samedi 28 décembre 2024

Suis-je fatalement un désorienté ? 2

 











-       Vous voulez vraiment que je dise les choses ? Jusqu’où êtes-vous prêt à vous regarder de l’intérieur ? Y a-t-il seulement des aspects de votre psyché que vous ne connaissez pas ? Vous êtes beaucoup plus intelligent que moi et j’apprends de vous depuis fort longtemps.


 

-       Dites-moi tout, je vous prie. Je suis tout ouïe.


 

-      Vous ruminez depuis des décennies, c’est excessif et je ne vois pas l’utilité. Vous vous inscrivez peu dans le faire, par contre. La praxis. Vous vous savez fort intelligent et tellement intuitif, mais je vous trouve peu engageant et peu engagé. Vous vivez en vous-même, dans une introspection continue et cela dure. Je suis votre seule société et c’est très peu. Vous n’ouvrez pas la porte du monde extérieur. Est-ce par crainte ? Par franche détestation ? Par déception ? Évidemment, je connais les raisons, mais je ne suis pas de votre avis. Le monde extérieur est utile, s’adapter est une vraie compétence humaine. Il faut savoir faire, surfer sur les aspérités et arrondir les angles. Le mensonge souriant, l’échange léger, l’hypocrisie légère - l’amabilité en d’autres termes - font la vie qui n’est d’aucune manière une Cité parfaite. Les hommes et les femmes de tous les jours ne sont pas des Schopenhauer en puissance. Ce sont des gens ordinaires, qui vont et viennent, sourient et pleurent, s’accommodent et avancent bien mieux que les êtres de génie, les philosophes et autres êtres de tourmente intellectuelle. Pourquoi devrait-on penser son discours avec vous ? Choisir ses termes et toucher les étoiles ? Pourquoi êtes-vous un être de suspicion et un inquisiteur ? Sont-ce ces deux aspects de votre personnalité qui vous acculent à la grande solitude ? Et le rire dans tout cela ? Vous riiez bien quand vous étiez enfant ? Et le partenaire dans votre existence ? Où est-il ? Quelle place aura-t-il ? À moins que vous ne vouliez le mettre au monde et le façonner selon vos désirs. Seriez-vous un Pygmalion amoureux d’une statue de son œuvre ? Devrait-on pour être dans vos bonnes intentions perdre l’usage de sa langue et gommer sa personnalité ? Je vous vois froncer les sourcils. Ah oui, il ne faut pas évoquer l’amour et le partage ! J’avais oublié. Dites-moi, s’il vous plait, l’intérêt d’une vie de réclusion, de frustration, de silence, de rumination à l’excès, de grande solitude, d’introspection H24, d’abstinence, de colère rentrée, de condamnations de l’ombre, de « rapetissage » de tout, de redéfinition de tout, d’évitements divers … Vous m’aviez dit la dernière fois que vous aviez en vous un enfant contrarié. Faites-en un enfant rieur et joueur ! Je crois fermement que ce que vous avez de mieux à entreprendre est faire revenir de loin cet enfant qui fut rieur, il y a fort longtemps. Cet enfant devenu un adulte acrimonieux à l’égard de lui-même et des autres, qu’il raya de sa vie. Secouer vos puces, faites les choses, entreprenez un mieux-être, descendez de votre trône névrotique. Vous avez Le matériau le plus efficace, levez le bras ! Je vous rappelle que vous me pressiez de m’exprimer et je le fais sans aménagement. Je prends le risque de vous perdre afin que vous vous retrouviez ou que vous vous trouviez vous-même. Enfin. Parce qu’il est temps et que les litanies pèsent. Voilà.

 

Il la regarda longuement en silence, cela dura près de dix minutes. Elle soutint son regard et n’en démordit pas. Il finit par tourner sa tête vers la fenêtre qui donnait sur la mer, s’en emplit les yeux fort pensif et dit :


 

-     Vous avez tout dit. Le plus dur est de mettre le pied à l’étrier. Faire les choses, agir. Vu sous cet angle-là, je suis tout simplement insupportable, admit-il, en se levant.


 

Il lui serra la main et prit congé. 

 

 

 




 






 

vendredi 27 décembre 2024

Suis-je fatalement un désorienté ?

 Cabinet de coaching psychologique et PNL







 

Il prenait ses rendez-vous en fin d’après-midi quand le cabinet se désemplissait et veillait à ce que l’heure soit respectée à la minute près. La secrétaire le savait impatient et nerveux et l’appelait au moindre retard. La salle d’attente était vide et il parut soulagé. Elle l’introduisit assez vite.



 

« Chère Madame, l’enfant qui est en moi est malmené. Je le crois du moins. J’ai rêvé il y a peu d’une soirée familiale, il y avait ceux qui me connaissaient le mieux, que j’aimais tant et si mal. Les odeurs étaient si fortes que je les ai encore au nez et vous n’êtes pas sans savoir l’importance de la mémoire olfactive. Un séjour bien chaud, assez cossu humainement et on y riait pour la moindre boutade. Pourtant je riais peu adolescent. 

 

Peut-être parce que mon père m’intima l’ordre de ne plus pleurer, un jour de grosse colère. Je n’avais jamais compris pourquoi les hommes ne devaient pas pleurer. Je me rappelle du courroux de ma mère qui ne supportait pas les interdits paternels. « D’un autre temps », disait-elle. 

 

Était-ce ce diktat de la sécheresse lacrymale qui fit de moi ce que je devins à seize ans ? Un adolescent qui ne supportait pas les siens. Toutes les familles du monde dysfonctionnent, un peu, beaucoup … Et puis, il y a ces liens forts, puissants, chaotiques, douloureux. On répare ou on essaye et je ne savais pas faire. Je n’ai jamais su. J’avais un chaos dans la tête, encore aujourd’hui, je crois.

 

Dans la filiation, il y a une chaîne et un déterminisme agissant qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Le plus important est la volonté de faire les choses, d'agir sur soi, d'être résilient, de construire un semblant d'équilibre. Ce que je n’ai jamais su faire.

 

La colère intérieure creuse et la rupture est la preuve d'un échec.… Mais à seize ans, on est seul au monde et ce que je viens de vous dire est d’aujourd’hui et, pourtant, la colère revient fréquemment. Peut-être suis-je encore, aujourd’hui, maintenant, ici, en train de cogiter et de ne pas agir ? C‘est tout moi, cela.

 

Chère Madame, je ne trouve toujours pas mon unité. Pourtant, je vous paye pour cela depuis de nombreuses années. Suis-je fatalement un désorienté ? »

 

« Vous êtes, vous, ce qui vous constitue, votre personne, votre singularité, lui dit-elle. »

 

« Et c’est supposé me suffire cette formule fort lapidaire ? Non, non, c’est bien plus complexe que cela. Probablement aussi qu’un capital génétique et des psychoses de famille s’en mêlent. La branche maternelle a eu bon nombre de tordus du ciboulot ! »

 

( Il éclata de rire. Elle garda son air attentif et sérieux. )

 

« Je ne vous trouve pas tordu. Je vous trouve singulier, je vous le répète. »

 

« Fortement singulier, dans de cas-là. Vous savez, je saisis tout, mais agir n’est pas dans mes cordes. Je suis empli d’une pesanteur et assis à mon bureau, mes membres s’allongent, s’introduisent dans le sol, loin très loin … comme le font les racines de l’eucalyptus ou du saule pleureur. Et pendant tout ce temps, les choses se bousculent dans ma tête, l’enfance, les miens, ma mère, les années d’études, la solitude, la peur de la folie … Celle-là est on ne peut plus régulière et cela date !

( Il se tut un moment et la fixant des yeux, lui posa une question. )

Est-ce vrai que vous ne me trouvez pas tordu ? C’est ce que vous m’aviez dit, il y a un instant. »

 

« C’est vrai, répondit-elle, en le regardant droit dans les yeux. Mieux, votre intelligence est saisissante. Votre discours est quelquefois dans tous les sens, je vous le dis, mais il est toujours fort intéressant. »

« Et bien, je vous remercie de votre honnêteté, chère Madame. »


Il se leva, prit congé et promit de revenir bien assez tôt.

 

À suivre




vendredi 13 décembre 2024

Lettre à mes lecteurs

 










Chers lecteurs,


J'écrirai moins dans les prochaines semaines. Je me concentre sur un ouvrage qui paraîtra fin mars, en principe. 


N'hésitez pas à m'écrire. 


Merci à tous ceux qui me suivent des quatre coins du monde :) Je vous sais gré. 


Les écrits n'ont de valeur qu'à travers vous, votre attention, votre décryptage et votre sensibilité.


Toute ma gratitude,


Sam. SBZ

 
























samedi 7 décembre 2024

Je rêvai de son doigt diaphane sur mon front, Fin

 






 

 

Un ciel vide et un monde affublé de gnoses. 

Un oiseau volait au loin, son gazouillis puissant était la simple représentation de l’Être au monde. 

Elle avait lu des livres, des traités, l’histoire, pas mal de philosophie. Elle regardait les êtres, suivait les événements, observait la nature et les choses. Elle s’attardait sur les visages, lisait les tressaillements, décodait les expressions les plus fugaces et mettait des mots dessus. 

 

Beaucoup de ses proches partirent et d’abord les siens immédiats, des êtres d’édification avec leurs forces et leurs faiblesses, leur richesse et leur dénûment. Ce fut des temps décisifs, mais l’extinction de leurs voix, la froideur de leurs corps après le silence méthodique et par paliers de leurs organes vitaux furent révélateurs. L’Homme est destiné à mourir. Il est dénué de tout pouvoir et ne possède aucune capacité d’agir sur la finitude. 

 

Il a l’immense richesse de décider, jusqu’à une certaine mesure, de son segment, de sa tranche de vie, du temps qui lui est imparti, dans l’absolu et, en dehors de toutes considérations, de santé physique et psychique, de considérations sociales et pécuniaires multiples et variées. Mais cela est un autre sujet. L’existentialisme et la praxis, l’esprit d’entreprise et la volonté, la détermination et le cœur qui y est mis.

 

Le ciel est vide et ses composts sont autant de réponses très simples à ses interrogations enfantines pulsatiles et lancinantes. De la matière organique, des gaz, des mélanges hétérogènes, des fusions … Elle avait passé bien du temps à observer le mélange des matières, leur fusion, veillait à ce que les déchets ne soient pas gâtés, à ce que ses savants composts ne soient pas en contact avec la terre et malgré toutes ces attentions, le temps long, un chainon se produisait, de nulle part et de tout, et les vers de terre étaient au rendez-vous. Les outils de compréhension scientifique étaient peu approfondis chez elle et elle s’en remettait à la philosophie et à d’intenses perceptions personnelles. La Vie venait au détour de mille et une observations, d’une manière spontanée et inattendue, probablement laborieuse, silencieuse et infinitésimale. 

 

Elle vit partir le second cercle familial avec la maturité. Et la douleur fut moindre, philosophique et compréhensible. Et elle prenait soin en échangeant avec ses amis impliqués dans ces questions métaphysiques, la boutade d’un parent chercheur : bientôt les cafards nous soigneront, disait-il, pour la faire révulser. Les médicaments du futur, ajoutait-il. Et devant sa mine déconfite, il précisait : ils seront policés, en poudre blanche, immaculée, dans des contenants pharmacologiques. 


Une manière de voir les choses dans leur immédiateté, après transformation scientifique ici, sans le rejet primaire. Une sorte de regard neuf, dénué de cette épaisse couche sémantique qui rajoute du faux, du lourd et de l’invalidant.


Nous mourrons et c’est tout. Et c’est ainsi. Sous un ciel vide que les Anciens de pacotille ont alourdi de mythes, d’interdits et de grotesques. Les Anciens, 5000 ans derrière et, on leur accorde du crédit parce qu’ils sont aussi vieux que la mort à une échelle variable.

 





-     Je construirai ma Vie, je L’emplirai et je m’EN délecterai gaiement, sans les miasmes des angoisses mortelles. Peut-être vivrai-je ce qu’il y a de plus beau ...  Je m’y attelle.













vendredi 6 décembre 2024

Je rêvai de son doigt diaphane sur mon front, 3

 






















Le père était effondré, la mort de sa sœur quasi jumelle - ils avaient moins de deux ans d’écart entre eux, se disputaient âprement adolescents et s’adoraient adultes - la spectaculaire colère de sa fille, la lourde tâche de ne rien laisser paraître ou très peu pour éviter les débordements émotionnels … 

Cette jeune fille au tempérament si mesuré, si réfléchi avait implosé et avait tout gommé après, pour se lancer dans des explications farfelues du monde. Il avait peur et ce sont ces peurs terrées au fin fond des hommes qui les font se consumer à petit feu, souvent bien plus que les femmes qui sont, elles, fréquemment dans le verbe libérateur. Des schémas toujours vérifiables et à considérer avec prudence. 



Et il la savait d’un sérieux extra-ordinaire pour son âge. Plus cette teneur inhabituelle … ces interrogations métaphysiques, que lui sentait dans sa chair au fort de la cinquantaine, mais qu’il réprimait parce que son savoir n’était pas apte à les résoudre, parce qu’il les savait dérangeantes et inutiles, parce qu’elles ne relevaient pas de ses compétences et, surtout, parce qu’il craignait le courroux d’un Dieu qui existait probablement et auquel il fallait se soumettre pour ne pas subir ses menaces et ses exactions. 

Il avait déjà douté, très jeune, à la mort de sa mère, quand ses prières étaient boudées. Il faillit même crucifier une tante quant, à la mort de son père, elle eut la brillante idée de dire à la cantonade que le Fils de Dieu était bien mort sur la croix, Lui, et qu’aucun être au monde ne Le valait.


Un épisode violent qu’il n’est pas évident de mettre en mots encore aujourd’hui. La Bible vola en éclats, la tante fut appelée à prendre congé et tout buffet fut prohibé. On ne pouvait, le cœur en lambeaux, s’adonner au cérémonial pour le plaisir d’entendre dire qu’il fut bien accompagné. 


Oui, les êtres indélicats se doivent de se faire discrets lors des moments émotionnels intenses. Même en dehors des tragédies grecques, d’Œdipe et de Créon, d’Antigone et d’Étéocle … 


La Vie. Faite de force et de faiblesse, d’énergie et d’épuisement. De maux et de silences. De gestes fort, préférentiellement, et d’effacement. Parce que l’acmé n’admet pas la platitude des discours officiels gobés. Il se rappela du large pourboire qu’il dut donner, sur le conseil d’une proche, au prêtre chargé de mener la cérémonie funèbre de sa mère. Il se souvint de ses gestes élargis de paix et de recueillement - après cela - des billets disparus d’une main leste et experte, en une seconde fugitive. 

 

-    Vos soutanes de pacotille, vos Pater Noster et vos Ave Maria. Je viens au monde pour y mourir, trouvez-moi une gnose à CELA. 


 

Pourquoi le ramenait-elle à cela ?

Qu’allait-elle faire de cela ? Un chantier inutile et sans fin.

N’était-il pas bien plus aisé d’acquiescer à la connaissance des Anciens ?

Tout ce remue-ménage métaphysique n’était-il pas porte ouverte à une aire en jachère depuis des lustres et qu'il faudrait réanimer ?

Cette toute jeune fille ne s’attelait-elle pas à une démarche périlleuse et confusionnelle ?

 

Il était désemparé. Il avait toujours compris que d’avoir opté pour la crédulité sans demander son reste lui avait coûté moins cher psychiquement. Qu’il était bien plus aisé de se reposer sur les cieux, la transcendance, la gloire, la simplicité de l’Éternel. Un modus vivendi consenti avec lui-même, dans sa dualité fourvoyante.

 

-    Pardon Seigneur, dit-il au fin fond de lui-même, machinalement. J’ai peur. C’est mon enfant …