jeudi 2 février 2023

Frida, VI

 





Octobre 2017

 

Je rencontrai par le plus inattendu des hasards un vieil ami. J’étais à 20m de chez moi, face à la mer, qui occupe dans ma vie une place de choix. C’était mon repaire, mon repère, mon antre et ma sœur et, en toute situation, j’allais la voir. J’avais la chance d’habiter quasiment en face et de la voir agissait sur moi bénéfiquement. De la regarder, élargissait mes voies respiratoires, m’inspirait, fixait mes couleurs et mes formes et je repartais chez moi légère, heureuse et surtout productive. 

 

Ri était un ami lointain, nous fîmes connaissance quand j’étais adolescente. Il était poli, élégant, souriant et gentil. Il demanda de mes nouvelles et je lui dis de but en blanc qu’il aurait fallu se manifester durant la période difficile, que j’allais très bien et que quinze jours après la séparation avec l’homme de ma vie, j’avais repris travail et vie extérieure alors que je saignais de l’intérieur.


C’est que je suis un être de vérité et je dis les choses. Et puis, j’avais estime et respect pour lui depuis toujours. En réalité, je connaissais très peu les autres et même si j’étais d’un naturel très méfiant, je tombai dans le piège, assez rarement, j'avoue. Il proposa son amitié, son soutien et m’appela assez régulièrement pour avoir de mes nouvelles. Je respectais sa sobriété et sa discrétion et puis l’amitié comptait pour moi.

 

Des miettes de ma personne un peu en perdition voulurent croire au genre humain et Ri me rassurait. J’avais une aversion pour les hommes sans les avoir fréquentés, mais Ri était un ami et j’avais un regard asexué. Depuis toujours, même du temps de la vie à deux. Il fallait d'abord venir en ma compagnie sur le champ des couleurs et ensuite, après déblayage de l'espace de la créa, après entre-chocs féconds, on méritait de s'aimer. Une pure sapio.


Je me confiai à lui et il vit mes blessures et mes béances. 


 

-       Pense à toi. 

-       Je pense à moi et j’ai la main sur mon être profond. 

-       Tu as besoin de soutien.

-      Pas vraiment. J’ai besoin de partager mes couleurs et ma philosophie existentielle. J'ai besoin d'échanger dans un contexte tapissé d'authenticité. 


C’était un homme de droite conformiste et je trouvai intéressant de lui montrer les chemins de traverse du regard et de la pensée. Pour lui, afin qu’il voie d’autres manières d’être au monde, librement, dépoussiéré des mythes et légendes des éducations conservatrices. 


Il n’y avait pas accès et trouvait dans la construction de son être, des repères rassurants et rédempteurs. Ce n’était pas pour moi, mais l’amitié autorisait plus de différence que l’amour et l’amour ne me disait plus rien. Je crois aujourd’hui avec du recul que les hommes classiques ont un bas-fonds machiste et que l’idée de la femme seule et éplorée leur plait assez. Certaines, d’ailleurs, en font leur arme de séduction. Haïssable.

 

Cher Ri, lui dis-je, un jour, comment peux-tu penser un seul instant que je suis un être en devenir sur le plan artistique et ontologique ? Je me chercherais encore ? Non, non, non, autrement, je me serai adaptée. Tu manies le répétitif et l’obsessionnel, tu es un être double avec un dedans et un dehors et tu vis pour le paraître. 


Qu’as-tu apporté de personnel à ton être pensant ? A ton être ontologique ? Quelles ruptures sont de ta facture ? Quelles ruptures déjà et où se manifestent-elles ? Sais-tu seulement l’apport de la pratique de l’art dans la vie des êtres de tourmente métaphysique ? Ta sagesse fort soignée t’ouvre-t-elle des portes d’entendements étonnants et divers ?


Non, les génuflexions ne me disent rien, c’est de la vacuité. Libre à toi cependant.



-       Une relation d’amour avec toi est destructrice.

-     Il n’a jamais été question d’amour. D’estime oui. Et de confiance. Les yeux dans les yeux et sans détours.




 


 

 


Que reste-t-il de nos authenticités passées ? dit-elle. Si même l'amitié a des arrières-pensées ?

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