lundi 16 septembre 2024

Moi, 3

 








L’équilibre a des exigences que je ne connais toujours pas. Ce n’est pas faute de n’avoir pas essayé, loin de là, mais les choses ont toujours plutôt mal tourné pour moi. Les hommes sont fous, c’est une vérité. Pourtant je prenais le temps de réfléchir avant d’agir et je peux attester que je n’ai jamais trahi. Peut-être qu’à force de vouloir coûte que coûte être heureux … Peut-être que l’obsession du bonheur nous induit en erreur. Peut-être qu’elle nous rend hyper exigeants et insensibles aux petites satisfactions de tous les jours. Peut-être qu’elle nous aveugle et ne nous laisse pas voir le premier des bonheurs : le bien-être physique, les petites choses aussi … Et puis, la jeunesse est plutôt bête … Mais là, c’en était fini de toutes ces tergiversations, cette belle personne, je l’attendrai jusqu’à la fin de mes jours.



 

J’avais une large cinquantaine et donc le ver était bien dans le fruit : je ne savais pas combien il me restait à vivre. J’avais des angoisses et un petit compte à rebours s’était mis en place. Je voulais cette élégante personne, en partenaire, en amie, en promeneuse, en co-lectrice, en ce qu’elle voulait bien me céder ou m’offrir. Et pour cela, je devais dominer mes pensées les plus obsessionnelles. Celles qui faisaient du chemin dans le conduit auditif jusqu’au tympan voire jusqu’à sa caisse ou encore celles qui faisaient focus sur les orteils et la forme des ongles. 



 

Nous commençâmes par des promenades en bord de mer. Elle adorait la Bleue et cela me ravit. La mer apaise, elle emplit nos poumons d’espoir, invite au silence et à l’humilité et pose d’emblée le romantisme comme le seul cadre qui vaille pour exprimer sa sensibilité.


Je me taisais, elle aussi, on regardait le paysage marin comme des naufragés de la vie qui gardaient l’espoir de la sérénité, mais qui prenaient soin de ne pas s’exposer. C’était exactement ce que je ressentais, elle aussi fort probablement. Les femmes sont difficiles à cerner et je n’essayais plus de toute manière. Je laissais les choses se dérouler, les habitudes se mettre en place. 



 

-       La mer est l’expression même de la vérité recherchée âprement. Dans tous ses états. Là, elle est haute, sombre et je la sais tumultueuse dans ses profondeurs. Un peu comme les grands adultes. Elle a un dehors conformiste et une essence bouleversée.

 

-    Sûrement, répondis-je. Je trouve positif le fait que les bouleversements ne nous anéantissent pas et que malgré tout, nous maintenons le cap. 

 

-       Ce n’est pas faux, dit-elle. Nous n’avons pas d’autre choix et c’est vital.


 

 

Qu’avait-elle vécu de si intense ?

A l’âge de la grande maturité, certaines interrogations n’avaient plus lieu d’être. Nous marchions côte à côte et j’avais une envie folle de lui effleurer la main. Je ne le fis pas, par prudence. Elle était plutôt laconique comme personne, dense aussi et je savais qu’il fallait que la première manifestation de tendresse vienne d’elle.



 

-       Par tous les temps, je me balade en bord de mer, m’apprit-elle.

 

-       On peut le faire les samedis matin, si vous voulez.

 

-       Volontiers ! 




Et nous fixâmes un rituel hebdomadaire de promenade iodée, tôt le matin. Et au fur et à mesure, quelque chose se tissait entre nous, de l’ordre de la confiance et de l’apaisement. Nous parlions musique - elle jouait du piano - architecture - ma spécialité – cinéma, politique, mais nous estimions que l’âge avançant, on avait mieux à dire. La polis fatigue.


Sa conversation était plaisante, souple et elle avait de l’écoute. Un samedi, après notre balade marine, je lui demandai si elle voulait dîner avec moi. J’adorais les bons restaurants, les fruits de mer et les desserts au fromage.



 

-       Et c’est mon anniversaire !

 

-       Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, me demanda-t-elle, en souriant.

 

-       Votre présence, répondis-je.

 

-       Mais encore ?

 

-       Votre conversation.

 

-       Soit ! 

 

-    Nous irons au Sablier, nous aurons toute la baie de Gam sous nos yeux. Cela vous convient-il ?

 

-       C’est parfait, j’aime beaucoup ce coin. Je vous invite, dit-elle.

 

-       Je vous inviterai aussi.

 

-       Ce sera parfait.

 

 

Et ce fut un dîner mémorable qui donna du large à notre relation, comme elle la voulait déjà. Le cadre était beau, l’eau traversée par la ligne lunaire scintillait. De petits lampadaires à la lumière corail prêtaient aux tables des airs d’îlots, ici et là. Nous étions des cinquantenaires beaux, élégants, conversant dans une légèreté agréable, nous taisant pour emplir nos narines des senteurs de nos plats iodés, pour flatter nos yeux du spectacle silencieux de la Méditerranée enchanteresse.


Nous parlâmes de nos vies passées sur la pointe des pieds, de nos enfants, de nos rêves avortés, de nos réussites, de nos goûts musicaux et artistiques, de nos livres-cultes, de nos amis, les faux et les vrais …

 


Elle portait une robe longue vaporeuse grège, à fines bretelles, des pierres bleues aux oreilles. Elle avait la peau délicate, ce qui conférait à son allure générale quelque chose de digne et de poétique. De temps en temps, une brise légère me ramenait son parfum, une senteur marine me semblait-il, lointaine et fraîche. Elle était d’une élégance et d’une simplicité belles à voir et je sentis leur effet sur les autres dès notre entrée. Une Dame distinguée, aux mots mesurés. 


J’eus honte de mes pensées profondes des premières rencontres et je compris qu’il y avait d’autres manières d’être bien dans sa peau, d’être épanoui et serein. Elle donnait le tempo, cela lui appartenait, clairement. Et j’étais dans l’obligation de suivre le mouvement. 


Néanmoins, l’homme instinctif n’allait pas tarder à revenir, pour ensuite se cacher, espérer et consentir à trouver au calme, à la mesure et à la sérénité, quelque chose de vraiment beau. Le tout en un cercle vicieux, au final, plutôt vivifiant. Sauf que nous les hommes sommes d’un prosaïque à toute épreuve. 











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