Il y a chez les enfants seuls, les enfants à l’appétit livresque sûr, une promptitude à croire, une ingénuité à faire de l’authenticité et de la sagesse des principes de vie conducteurs, une honnêteté à écouter et à entendre. Ils ont aussi des espaces spirituels extensibles à souhait, un regard curieux et un désir d’entendement assez fort. Mais il ne faut pas jouer de leurs appétences ni surtout de leur honnêteté.
C’était ce qui advint de cette jeune fille. Elle avait cru aux explications de ses parents. Elle trouva l’être divin, beau et généreux, juste aussi. Elle avait réuni ses cousins et ses cousines, tous plus âgés, leur soutint qu’elle avait la solution : se réunir, prier toute une nuit avec toute son énergie et sa sincérité et se faire entendre de Dieu.
- Papa, je me suis adressée à un ciel vide. Je crois bien, lui dit-elle, le jour de l’enterrement. Ce n’est pas possible d’être sourd à ce point à la douleur de mes cousins. Je vais m’occuper de cette histoire. Cela fait des années que vous me racontez des choses insaisissables, rocambolesques … Je vous ai crus. Elle est où la lumière ? La justice ? La bonté ? Un Dieu protecteur ?
Elle est où la compassion, Papa ?
J’ai l’impression que je perds quelque chose ce soir, Papa. Quelque de chose d’Immense, mais qui n’a jamais existé en réalité.
Il est où Dieu, Papa ? Il est où ce soir ?
J’ai adoré sa poésie, sa force, sa beauté, son équité … Et là, il n’y a rien … Tata est partie comme l’oisillon de la fois dernière, en un temps éclair. Comme ce frère que je ne connus pas et dont la disparition t’a coûté tes yeux.
Je crois Papa, que tu m’as raconté ce qu’on t’a raconté et ainsi de suite … Une belle histoire non vérifiée ni par toi ni par personne. Il aurait fallu s’en convaincre Papa, par vous-même. Je le ferai. Les choses se mêlent dans ma tête, Papa. Elle explose et je ne suis pas très bien.
Son père la regarda en silence. Voyant qu’elle pâlissait, il alla lui chercher de l’eau, mais ses jambes devinrent molles et elle perdit connaissance. Ce fut les deux semaines les plus difficiles de la vie de ses parents. Elle eut une sorte de bouffée délirante de près d’une semaine entre pleurs et questionnements divers, entre colère et besoin de certitudes, entre reproches et accalmie. Son père refusa de lui administrer des calmants, mais il lui parla longtemps de vie et de mort, de visible et d’invisible, de force et de faiblesse humaines et surtout de gratuité.
- C’est ainsi. On ne sait pas tout. On est destiné à partir un jour, mais il faut veiller à ce que son chemin soit intelligent, beau, bienveillant et généreux. Mais toi qui aimes lire, tu verras, un jour, tu trouveras des réponses qui calmeront ta colère et ta curiosité. Repose-toi encore un peu. Après, reprends tes livres, tes études et ton beau rire. Nous t’avons dit ce que les Anciens ont dit à nos aïeux, à nos grands-parents et à nos parents … Nous n’avons rien inventé, lui dit-il.
Il passa du temps avec elle, évita les propos qui la mettaient en colère. Il dut faire appel à son imagination pour faire preuve de cohérence et pour lui tenir un discours assez convaincant. Il comprit ce faisant que cet enfant aurait dû s’écorcher les genoux avec les gamines de son âge, que de l’avoir laissé s’introduire et puis glisser littéralement dans le monde des livres sans accompagnement n’avait peut-être pas été une très bonne idée, que son grand sérieux était saisissant, déroutant et inquiétant. Et il fut inquiet.
Et commença pour son adolescente un travail de longue haleine, un travail de fond et d’investigation pour tenter de trouver dans les livres des réponses à la Vie, à l’Existence, à l’ontologie, à l’homme, à son fondement et à son utilité.
Dans les librairies, elle touchait les livres, un prédicat, un adjectif, un mot, un titre … retenaient son attention, la saisissaient et elle y allait, feuilletait l’ouvrage, en faisait l’acquisition et s’enfermait dans son espace pour faire sien son contenu. Ce fut ainsi pendant des années. Sans répit.
- Le ciel est bien vide et nos vies sont à enrichir, se disait-elle.