J’ai besoin de rêver de ce que la petite appelle les mots des yeux, les mots des yeux silencieux.
Que c’est ténu !
La petite, à son bureau, les cheveux épars à écrire avec une fluidité extraordinaire, des mots de tous les jours, si forts et si saisissants, dans leurs combinaisons.
Ou encore, je rêve de voir palpiter le creux suprasternal, fondement même de la vie, de tous ceux qui sont passés, malgré eux, de l’autre côté.
Je rêve, les yeux grands ouverts, des odeurs des roses mouillées, de pluie fine sur la terre retournée.
Je rêve de cette rivière si claire et de son lit docile et serpenté. Des couleurs de la clairière d’alors, vives, scintillantes, aux mille feux.
Je pense à ces êtres frêles, à ces êtres dans l’attente, d’un ordre obscène qui scellera leurs destinées.
Un ordre qui ne viendra pas.
Je pense, les tripes nouées, aux cantonnés de là-bas et j’entends les philosophes des salons, flegmatiques et fort élégants, dire la lâcheté des institutions estudiantines de renom.
Et pourtant, les jours sombres, tragiques, criminels, inhumains d’hier ne sont pas si loin … Massacres, rafle et extermination … Refaire l’histoire, remettre l’histoire, pour écraser, redessiner les contours, éradiquer, de la même manière …
Je rêve de ce qui est possible, loin des mythes destructeurs désunissant les hommes. Les hommes gras dans leur tête, à se mentir et y pendre le restant de leurs jours.
Que c’est insensé !
Mentir, se soumettre aux mirages de son esprit, s’ériger en diktat et écraser !
Et la morale ?
Quelle vacuité et quelle courte vue !
Et puis des enfants, des femmes et des hommes jetés en pâture à l’oubli orchestré.
Comme hier, comme toujours, les mêmes, les sacrifiés, les bourreaux, les sacrifiés devenus bourreaux …
En un recommencement irrationnel, des êtres de pulsions et de haine.
Pourtant, hier était un crime, hier était douleur et déchirement …
J’ai besoin de rêver des mots des yeux tristes, des yeux silencieux,
Des mots forts qui tonneront demain,
Sans haine, peut-être,
Pour quitter cet enclos de crimes bâti.
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