mardi 31 janvier 2023

Frida, V

 







 

-       Je veux vivre pour moi, dit-il. J’ai passé ma vie au service des autres.  

-       Quels autres ?

-       Tous les autres. 

-       Se valent-ils ?

-       Cela n’a aucun sens. Je suis le seul, aujourd’hui, à faire valoir.

 

J’aime la terre, je la hume et elle est en moi, mais qu’elle devienne centrale dans ma vie, c’était difficile. Je voulais d’une forge à deux, mais mon compagnon était à une heure psychique autre. Il avait besoin d’espace plein les yeux, d’enfoncer ses bottes de baroudeurs dans la terre mouillée, d’inhaler des odeurs originelles à différentes heures de la journée de l’aurore au coucher de soleil. Il avait mué.

 

Je ne pouvais comprendre alors.

 

Commença pour moi une vie en solo, partagée entre travail en extérieur et atelier. Les couleurs, centrales dans mon existence, jouèrent un rôle fort dans la réorganisation d’une psyché chamboulée et d’une vie à deux interrompue net. Elles me réchauffaient, me tenaient en haleine, me remuaient et m’offraient un espace d’élagage respiratoire. 

 

Je me racontais sur des toiles tendues en malaxant les couleurs de toutes sortes, en variant consistances, formes, et profondeurs. Je glissais dans mes œuvres des cris muets que moi seule voyais et savais. 


Je m’étais familiarisée avec les crises impromptues, les sentais venir et leur apposais respiration abdominale, yoga, méditation et peinture. J’en vins à bout en près de deux ans à l’aide du millepertuis que j’introduisis dans mon alimentation : une plante aux vertus légendaires qui agit brillamment sur mes neurotransmetteurs. 

 

Le travail continu sur moi-même me sauva, la vigilance me tint en alerte, je ne perdais plus de vue mon être profond ni mon être physique ; encore aujourd’hui que tout cela est derrière depuis plusieurs années. Le corps est perfide et je me dois de l’avoir à l’oeil. 

 

De même, si je ne suis pas fort heureuse, je suis loin d’être malheureuse et j’ai aboli toute addiction sauf celle du travail et de la créativité. Mon équilibre m'appartient.


Oui, j'ai bien la barre en main, grâce à la force des neurones, grâce à l'Art et grâce à une détermination sans faille neutralisante. 

 

 

 

 

                                                                                  

                                                                                     

lundi 30 janvier 2023

Frida, IV

 





Huit jours au lit et pas un de plus et chose folle, je bannis tout médicament et focalisai sur les vitamines. Je repris le travail en extérieur dans des conditions épouvantables minée par un trouble anxieux généralisé : des attaques de panique récurrentes et imprévisibles. 


La perfidie de l’attaque de panique est dans sa ressemblance à l'identique avec le malaise cardiaque et je mourrai quatre à cinq fois par jour. Évidemment, mon corps réfractaire à mon dirigisme absolu décida de faire jouer ma tension artérielle et ce fut des variations fantasques. C’était le plus dangereux. 

 

Qui dans un contexte aussi rose, pouvait faire entendre raison aux dieux ? Je décidai de vivre, mon burnout ou ma dépression, in vivo. 

 

Aujourd’hui avec du recul, je me demande comment j’avais fait pour livrer cette guerre sans merci à un corps grippé par une maltraitance quotidienne, un rythme effréné, une résolution obstinée à en découdre avec tout et d’abord avec un bonheur glissant. C’est que je suis une addicte absolue du bonheur. C’est-à-dire du Beau. Dans l’air, le soleil, la réverbération, dans mon antre de couleurs, chez moi, avec les miens et tout ce qui m’entoure. Un absolutisme à la Louis XIV ou à la présidence à vie de Bourguiba. Je me levai tous les matins avec l’objectif premier, final et ontologique de créer du Beau. Et il en fut ainsi jusqu’au refus de continuer le jeu de l'autre-soi-même. La légende du coeur unique. Le jeu admis au départ, consenti pleinement, adulé et suivi lui devint un handicap, pire un must de nantis.

 

-       La vraie vie est une tomate en salade.

-    Mais la vraie vie, nous n’en avions cure !  C’est de la trivialité. C’est le Et mon bureau ? des Réparties de Nina !

-       Un peu de Nina dans la vie, c’est bien aussi.

-       C’est un abandon de notre pacte.

-       On peut aussi changer dans la vie.

-       En régressant ? L’intérêt ?

-       Du repos.

-       Le repos final ne nous ratera pas. 

-    Pourquoi faut-il tout ramener à la métaphysique, à l’esthétisme, à tes obsessions ontologiques ?

-      Peut-être parce que ce sont les fondements de notre coexistence.

-   Dans la rue, je ne croise pas des Salvador Dali tous les jours, ni des Spinoza, encore moins des Paul Éluard.

 

Ce fut le début d’un cassage minutieux, régulier, laborieux, déterminé, pervers, vengeur d’une vie de Beau bâtie, conçue à deux, imaginée et consentie.


    -  Je suis d'abord un être de banalités.

    -  Mon opposé complet, alors.








dimanche 29 janvier 2023

Frida, III

 



                                                                         Coeur laminé




 

J’enduisis de couleurs mes mains désarticulées, les violentant afin qu’elles se ressaisissent. Elles étaient molles, lamentables, déroutées. Ma tête avait sa cadence habituelle, mais mon corps refusait d’exécuter, comme pour se venger de mon hyperactivité de 45 ans. La toile blanche du chevalet, au coin de la fenêtre sur mer, reçut des marques folles, des hurlements de doigts en agonie. Je m’écroulai. En clinique, ils notèrent un 20 de tension et une frénésie de refus de se laisser faire, d’abdiquer.

 

-  Un burnout, disaient-ils, entre eux. Toutes les valeurs sont en baisse. 7 de taux d’hémoglobine. Comment a-t-elle fait ?

 

Le personnel médical sait-il que les dits-patients entendent ?

 

Aujourd’hui avec du recul, je me souviens que durant une quinzaine de jours avant la Grande panne, je m’alimentai très peu. Je n’avais aucun sentiment de faim. Quelquefois, je prenais une pomme comme par souvenir de la nécessité de se nourrir. Mais, en réalité, je le faisais machinalement. Je préparais une importante exposition, je travaillais au dehors aussi et j’étais cassée dans ma vie privée par une résistance à l’équilibre - le mien -, aux rires légers et au bonheur. Mon partenaire refusait d’être heureux, selon ma conception du bonheur. Il voulait s’échapper de ma cage dorée, impeccable de sur-Beau et de Créa.

 

Comme pour mieux être au plus bas, mes menstrues folles, décidèrent d’une hémorragie qui m’acheva. J’ai encore le souvenir de mes jambes ensanglantées au volant de ma voiture ( ! ) par un flux de robinet ouvert. Je gardai le lit huit jours, sous sédatifs et bétabloquants. Ce fut le seul répit que je m’étais autorisée jusqu’à aujourd’hui que je suis dans une large cinquantaine. Ma tête convint d’une pause pour, de nouveau, ressaisir la barre. C’était la vue du sang qui me convainc. Mon rationalisme était indemne. 










samedi 28 janvier 2023

Frida, II

 




 

J’aurais pu mourir, mais je tins le gouvernail d’une main bancale, contre une marée montante et déchaînée. Le plus dur était le chaos intérieur, une bataille de gladiateurs entre se tenir debout impassible et plier sous un poids de nulle part, parfaitement obscur.


Pourtant, il y eut des signes, mais les dieux refusent d’écouter. 

 

Dans cette tornade sans nom, il y eut des gens. Les plus proches. Ceux à qui on ne peut mentir. Et ceux qui tirent satisfaction de la chute des dieux et qui vous épient du coin de l’œil. Les Sournois. Dans vos lieux forcés.



Octobre 2007

 

Je descendis à mon atelier, tremblante, mais j’avais décidé d’en démordre avec cette chose qui me tenaillait l’estomac. Comme une crise qui s’amplifiait progressivement. J’avais du mal à bouger mes mains et elles étaient en désordre. J’avais 45 ans et jamais de ma vie, je n’avais eu de soucis de gestion de quoi que ce soit. J’étais habituée à galoper sur mon cheval de choix. 







 

vendredi 27 janvier 2023

Frida, I

 Frida la Guerrière 

 

 

Dirigiste, droite, autoritaire, la tête archi remplie d’envies de vie, j’avais mon existence dans le creux de ma main. J’avançais, la tête haute. Et je bâtissais. Tout, méticuleusement, selon mon prisme, avec pour seuls critères : intelligence et Beau absolus. Mes doigts chargés de couleurs enduisaient idées, choses et êtres dans un faire absolutiste. Je caressais Ma vie. Parce que tous décrétèrent que j'étais étonnante et rare. 

 

Et puis un jour, je ne sus plus avancer ou plutôt j’avançais entre ciel et terre se touchant, et puis s’éloignant. Je marchais en hauteur, clignant des yeux de tant de séquences visuelles m’attaquant l’iris, épouvanté de ne plus savoir s’adapter, dilaté le plus souvent, en raison de gros nuages noirs. Ma tête refusait de lâcher le pouvoir et mon corps décida subitement de n’en faire qu’à sa tête pour sortir de la quadrature étouffante. Un duel éreintant. 

 

J’étais en dépression. Par refus d’abdiquer. Et l’angoisse et la panique s’amusèrent à me faire souffrir. Je luttais. C’est mon terrain et je suis maître à bord !

 

Et bam ! Grippée, frigorifiée, décontenancée, tremblante, en peine de lever un bras, je me battais à mains nues, refusant de m’arrêter, de voir la réalité et de m'abandonner pour un temps. 






 



mercredi 18 janvier 2023

Aujourd'hui, j'ai pleuré

 

Narration à la première personne





Aujourd’hui ma benja m’a envoyé son texte dans sa dernière mouture. Elle participe à un concours d’écriture. Encore un et sa plume est sensible, rationnelle et forte. Étonnante jeune personne depuis son enfance et quel regard vif et acéré sur les choses et la vie. La déchirure l’a marquée de son fer déroutant, en spirales. Mais elle sait se dresser, redémarrer, s’arrêter et faire écouler.


Étonnante jeune fille à la beauté saisissante, fluette, fragile, forte et coriace. Agissant sur les choses et bousculant les tentatives de fixité. Sortant à la vie avec détermination, désirs et volonté tenace. Évidemment c’est de l’amour, mais aussi du spectacle et du suivi à distance sur deux continents.


Vingt ans, un port, une tête, un regard et l’absolu sens du Faire sur tout ce qui peut alourdir et stopper.


Ce matin, j’ai pleuré. Parce que l’écrit est toute ma vie. La sienne aussi et qu’à deux, nous nous sentons et nous nous entendons, dans le sens de se saisir mutuellement.


J’ai déboursé l’équivalent de 60€ pour lui extraire sa voix - à lui, le fondamental, comme elle l'écrit ... -  du vieux téléphone gardé au fond du tiroir, avec les livres. Plus loin, tous les livres et la bibliothèque et la pipe de bois ciselé  et les vieilles mignonnettes originales ... 


Une belle voix inconnue, me dit-elle, avec un sourire. Lui, peut-être. Ou pas. Vaguement. Elle me parle tous les jours un peu plus. 


Et elle accoucha de ce texte fort et sensible, ce texte ontologique, émouvant et puissant.


Je lui dis que des approches de lectures diverses étaient possibles : sociologique, psychologique, psychique, philosophique et même économique. Insupportable, que je suis, sûrement, avec mes travers de prof et de discoureuse dix-huitièmiste. 

 

Cette jeune fille est un diamant pur de sensibilité et de philosophie existentielles. Plus forte que moi qui suis pas mal stoïque quand même.


J’apprends. 


Merci de l’émotion matinale, c’est encore meilleur qu’un bain d’iode. 


Ma PDA d'esprit et de puissance.