Je n’ai jamais cessé de regarder le monde, même au fort de la déroute. Il y a le monde et mon regard analytique. En toutes circonstances. Et même quand l’analyse ne suivait pas illico, mes impressions s’imprimaient dans mon esprit et s’exprimaient après.
Et le silence hypocrite m’est insupportable. Tous les silences, celui lié aux tabous, le silence honteux, le silence nécessaire pour sauver la face, le silence irresponsable …
Le silence est une pathologie, clairement et sans expression libre, rien ne se répare. Ce fut précisément, la panne de la parole qui fixa mes choix professionnels.
Le silence est une culture par ici, il est cultivé à grande eau. Taisons le mal, taisons le manque, taisons la honte, refoulons les choses, au fin fond de soi, jusqu’à l’implosion. La plus sûre manière de mourir vite fait, bien fait est le silence. Gardez-le et vous voilà expédié de vie à trépas.
- Je ne pense pas qu’il faille dire, me dit-il.
- Pourtant vous êtes là.
- Oui, j’en ai éprouvé le besoin.
- Prenez la peine d’actionner le robinet.
- C’est aride de l’intérieur.
- L’intérieur, c’est ce que vous décidez. Les couches sont certainement très épaisses, mais le simple fait de déranger ne serait-ce que la première est déjà un geste hautement volontaire.
- Les bras m’en tombent.
- C’est un cheminement qui a besoin d’une onde de choc pour s’amorcer ou d’une intense volonté.
- Je ne l’ai pas.
- Alors, je ne vois pas l’intérêt d’être là.
Faute professionnelle que de congédier une personne en peine qui ne peut laisser couler les choses. D’être venu vers vous est un geste de désir de réparation. Je n’avais pas su faire abstraction de ce que je ne supportais pas : le mutisme. Pour moi, les choses ne pouvaient se régler que via la parole et j’avais réagi en personne et non en professionnelle. Je me repris rapidement.
- Sachez que votre présence ici est un pas vers le désencombrement, un pas certain. Et je ne voulais pas vous voir payer sans la mise de la première pierre, celle de l’édifice en phase d’élaboration.
Je lui souris.
- Mon enfance fut lamentable et la culpabilité ne me quitte toujours pas, dit-il.
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