dimanche 28 novembre 2021

Dans les dédales d'Ontos

 



 

Laborieusement,

Briser, briser …

Par à-coups,

Nihiliste.

 

Laborieusement, 

Rompre, rompre …

A petit feu,

Iconoclaste.

 

Par inconfort,

Peinture érodée d’un rêve grandiose. 

Un bout d’être, fou de Beau,

Le Beau mirage.

Englouti. 

Casser, casser …

Un marteau à la main.

 

L’océan bleu, grand et éperdu,

Castrateur : se débattre, inspirer.

Détruire, détruire …

Pour espérer.

 

Aventure périlleuse,

Miroir tout frais, 

Mensonger. Le sien.

Nous sommes bien peu de choses.

 

Laideur de s’aimer, 

Plus que d’aimer l’autre. 

S’aimer follement et sans vergogne,

Parce que le champ de culture

Est bête et sans culture

Que celle du gourdin.

 

Il est bien laid le monde des hommes,

Des nains de soi, à lorgner par-dessus la balustrade.

Monde de femmes indignes ou pas d’ailleurs,

Qui vous instiguent à butiner le pistil défendu.

 

Regards divergents, panses aux antipodes.

Au couteau, sanglant,

Au duvet, idiot et coulant.

 

Pourquoi faut-il toujours que nous nous cherchions dans les dédales d’Ontos ?






samedi 27 novembre 2021

Dans l'herbe rosée

 



Pour espérer un regain
Il faut une senteur,
Humus et vents frais.
Marcher les mains,
Dans les poches, sans se hâter.

Une histoire à tramer

Un frôlement d'homme de peu de mots
Et signifiant.
    
        
"C'est moi Grand nom
Je connais le vôtre !
Mon père fut et le vôtre !"

Misère de la petite histoire
Si lourde et sclérosée

"Attention je peux bousculer
Si ce n'est la conformité."


Pour espérer regarder,
Une stature libre et fière
D'être-repère et,
Repaire.

Cet être, dans le fond, si réservé
S'approcha sans mots dire

Les silences d'homme
Vrais et dignes
Sont blés dorés
Parce que la nature
N'est pas tapage.

Je sais,
Vous savez,
Vous existez dans l'herbe rosée.






vendredi 26 novembre 2021

Je ne vivrai jamais sous vos sabots lourds et bruyants, 3

 


Saloua, c’est moi et je suis six pieds sous terre, mais mon esprit reste vivant et agissant dans celui de la Scribe, comme elle a toujours été appelée par ses pairs.

 

Il s’agit d’espérer qu’ici et maintenant, l’histoire s’écrive, l’histoire dans ses deux sens. 

Il s’agit d’œuvrer afin que Femme s’émancipe d’elle-même de tous les remplissages séculaires, de tous les endoctrinements qui s’enracinent au fil du temps, aux dimensions de l’ignorance, du statu quo de la pensée, de l’exploitation de la peur ; et, aujourd’hui, de l’envahissement du visuel, de l’image et de son immédiateté, au détriment de la réflexion longue, patiente, empirique qui semble plus que jamais d’un autre temps. 

Le monde de la réflexion n’a jamais été très couru, mais il faut savoir compter avec les minorités savantes, les esprits libres, les traumas socio-économiques, le génie personnel et le regard juste. Malgré tout, l’intelligence vaincra.

 

 

Je ne voulais pas lâcher mon pays avant d’y apposer fortement mon empreinte. J’y ai beaucoup travaillé dans l’intimité des salles de classe, espace grandiose de passation de lumière - ou d’obscurité – d’architecture spirituelle et de liberté. Les esprits s’y épanouissent de toutes les manières pourvu qu’on sache faire, substituer, multiplier les démarches et ne pas en démordre. Les innovations pédagogiques, espace-phare de mon amie la Scribe. 

 

J’avais pourtant deux roses à cultiver, à voir s’épanouir … Ce sont mes côtes qui me lâchèrent et mon être profond se tut. Je devins un récipient d’humeurs et de sang. Je crois aujourd’hui que la seule chose qui vous fait abdiquer est la douleur quotidienne et l’épée de Damoclès. Pourtant, je restai lucide jusqu’au bout, parfaitement lucide à rendre compte à l’amitié de mes protocoles de santé, de mes analyses personnelles, de l’évolution de la Chose. Je fus exceptionnellement docile, après toutes les réponses spécialisées mandées.

 

Je suis venue au monde, par le hasard des mouvements sociaux, dans une contrée assez sage. Sûrement au regard des cultures envahissantes et notamment celle arabe, caractérisée par un diktat de soumission, à Dieu, à ses hommes, à la morale et aux élucubrations qui se greffent dessus : superstitions, micros-mythes et narrations de rien bâties sur la Peur et l’ignorance des petites personnes manipulables à souhait.

 

Ce qui revient à constater l’étendue du travail à entreprendre, la résistance sur terrain et la violence toujours possible. Jusqu’au mal, je me suis battue socialement

 

Très jeune, politiquement. Le dernier combat fut existentiel, ontologique. Mes forces partaient. Je m’y remettais. Je rechutais. Le pompiste* hurlait les pénuries. Un combat de gladiateurs, une arène ardue et des règles de jeu totalement anarchistes. Je perdis, mais pas tant que cela. 

 

Quelques jours avant de partir, alors que toute ma famille était autour de moi et qu’une de mes sœurs prit le téléphone pour dire mon indisponibilité, je tins à parler à la Scribe.

 

-    Je suis très fatiguée. Prête à toutes les éventualités. Avec cela, j’ai respecté tous les protocoles. C’est ainsi.

 

Je sentis son émotion contenue, sans mots dire.

 

-       Repose-toi, me dit-elle.

 

Ce fut notre dernier échange. Je partis quatre jours après. Et je savais qu’outre l’amitié pourtant tardive, outre la différence générationnelle, nous étions unies par la poésie, les Lettres, le statut de la femme, la liberté, le projet sociétal et politique, l’amour des roses, de la Beauté sous toutes ses formes et bien évidemment l’écriture. Sommes-nous ce que la colonisation a fait de meilleur ? Et bien soit, si c’est la liberté, mais je pense plutôt que c’était nos géniteurs et nos génitrices.

 

Contre la sclérose, il s’est toujours agi d’écriture, de peinture, d’édification, d’ouverture de brèches, d’aération spirituelle et de remise en place de tout ce qui est sujet à la confusion.

 

Je crois, je dis, je proclame haut et fort que l’Existence est femmes et Femmes agissantes. C’est inhérent à toute discrimination que ce juste retour des choses, préférentiellement dans l’équilibre.



* Le pompiste : métaphoriquement la Vie.

 

 

 

                             

 

 

 

 

jeudi 25 novembre 2021

J'ai peur du jour où mon monde s'écroulera

 





I.

 

« J’ai peur du jour où mon monde s’écroulera.

Mon monde si bien ficelé. Je sais qu’un grain peut tout faire diverger. L’inexpliqué. L’inexplicable.

 

Je suis un homme du silence, un homme dur et je hais le mensonge. J’ai commencé à vivre, il y a quelques mois, à plus de soixante ans. Il y a toujours eu entre les choses et moi un décalage temporel. Elle me l’a dit.

 

Je suis confus en tout, même dans les gestes et parce que je remets mon stylo, toujours, à la même place, je crus que les autres avaient tout faux. Je suis vraiment bouché bien que je sois doté d’une intelligence émotionnelle.

 

Dans les gestes, vous dis-je … J’ai dû en avoir une dizaine voire moins, bien moins. Je ne sais pas faire, c’est ainsi.

 

Je sais aujourd’hui que je me mens, que je n’ai jamais eu la force d’exister comme je le veux, que je n’ai jamais été libre. Je ne sais même pas ce que cela veut dire.

 

J’ai vécu dans l’attente de l’acquiescement des autres.

 

Voilà. C’est mon coming out. »



 


 

 

II.

 

Dans ma solitude faite de couleurs, je pense à l’autre.

 

« Des odeurs chaudes, du feu, de l’eau de Dieu, celui du délire ontologique heureux. J’ai lu, rêvé, écouté, j’ai marché sur le rivage, les pieds dans l’écume chatouilleuse. J’ai longtemps bâti de mes mains certaines des édifices complets, riches de perspectives à venir. J’ai peint des fresques de désirs aux mille couleurs. »

 

Dans ma solitude si riche, si précieuse, si désirée, la scribe vaque à ses pérégrinations heureuses. 

 

Il y a l’amie disparue dont le sourire est toujours aussi fort, la dignité visible et l’engagement renouvelé. Je la ferai vivre encore et encore afin que des clones investis se multiplient.

 

Il y a l’ami précieux des jours blancs énergivores, l’ami à la main tendue, à la parole vraie, debout à l’affût des risques de précipices. Un ami du silence dans l’inconfort d’un continent englué. Un rire qui s’épanouit de loin, qui s’assèche de près, qui meurt à l’instant tabou.

 

Il y a le trèfle aux coins qui se tisse à son tour, cheminement naturel dans les dédales de l’existence. Qu’elle lui soit belle.

 

Il y a l’encre de toi qui ne cesse de se renouveler, toi la scribe, enfant fragile et si tenace, enfant heureuse et innocente, plante vigoureuse et combative. A apprendre, à donner, à sculpter, à réinventer le jour et les lendemains. 

 

Il y a comme un vide, comme une colère fausse, comme un désir de happer une graine fertile. Une graine fertile pour tisser. De nouveau, toujours. 

 

« Allons vers le champ de blés dorés, cueillir la rose et la cultiver. »






mardi 23 novembre 2021

Je ne vivrai jamais sous vos sabots lourds et bruyants, 2

 


                               Les professeurs du lycée Alaoui, 1958, Tunis.


Saloua 2

Ma génitrice était maîtresse d’application et c’était beaucoup. Les enseignantes des années 40 étaient rares et celles qui s’attelaient au Savoir était d’une rigueur monacale. Je pense qu’elle me sculpta par endroits mais le gros de mon architecture me vint de mon père. J’étais forte, déterminée, stricte, combative et j’aspirais à la totale parité homme-femme. 


Le leader Bourguiba, qui dut changer de peau pour propulser la femme, y fut pour beaucoup. Le génie des faiseurs est de savoir se défaire des jougs moraux et sociaux.

 

Mon pays était petit, pauvre, sans perspectives. Le citoyen lambda vivait sous un petit beylicat qui prenait l’eau de partout et qui se sclérosait à vue d’œil. Le gros de la politique était parades, cuivres, pantins, privilèges après le Grand Moncef Bey. 

Lamine Bey était doux, fin, chétif de santé. Il n’avait jamais voulu du pouvoir et il eut besoin de protecteurs pour maîtriser les rébellions. L’époque était lente, sans renouvellements et sans projets et le peuple mourait de faim et de misère. Le colon lui sculptait sa personne, la grandeur de la France, ses missions éducatives et spirituelles. Pas tant que cela.

 

Je suis descendante d’enseignants. Mon grand-père fut le premier tunisien à enseigner au lycée de garçons de S., ma mère y fit ses classes sous la houlette de son père qui tint à ce qu’elle fasse des études, devint maîtresse par intérim, passa divers examens et devint maîtresse d’application. Nous sommes en 45/50 approximativement et les femmes tunisiennes enseignantes étaient extrêmement rares. Le courage, la détermination, la rigueur, la liberté de ma mère me marquèrent-ils ? Cela ne fait pas de doute. J’y ajoutai la colère, l’implacabilité et le refus de l’autorité, d’où qu’elle vienne et cela est de moi.

 

J’étais belle, très belle. Grande, très blanche, les cheveux jais. Et si timide au fond de moi-même. Je ne fis rien de cette beauté physique, je ne l’utilisai point en femme. Tout à mon sérieux, à mes convictions socio-politiques. Peut-être aurais-je dû ?

 

Étudiante, je pris part à de nombreux combats. Je pris position, j’écrivis, je fus arrêtée, malmenée par la DST, ensuite relaxée et je finis par mener ma vie d’enseignante dans une réserve complète. Le pouvoir d’alors ne rigolait pas, la police politique encore moins et j’étais fille de famille. 

 

Beaucoup de mon silence d’adulte trouva son origine dans cette arrestation. Elle fut traumatisante, mais non seulement elle aiguisa davantage et virulemment mes revendications, mais encore elle me fit faire du combat - certes moins exposé – une gestuelle de vie. Je m’exprimai, écrivis et je m’épanouis véritablement sur les réseaux d'échanges en 2011, quand tout le monde fut débâillonné. Tous prirent la parole, tambour battant, pêle-mêle, à cor et cri, à hue et à dia ... Je m’inscrivis - et m'inscrivais déjà - tout naturellement dans l’équivalent du mouvement de De Beauvoir, Sartre, Breton, Camus, Aragon … autant dire que mon public était restreint, dépassé, d’un autre siècle. C’est mwé le rwé*. 

 

L’heure était, est, à l’image, aux influenceuses, aux bouches siliconées … 

 

Le Manifeste du surréalisme attendra. Pourtant, je ne lâchai pas le morceau, moi Saloua et toutes les autres Saloua, libres, dignes, soucieuses de laisser une trace, d’agir en vue d’agiter le progressisme comme seule alternative à la libération des esprits.  La libération des esprits et principalement celui des femmes : enfermées, utilisées, assujetties, humiliées, rabaissées, violées, réservées aux soucis domestiques, presque décérébrées à force d’interdits et d’arguments dits sacrés. Non, ce n’est pas pour moi. Pour aucune des vraies Saloua, farouches et entières, promptes et incisives, déterminées et agissantes.

 

 

*Allusion à un des rois de France exilé en Angleterre. A son retour d’exil, l’ancien français laissa place au français. Il allait dans les rues de France en criant : C’est mwé le rwé ! 









                                       Vers la lumière, crédit photo DMZ


mercredi 17 novembre 2021

Je ne vivrai jamais sous vos sabots lourds et bruyants, 1

 




Je m’appelle Saloua et je suis six pieds sous terre. Peu importe mon prénom, mon nom - quoique … - je suis une femme née dans le monde dit - un peu à la hâte - arabe vers le milieu du XXème et, ce n’est pas peu dire. 

 

Je suis une femme née dans une société conservatrice et assez figée, une société soumise et crédule, une société chevillée par une culture de la soumission, celle d’envahisseurs à l’origine, devenue la culture de ceux parmi lesquels je suis venue au monde.

 

Une petite chance cependant : vers les années 1950, politiquement, se préparait un vent de liberté, de libération et de mimésis productive. Mon pays se battait, tentait de se dégager du joug colonial, encore un après de nombreux autres historiquement, tous expansionnistes mais aux faire différents. 

 

Mon pays palpitait dans l’objectif de se défaire des protecteurs, de ne plus vivre sous les gros sabots bruyants et dans l’indignité. Un essaim de libérateurs impatients, intelligents, vifs et patriotiques voulaient prendre les rênes. Ce fut un seul comme c’est souvent le cas. Peut-être sa virulence, évidemment sa lutte, sa force, son courage, sa diplomatie, ses accointances … Il y a toujours des pans opaques de l’histoire. 

D’autres parleront de chance, mais je ne suis pas preneuse. 

 

Un libérateur pressé de lever le joug, de guider, fort de sa détermination, de son parcours, admirateur du Savoir et des lumières. Il a dû se battre en lui-même et avec lui-même, contre les tenaces relents de la culture de la soumission, héritée bon gré mal gré, parce qu’on noircit fréquemment les pages blanches de tout et de n’importe quoi. Bourguiba devint moderne, imposa la contribution économique de la femme dans un pays sans ressources. Derrière lui, Mathilde Lorraine, l’épouse-mère. Elle a compté. 

J’avais pas loin de dix ans.

 

En ces années 55 et suivantes, froid et liesse, liberté et vaste chantier, peu de moyens mais des convictions abouties : l’instruction, l’école, le savoir, libérer, secouer le lourd carcan du conservatisme sur le modèle du colon, sa réussite …

Nous nous mîmes en rangs serrés et un et deux … vers l’école, les maîtresses aux jupes longues, aux bonbons aux coings en récompense, à la longue règle directrice et aux grands tableaux noirs. Nous avions un destin. Libérer, casser les chaînes.

 

Toutes ces jeunes filles sortirent de chez elles vite fait, bien fait et devinrent modernes, fortes, militantes … J’en fis partie. Évidemment. J’en fus même l’une des plus virulentes et des plus sincères. Je crois.