Crédit photo Sophie Granier
Ma décision est prise.
Je consens avec mon être profond un deal existentiel : j’ai trente-trois ans de vie devant moi.
Ce qui a l’immense avantage de repousser mes angoisses diurnes, nocturnes et ma phobie de la mort. Je suis thanatophobe et quelquefois, c’est assez compliqué.
Et puis, j’aime la vie, j’aime la mer, la nature, les coccinelles et l’amour. J’aime le Beau.
Une merveille.
I.
Ils marchaient le long de la mer, main dans la main. Une légère brise salée les décoiffait et elle adorait ces mèches qui lui barraient la vue par intermittences. Elle n’avait pas besoin de maîtriser la marche, ni les vagues, ni le rivage, ni la voie … Il regardait pour deux. Il était fort solide, protecteur et rigoureux. Elle s’abandonnait au moment.
Du bonheur tout simple avec son compagnon, à aimer la nature, ensuite l’intelligence émotionnelle, puis, toutes les autres et enfin s’aimer langoureusement. Elle haïssait le corps cru et n’y allait pas.
L’amour a un temps spécifique, tantôt fugace, tantôt lent, souvent paroxystique. Un temps rare et de le vivre est puissant.
La lune bien ronde dispensait une blancheur immaculée, calme et apaisante. Et le clapotis de l’eau, la brise iodée, le faisceau lunaire, les grains de sable aux pieds, leurs doigts entrelacés, la chaleur de leurs cœurs s’aimant dans la paix et la durée, le silence alentour … tout ceci, les emplissait de quelque chose d’indéfinissable, concrètement : un chaud au cœur, un emballement heureux. La vie était à son acmé.
Ils s’arrêtèrent, regardèrent la Méditerranée, se regardèrent dans les yeux, rieurs, et s’embrassèrent tendrement.
Il ne sentit pas tout de suite la morsure. Il crut qu’il marcha sur un débris de verre et parce que le moment était intense, il refusa de le suspendre. Deux heures plus tard, il mourut du venin de la bête. Une mort sournoise, silencieuse et brève. Il avait quatre décennies à vivre encore. Mais il vécut des intensités, dysphoriques et euphoriques, sur un temps relativement court.
II.
Il ne put jamais vivre chez lui comme il voulait. Jamais. Il était très différent du commun des mortels. Et ils lui en voulurent. En quoi était-ce leur affaire ?
III.
L’assistance était largement mature. C’était un public avisé à la chose, doté d’attention auditive certaine, d’intelligibilité évidente et de longue vie. Je dis mon être, mon parcours, mes obsessions, ma forge, l’impératif cathartique, mon travail, mes projets à venir …
Après la communication, les interactions fusèrent et j’en fus ravie.
Il y avait toute l’assistance et puis elle. Sa canne, son rouge à lèvres écarlate, ses grands yeux, ses cheveux blancs … Elle vint vers moi, s’étonna de mon prénom d’homme, me demanda d’une voix lente de lui dédicacer les deux ouvrages.
- C’est un diminutif assez fréquent chez moi, répondis-je, avec un sourire.
Je voulais l’écouter, elle avait un timbre de voix qui me rappela celui de la grand-mère de mes enfants et j’étais fort nostalgique.
- Le grand âge n’intéresse plus que les créateurs, fit-elle, espiègle.
Elle avait quatre-vingt-quatorze ans, était sculptrice et la distorsion de ses doigts donna quelque chose de saisissant à son travail, quelque chose de nouveau et de signifiant. Elle aimait beaucoup l’empreinte de sa longévité sur ses créations.
- C’est la marque de la vie sur l’art, il y a de l’authenticité et j’aime le rendu. C’est moi, ici et maintenant. Mon travail, c’est moi.
Elle parla de livres, d’accents de vérité, de paroles justes, d’être profond … C’était ma sœur helvétique, je ne la connaissais pas et les mots nous réunirent, sa curiosité toujours renouvelée des choses de l’esprit … Je l’écoutais religieusement.
- Qu’est-ce que la maturité ? finis-je par demander.
- La vieillesse, vous voulez dire ? Bel euphémisme.
- La maturité, vraiment. Cette capacité à dire les choses clairement, à passer du temps dans votre forge à vous, à assister aux choses de la culture …
- L’âge est pour moi l’à-venir. L’à-ve-nir ! C’est simple. La vie est tous les jours devant moi, qui plus est la vie d’artiste. J’en oublie la mort. Et si elle est là et bien, ce n’est pas plus mal : c’est l’ultime connaissance et le repos !
Mais j’avoue aimer ma lenteur depuis quelques années, c’est une sorte de paix et puis j’ai conscience de tout ce que j’accomplis. De mon café, à mes entrainements de mises en marche de mes membres, de mes lectures loupe à la main, à mes réalisations tordues …
Je vis si pleinement que j’ai enterré toutes mes peurs. C’est la réponse cinglante aux angoisses paralysantes de quand j’étais jeune.
À suivre
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