mercredi 3 juillet 2024

Le désamour creuse, 2

 








Les séances avec lui agissaient sur elle et quand elle quittait son cabinet, elle y repensait. Personne n’avait accordé autant de valeur aux mots. Évidemment, son propos n’était pas intelligible, son discours était haché, il ne délivrait qu’une partie de sa pensée et passait sous silence ce qui lui paraissait à lui évident … Et c’était précisément pour toutes ces raisons réunies et bien d’autres que les mots prenaient toute leur grandeur sémantique. Il les taillait avant de les dire afin qu’ils soient les plus appropriés possibles. Et ceci alors même qu’il rognait une bonne partie de la signifiance de son propos.

 


 

Qu’avait-il vécu tout récemment pour être à ce point dans la douleur muette et pudique ?

 

De quelles personnes parlait-il, celles qu’il disait être les plus chères à ses yeux ?

 

Qu’y avait-il derrière l’évocation de sa génitrice ? 

 

« Le désamour creuse » avait-il dit, presque tragiquement. Fut-il désavoué par quelqu’un ? 

 

Pourquoi parlait-il d’abandon de soi ?

 

 

 

Elle le connaissait depuis plus d’une dizaine d’années et parce qu’il était puissant, rebelle et libre, elle avait été acculée à adopter, de concert avec lui, une stratégie et une démarche correctrices, à eux deux. Parce que sans son implication, c’était impossible. Et ce, malgré ses confusions fréquentes, ses sautes d’humeur et ses fermetures inopinées. Elle opta pour l’interrogation avec lui et pour des modalités de questionnements basées sur la diplomatie.



 

Qu’en pensez-vous cher Monsieur ?

 

Ne croyez-vous pas qu’il faille obligatoirement votre implication ?

 

Ne serait-ce pas mieux que vous y mettiez du vôtre pour un quelque chose de probant ?

 

 


 

Mais elle ne l’avait jamais vu aussi abattu que ce matin. Et puis, cette parcimonie dans les mots, cette fierté muette qui avait plus de puissance que le plus manifeste des chagrins. Et il était noyé dans un profond déluge dysphorique. Elle n’en saura rien, parce qu’au final, c’était lui le maître du jeu et en son for intérieur, elle savait qu’il menait la barque. Sa force n’avait d’égal que sa vulnérabilité et si elle forçait, il couperait court et mettrait un terme à la séance. 

 

 

-       Vous avez besoin d’écoute, lui dit-elle, et vous avez raison.

 

-   Oui, j’ai mal là. ( Il toucha sa poitrine ) Et je ne vais pas décaper vos intentions. ( Il la regarda longuement ) Je vous dirai juste que je reçus de plein fouet des mots-épées, plutôt gratuitement et que je choisis de ne pas les relever. C’est tout.

 

-       Un bon rire et ce sera réglé. Vous savez : les pactes avec soi-même …

 

-     Oui. Quelquefois, il est préférable de se taire. Même chez vous. Et un coeur fortement heurté est d’emblée dans le mutisme. Il n’a pas l’énergie des mots. Le temps fera le reste. 

 

-       Rire est le propre de l’homme. Rions, cher Monsieur !

 

-       « La mer seule porte en son cœur battant les lancers laborieux. » 


 -   Rions, rions ! Il n’y a pas de meilleur régénérant ! Et vous le savez. 




















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