle encore. Ses yeux lançaient des flammes ! Il a de qui tenir ! "





                                            Le Fourbe, W. Congreve, 1693

                                                The Double Dealer, titre original.







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire