Saloua, c’est moi et je suis six pieds sous terre, mais mon esprit reste vivant et agissant dans celui de la Scribe, comme elle a toujours été appelée par ses pairs.
Il s’agit d’espérer qu’ici et maintenant, l’histoire s’écrive, l’histoire dans ses deux sens.
Il s’agit d’œuvrer afin que Femme s’émancipe d’elle-même de tous les remplissages séculaires, de tous les endoctrinements qui s’enracinent au fil du temps, aux dimensions de l’ignorance, du statu quo de la pensée, de l’exploitation de la peur ; et, aujourd’hui, de l’envahissement du visuel, de l’image et de son immédiateté, au détriment de la réflexion longue, patiente, empirique qui semble plus que jamais d’un autre temps.
Le monde de la réflexion n’a jamais été très couru, mais il faut savoir compter avec les minorités savantes, les esprits libres, les traumas socio-économiques, le génie personnel et le regard juste. Malgré tout, l’intelligence vaincra.
Je ne voulais pas lâcher mon pays avant d’y apposer fortement mon empreinte. J’y ai beaucoup travaillé dans l’intimité des salles de classe, espace grandiose de passation de lumière - ou d’obscurité – d’architecture spirituelle et de liberté. Les esprits s’y épanouissent de toutes les manières pourvu qu’on sache faire, substituer, multiplier les démarches et ne pas en démordre. Les innovations pédagogiques, espace-phare de mon amie la Scribe.
J’avais pourtant deux roses à cultiver, à voir s’épanouir … Ce sont mes côtes qui me lâchèrent et mon être profond se tut. Je devins un récipient d’humeurs et de sang. Je crois aujourd’hui que la seule chose qui vous fait abdiquer est la douleur quotidienne et l’épée de Damoclès. Pourtant, je restai lucide jusqu’au bout, parfaitement lucide à rendre compte à l’amitié de mes protocoles de santé, de mes analyses personnelles, de l’évolution de la Chose. Je fus exceptionnellement docile, après toutes les réponses spécialisées mandées.
Je suis venue au monde, par le hasard des mouvements sociaux, dans une contrée assez sage. Sûrement au regard des cultures envahissantes et notamment celle arabe, caractérisée par un diktat de soumission, à Dieu, à ses hommes, à la morale et aux élucubrations qui se greffent dessus : superstitions, micros-mythes et narrations de rien bâties sur la Peur et l’ignorance des petites personnes manipulables à souhait.
Ce qui revient à constater l’étendue du travail à entreprendre, la résistance sur terrain et la violence toujours possible. Jusqu’au mal, je me suis battue socialement.
Très jeune, politiquement. Le dernier combat fut existentiel, ontologique. Mes forces partaient. Je m’y remettais. Je rechutais. Le pompiste* hurlait les pénuries. Un combat de gladiateurs, une arène ardue et des règles de jeu totalement anarchistes. Je perdis, mais pas tant que cela.
Quelques jours avant de partir, alors que toute ma famille était autour de moi et qu’une de mes sœurs prit le téléphone pour dire mon indisponibilité, je tins à parler à la Scribe.
- Je suis très fatiguée. Prête à toutes les éventualités. Avec cela, j’ai respecté tous les protocoles. C’est ainsi.
Je sentis son émotion contenue, sans mots dire.
- Repose-toi, me dit-elle.
Ce fut notre dernier échange. Je partis quatre jours après. Et je savais qu’outre l’amitié pourtant tardive, outre la différence générationnelle, nous étions unies par la poésie, les Lettres, le statut de la femme, la liberté, le projet sociétal et politique, l’amour des roses, de la Beauté sous toutes ses formes et bien évidemment l’écriture. Sommes-nous ce que la colonisation a fait de meilleur ? Et bien soit, si c’est la liberté, mais je pense plutôt que c’était nos géniteurs et nos génitrices.
Contre la sclérose, il s’est toujours agi d’écriture, de peinture, d’édification, d’ouverture de brèches, d’aération spirituelle et de remise en place de tout ce qui est sujet à la confusion.
Je crois, je dis, je proclame haut et fort que l’Existence est femmes et Femmes agissantes. C’est inhérent à toute discrimination que ce juste retour des choses, préférentiellement dans l’équilibre.
* Le pompiste : métaphoriquement la Vie.