jeudi 24 octobre 2024

Alfonso Campisi, les identités plurielles

 








 Tissage cosmopolite

 

Nous étions une cinquantaine à la salle de projection de l’Alliance Française, ce mercredi 23 octobre 24, 18h, défiant le trafic routier, la fatigue d’une fin de journée et la langueur d’un octobre finissant.


 

Alfonso Campisi répondait aux questions de Neila Jazi modératrice francophone à l’AF, à l’occasion de la parution de son dernier titre chez Arabesques : 


 

Paroles et images d’une histoire « mineure »

L’émigration sicilienne en Tunisie

XIX ème et XX ème siècles


 

Je ne connaissais pas personnellement le Monsieur, mais j’appris via Neila Jazi qu’il était adepte de pluralité identitaire. Universitaire italo-tunisien, auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages, spécialiste de la langue et de la culture siciliennes, AC étudie les mouvements migratoires siciliens du XIXème et du XXème siècle et scrute l’histoire de la présence sicilienne en Tunisie. Son ouvrage est un recueil de témoignages vivants des pensionnaires du Foyer de Radès. 

 

 

-     Des entretiens assez difficiles humainement, souligna A. Campisi. Nous étions dans l’intime de ces seniors siciliens et forcément l’émotionnel était au rendez-vous, ajouta-t-il. ( Le pathos, la passion au sens d'Aristote.) Ce livre ne s’est pas uniquement basé sur la consultation d’archives. Le contact humain a été primordial.

 

 

Alfonso Campisi s’intéresse à l’identité, à la langue, au dialogue interculturel, à la Sicile, à la Tunisie, au bassin méditerranéen. Le sicilien n’est pas l’italien, dit-il, parlant de la langue et il établit un parallélisme humoristique en disant : 

 

 

-       La Sicile pour l’Italie, c’est un peu la Corse pour la France ! Quoi que …

 

 

Italien, Tunisien, écrivant en français, M. Campisi se définit comme Méditerranéen. Et d’ailleurs pour lui, la Méditerranée est femme et femme protectrice. ( J’eus envie sur le moment de corroborer ses dires et d’ajouter qu’elle ne saurait être autre chose que femme et femme forte et solide et farouchement indépendante.)


 

Les Italiens sont un peuple de migrants, dit-il. Et comme pour tous les migrants, le problème de l’identité est assez épineux. Il me rappela assez fortement le doyen des Italiens en Tunisie* qui m’avoua un jour qu’il ne pourrait jamais vivre en Italie. Un Italien de toujours, vivant en bord de mer ou presque, parlant et écrivant lui aussi en français.

 

Travaillant en académicien sur le sicilien, AC dit l’importance d’alimenter les langues régulièrement pour leur éviter une mort inéluctable. Il nous apprit que le travail linguistique avait commencé ces deux dernières années et qu’il continuait. Philologue, linguiste probablement, l’académicien sait l’importance de la matière vive des langues, les mots, leur utilisation, leur étymologie, leur parcours sémantique, leur polysémie, les emprunts qui s’imposent, les mots qui tombent en désuétude, par oubli … 

 

« La Tunisie pour les Italiens ? répondit-il à la positive curiosité de NJ. Un attachement fort. Beaucoup d’Italiens sont partis en France, d’autres aux USA, mais à l’évocation de la Tunisie, les souvenirs remontent et l’attachement est palpable. Ces Italiens-là parlent français, mais en Tunisie, beaucoup avaient refusé la nationalité française, étaient pour l’indépendance du pays et avaient répondu présents le jour du retour de Bourguiba en juin 55, en allant promptement à sa rencontre. »

 

Nous apprîmes que les Siciliens représentaient une grande communauté à Sfax, que certains bâtiments officiels étaient l’œuvre d’Italiens qui étaient dans le bâtiment, d’autres dans le travail du bois, le travail manuel d’une façon générale, mais il y avait aussi des architectes, des médecins … Dans les années 60/70, les Italiens rapatriés avaient souffert de racisme. Ils étaient appelés « les Italiens d’Afrique ».

 

Campisi évoqua une proche parente, Lucia Campisi, qui entreprit en 1900 des études de pharmacie à Rome, fait rare à cette époque-là pour une femme, qui eut son officine à Bab Souika et qui dit un jour sans que Campisi ait pu l’élucider : « Je ne mettrai plus jamais les pieds en Sicile ! »

 

L’écrivain qu’est A. Campisi dit aussi à un moment de son intervention la difficulté du travail d’écriture dans le cas présent, dans la mesure où les recherches se font d’une manière assez globale, l’analyse focalise sur la masse et les contradicteurs et les mécontents sont légion et désapprouvent. Ce livre peint l’aventure, la déchirure, la souffrance … 

 

NJ releva un terme que je trouvai délicat : la fuitina, qui nous fut expliqué par l’écrivain. De fuite, nous dit-il. La fuitina amoroso qui fut à l’origine du départ de certains Siciliens, des jeunes, amoureux qui n’avaient pas l’aval de leurs familles, qui fuyaient à deux pour assez vite se retrouver à trois. Et pour lesquels la destination était la Tunisie. D’autres motifs d’installation dans le pays évidemment : la recherche de travail, la mafia, la proximité …



 

-       Je travaille depuis 25 ans sur l’interculturalité et je note aujourd’hui que le sens migratoire se fait dans la direction inverse, dans des conditions fréquemment dramatiques …

 


 

Je ne regrette pas mon périple en « citoyenne lambda » de la banlieue Nord, malgré, ce soir, l’obscurité totale de la route X, l’insupportable embouteillage, malgré un malencontreux et léger accident de la route que j’aurais voulu éviter si le gradé qui en fut le responsable était en meilleur forme psychologique. 

 

L’intervention d’A. Campisi fut riche et de faire de la liberté identitaire un principe premier m’interpelle directement, qu’elle découle de choix familiaux historiques, de contraintes personnelles ou d’arrêtés ontologiques et philosophiques des êtres pensants que nous sommes. 

 

Faire le choix d’être méditerranéen est largement antérieur à être italien, tunisien ou marocain. Le bassin est bien plus vieux que le statu quo des frontières et les noms attribués aux pays. À côté du fait plaisant et heureux que l’on est un être d’eau, de transparence et de fluidité. 

 

Merci aux migrations des patchworks culturels kaléidoscopiques et je m’en irai assez vite en découdre avec M.DP, mon Grand ami, voisin familial depuis quelques quatre-vingt-dix ans.

 


 

*Il s’agit de M. Daniel Passalacqua.

  Certains de ses articles figurent dans ma plate-forme.

 

 



                                              A. Campisi et Neila Jazi




               Mohamed Aissaoui, président de l'AF et Fabio Ruggirello directeur de l'institut culturel italien









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