dimanche 27 octobre 2024

J'inscris le rêve au Patrimoine de l'Être heureux

 








- Laissez-moi rêver ! cria-t-il. 



Assis sur le sable humide, il regardait la mer. Elle prenait sa couleur hivernale tous les jours un peu plus, en emboîtant le pas à celle du ciel. Tantôt grise, tantôt noire, quelquefois bleu foncé. De temps à autre, un soleil timide faisait une rapide apparition et la faisait étinceler avec discrétion. Sur le rivage, le courant avait fait échouer des herbes marines de toutes sortes, des algues, des coquillages vides, de la matière visqueuse asséchée, comme pour se délester d’un trop plein asphyxiant. La nature se renouvelait assez massivement, de plain-pied avec le cours cyclique des saisons. Il n’y a rien de plus convaincant pour définir la Vie que la mer, de par ses constituants organiques divers, ses fluctuations, ses colères et ses accalmies.


 

Il regardait la mer avec l’espoir qu’elle lui parle, qu’elle éveille en lui ses passions multiples. Son ressac le faisait osciller entre présent et passé, entre intensité et vacuité, entre énergie et inertie, entre force de vie et sentiment de vide …


Il détestait le passé. Il détestait le poids du passé. Il haïssait ses obsessions, leur retour régulier et les oppressions thoraciques qu’elles lui donnaient. Il aurait voulu se défaire de tout cela comme le faisait la mer sous ses yeux. Se vider, se délester, se renouveler. 


 

Sa vie entière a été don de soi. À sa mère, à celle qu’il aima de toute la puissance de son jeune cœur d’homme, à ses fils, à ses amis vrais. La véracité était chez lui un critère d’implication, le seul par ailleurs et, pour cela, son long nez intérieur avait un flair infaillible. Il ne se donnait qu’aux gens vrais, c’était un critère incontournable chez lui, même s’il savait qu’autant d’exigence au quotidien était surréaliste. Mais c’était ainsi. Sa mère était partie depuis longtemps, sa femme évoluait tous les jours un peu plus dans le sens de l’abandon de ses idéaux, ses fils faisaient leur vie et ils avaient bien raison. Et lui interrogeait la mer : Était-ce que cela l’Existence ?

 


Sa femme qui fut une icône de la transgression en son jeune âge, en sa belle maturité, semblait aujourd’hui revenir à un schéma classique insupportable de médiocrité. Avait-elle été dans le jeu ? 

Était-elle une traditionaliste dans le fond ? De celles qui avec l’âge choisissent le chemin de la sagesse séculaire ? Pour faire comme toutes, pour le regard des autres … Ces séniors de l’image et des rôles qui siéent … ?


 

Détestable. Il avait la haine des sentiers battus et vivre pour lui, exister dans le sens philosophique du terme, impliquait une liberté totale et un affranchissement complet des dites « sagesses de retour d’âge ». Il aurait été dans la crédulité à ce point-là ? 


 

Il ne voulait pas d’avantage se creuser la tête. Ce moment de contemplation, d’éloignement, de répit des fadaises quotidiennes avait son mérite. Il conjurait tacitement la mer de lui renouveler ses ressources psychiques, de renforcer le désir en lui. Tant le désir était l’essence même de la continuité, de la propension à vouloir avancer et à vouloir croire. Sans cela, son regard et son esprit décapaient tout et ses pas devenaient d’une lourdeur de condamné.

 

 

Il regardait la Grande bleue. Il savait qu’elle l’écoutait, qu’elle le comprenait. C’était elle La Femme pour lui, celle dont il avait toujours rêvé, celle qu’il avait toujours voulue. Mais pour cela, il fallait être un Être d’eau, de ressac, de bleu et de profondeurs sombres. Un Être de mer. 


 

Il se leva, tapota son jean pour enlever les grains de sable humide. Son moment de plénitude s’achevait. Il retournait chez lui, la mort dans l’âme. Il détestait sa maison, la pesanteur qui y régnait, son silence … Cette femme qu’il aima tant regardait désormais un Seigneur en qui elle ne croyait pas, dont elle avait, dans sa fervente jeunesse, contesté âprement l’existence. Désormais, elle lui vouait tout son temps et toute sa concentration. 


 

Comment allait-il pouvoir continuer avec cette personne qui se vidait de tout rationalisme et de tout Beau d’à-venir ?

 

À suivre 











jeudi 24 octobre 2024

Alfonso Campisi, les identités plurielles

 








 Tissage cosmopolite

 

Nous étions une cinquantaine à la salle de projection de l’Alliance Française, ce mercredi 23 octobre 24, 18h, défiant le trafic routier, la fatigue d’une fin de journée et la langueur d’un octobre finissant.


 

Alfonso Campisi répondait aux questions de Neila Jazi modératrice francophone à l’AF, à l’occasion de la parution de son dernier titre chez Arabesques : 


 

Paroles et images d’une histoire « mineure »

L’émigration sicilienne en Tunisie

XIX ème et XX ème siècles


 

Je ne connaissais pas personnellement le Monsieur, mais j’appris via Neila Jazi qu’il était adepte de pluralité identitaire. Universitaire italo-tunisien, auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages, spécialiste de la langue et de la culture siciliennes, AC étudie les mouvements migratoires siciliens du XIXème et du XXème siècle et scrute l’histoire de la présence sicilienne en Tunisie. Son ouvrage est un recueil de témoignages vivants des pensionnaires du Foyer de Radès. 

 

 

-     Des entretiens assez difficiles humainement, souligna A. Campisi. Nous étions dans l’intime de ces seniors siciliens et forcément l’émotionnel était au rendez-vous, ajouta-t-il. ( Le pathos, la passion au sens d'Aristote.) Ce livre ne s’est pas uniquement basé sur la consultation d’archives. Le contact humain a été primordial.

 

 

Alfonso Campisi s’intéresse à l’identité, à la langue, au dialogue interculturel, à la Sicile, à la Tunisie, au bassin méditerranéen. Le sicilien n’est pas l’italien, dit-il, parlant de la langue et il établit un parallélisme humoristique en disant : 

 

 

-       La Sicile pour l’Italie, c’est un peu la Corse pour la France ! Quoi que …

 

 

Italien, Tunisien, écrivant en français, M. Campisi se définit comme Méditerranéen. Et d’ailleurs pour lui, la Méditerranée est femme et femme protectrice. ( J’eus envie sur le moment de corroborer ses dires et d’ajouter qu’elle ne saurait être autre chose que femme et femme forte et solide et farouchement indépendante.)


 

Les Italiens sont un peuple de migrants, dit-il. Et comme pour tous les migrants, le problème de l’identité est assez épineux. Il me rappela assez fortement le doyen des Italiens en Tunisie* qui m’avoua un jour qu’il ne pourrait jamais vivre en Italie. Un Italien de toujours, vivant en bord de mer ou presque, parlant et écrivant lui aussi en français.

 

Travaillant en académicien sur le sicilien, AC dit l’importance d’alimenter les langues régulièrement pour leur éviter une mort inéluctable. Il nous apprit que le travail linguistique avait commencé ces deux dernières années et qu’il continuait. Philologue, linguiste probablement, l’académicien sait l’importance de la matière vive des langues, les mots, leur utilisation, leur étymologie, leur parcours sémantique, leur polysémie, les emprunts qui s’imposent, les mots qui tombent en désuétude, par oubli … 

 

« La Tunisie pour les Italiens ? répondit-il à la positive curiosité de NJ. Un attachement fort. Beaucoup d’Italiens sont partis en France, d’autres aux USA, mais à l’évocation de la Tunisie, les souvenirs remontent et l’attachement est palpable. Ces Italiens-là parlent français, mais en Tunisie, beaucoup avaient refusé la nationalité française, étaient pour l’indépendance du pays et avaient répondu présents le jour du retour de Bourguiba en juin 55, en allant promptement à sa rencontre. »

 

Nous apprîmes que les Siciliens représentaient une grande communauté à Sfax, que certains bâtiments officiels étaient l’œuvre d’Italiens qui étaient dans le bâtiment, d’autres dans le travail du bois, le travail manuel d’une façon générale, mais il y avait aussi des architectes, des médecins … Dans les années 60/70, les Italiens rapatriés avaient souffert de racisme. Ils étaient appelés « les Italiens d’Afrique ».

 

Campisi évoqua une proche parente, Lucia Campisi, qui entreprit en 1900 des études de pharmacie à Rome, fait rare à cette époque-là pour une femme, qui eut son officine à Bab Souika et qui dit un jour sans que Campisi ait pu l’élucider : « Je ne mettrai plus jamais les pieds en Sicile ! »

 

L’écrivain qu’est A. Campisi dit aussi à un moment de son intervention la difficulté du travail d’écriture dans le cas présent, dans la mesure où les recherches se font d’une manière assez globale, l’analyse focalise sur la masse et les contradicteurs et les mécontents sont légion et désapprouvent. Ce livre peint l’aventure, la déchirure, la souffrance … 

 

NJ releva un terme que je trouvai délicat : la fuitina, qui nous fut expliqué par l’écrivain. De fuite, nous dit-il. La fuitina amoroso qui fut à l’origine du départ de certains Siciliens, des jeunes, amoureux qui n’avaient pas l’aval de leurs familles, qui fuyaient à deux pour assez vite se retrouver à trois. Et pour lesquels la destination était la Tunisie. D’autres motifs d’installation dans le pays évidemment : la recherche de travail, la mafia, la proximité …



 

-       Je travaille depuis 25 ans sur l’interculturalité et je note aujourd’hui que le sens migratoire se fait dans la direction inverse, dans des conditions fréquemment dramatiques …

 


 

Je ne regrette pas mon périple en « citoyenne lambda » de la banlieue Nord, malgré, ce soir, l’obscurité totale de la route X, l’insupportable embouteillage, malgré un malencontreux et léger accident de la route que j’aurais voulu éviter si le gradé qui en fut le responsable était en meilleur forme psychologique. 

 

L’intervention d’A. Campisi fut riche et de faire de la liberté identitaire un principe premier m’interpelle directement, qu’elle découle de choix familiaux historiques, de contraintes personnelles ou d’arrêtés ontologiques et philosophiques des êtres pensants que nous sommes. 

 

Faire le choix d’être méditerranéen est largement antérieur à être italien, tunisien ou marocain. Le bassin est bien plus vieux que le statu quo des frontières et les noms attribués aux pays. À côté du fait plaisant et heureux que l’on est un être d’eau, de transparence et de fluidité. 

 

Merci aux migrations des patchworks culturels kaléidoscopiques et je m’en irai assez vite en découdre avec M.DP, mon Grand ami, voisin familial depuis quelques quatre-vingt-dix ans.

 


 

*Il s’agit de M. Daniel Passalacqua.

  Certains de ses articles figurent dans ma plate-forme.

 

 



                                              A. Campisi et Neila Jazi




               Mohamed Aissaoui, président de l'AF et Fabio Ruggirello directeur de l'institut culturel italien









mercredi 16 octobre 2024

Cet ami qui fut fourbe, fin

 




« Lily, c’est une amitié contrariée parce que je ne sais pas faire. Je n’ai jamais su. J’ai trop de nœuds gordiens et je suis depuis toujours sous la houlette de mes poussées d’adrénaline et de cortisol. J’ai un pied largement englué dans la névrose et un autre en guerre perpétuelle avec la psychose. 


Cette oscillation entre la conscience et l’inconscience m’épuise et rythme mon amitié avec Lily. Elle, c’est une hyper-consciente et j’ai beau lui dire et lui répéter que nous sommes tous des névrosés, elle renchérit à chaque fois de la même manière :


 

-      Dans la caboche, il n’y a pas de gruyère, mais une matière grise qui est le siège du rationalisme.


 

Allez lui expliquer que quand ma thumos s’exprime, je suis désarmé psychologiquement ! Un être sous influence. Je vois rouge et adieu toute réflexion consciente. 



 

-    L’être humain est détraqué de toute manière. Rien que parce qu’il ignore tout de la vie et de la mort. Mais il est doté d’un esprit et d’un bras. Faites-les fonctionner ! C’est simple.



 

Non, ce n’était pas du tout simple. J’ai vu mon père dans des états extrêmes. Mon frère aussi. J’ai reconduit. Bien malgré moi. Alors dans les situations inextricables, le bras sert à cogner tandis que le cerveau venait de partir en cavale.


 

Allez le lui dire à cette caboche d’acier à l’attitude inébranlable ! 


 

Pour elle, être un cérébral pur est une obligation, agir sur soi un devoir. Dans l’absolu, je suis d’accord. En situation de crise, une trappe s’ouvre sous mes pieds et je ne jure plus de rien. Ce que je trouvais rare chez elle, contrairement à Drus, c’est sa franchise, sa limpidité et sa loyauté. 


 

Je crois que son entrée dans ma vie m’a mis face à l’impérieuse nécessité de la conscience et à l’usage de la raison. C’était possible par temps froids. Uniquement. Sinon, elle me laissait tomber et je peinais pour la faire revenir quand après de longs mois de gamberge, je parvenais à entreprendre une approche amicale.


 

-      C’est pour ton intelligence et ton sens de l’humour. Ta folie, NON. Tu peux être mon père que je ne l’accepterai pas. Je n’ai pas de temps à perdre avec les décérébrés. Et c’est exactement le mot.


 

Je continue à m’entretenir avec vous, à me délester. J’ai un trop-plein. Et le temps est de plus en plus court. Cela fait des mois que je n’ai pas vu Lily. Depuis l’esclandre sur l’avenue Jules Ferry. C’était une crise aigüe, je le reconnais. Mais à quoi sert l’amitié si on a des griefs contre l’autre ?  Si on lui reproche sa nature ou sa psyché profonde ? "


 

-       Au moins, Lily sait votre valeur par temps froids. Votre intelligence. Et elle n’a jamais été fourbe. Ce n’est pas de tout repos d’avoir pour ami un homme qui ne sait pas se maîtriser et là-dessus, je suis entièrement d’accord avec elle. Nous trainons tous des casseroles, ce n’est pas pour autant que l’on explose au moindre stimulus. Pensez-y. Je vous le redis pour la centième fois. »









samedi 12 octobre 2024

Cet ami qui fut fourbe, IV

 





" Nous étions mômes, nos espaces mentaux prenaient tout sauf le rationalisme et les actes blessants marquaient fort. J’avais honte de mon père et je jurai en mon for intérieur de ne jamais lui ressembler et je devins une réplique de sa personne hautement dingue. En plus vigoureux. J’avais tout bu et mon capital génétique se déploya pleinement en l'absence de garde-fou.


 

Et tout naturellement, petit à petit, je tuai mes rares amis. Drus dura quelques années, parce qu’il venait s’excuser après coup, mais concluait ses excuses immanquablement par le même leitmotiv : « Avoue qu’il y a de la vraie dinguerie chez vous ! »


 

Et chez moi, c’était carnaval tous les jours, toute l’année et le rôle de ma mère consistait à calmer, faire taire, dompter ou même empoigner. Au début, elle n’avait qu’un borderline contradicteur vociférant, nous devînmes trois au bout de quelques années de démos paternelles. Mon père, mon frère et moi. Elle n’en démordit pas. Elle était petite, prompte, forte et bagarreuse.


 

-    Je vais vous montrer de quel bois je me chauffe, bande de Cinglés ! Vous, dans vos chambres. J’attaque la Pieuvre.


 

Très vite, notre maison devint in-visitable, notre famille infréquentable, mon père craint. Le bac en poche, je partis faire mes études à l'étranger. Je n’avais plus d’amis. Ou, plus justement, je mis fin à mes relations amicales avec deux ou trois camarades de lycée. Dont Drus. 


Ma réputation était déjà bien posée : j’étais colérique, susceptible, caractériel et rancunier. Et cela était de famille. Avec un tel pedigree, on avait des chances de mal avancer et je ratai presque tout. Les amis, ma nature profonde. 


J’étirai les études en longueur, mais je levai un diplôme impraticable dans mon pays. J’étais loin d’être un béta, attention ! Je voulais simplement tout ramener à ma conception des choses, des parcours et de l’académisme. L’école ne tint jamais compte des raretés comme moi.

 

Quand je revins dans mon pays après quinze ans d’études, Drus tenta de renouer avec moi à travers elle, mais je me dérobai. Il me rappelait une époque de ma vie que je portais honteusement et je pris soin de vivre parallèlement au monde des hommes pour éviter les situations d’éclosion de ma folie extraordinaire.



 

Elle, c’est Lily, ma seule amie. Et vous, le coach qu’elle me présenta et m’imposa. Lily avait la puissance de ma mère et la générosité des créateurs et des artistes. Elle me connaissait d’un bout à l’autre, savait communiquer avec moi et m’astreindre au silence au moment des poussées fiévreuses de ma psyché. 


Je me souviens du jour où pour tester mon rationalisme - j’en étais dépourvu - elle me provoqua pour mesurer son acuité. Je volai en éclat et appuyai sur le champignon pour m’imposer et dominer. Sur un ton d’un calme effrayant, elle me dit :

 

-       Je descends. 

 

Et elle ouvrit la portière de la voiture lancée à plus de 120km à l’heure. Je rétrogradai à 30 illico. Elle descendit de voiture et héla un taxi malgré mon air penaud et mes supplications.

 

-      La folie et moi, c’est non. Catégoriquement. Soigne-toi toi-même Grand dadais, me dit-elle sans se démonter d’un iota.



Je suivis le taxi en passant par 50 états de folie extraordinaire en sautant sur mon siège toutes les six minutes comme un singe en déroute aveuglé par une psyché fantasque. "

 

A suivre