Moi, 2

 

 

J’ai toujours détesté les extrémités, particulièrement les pieds. Ces choses honteuses qui se cachent et qui mentent. Or, je haïssais le mensonge et les entourloupes. Et ils étaient dedans huit mois sur douze. Je leur en voulais de leur manque de clarté et d’assurance. Et je soignais les miens et je les bichonnais et je les faisais râper voire curer et ma podologue me tançait vertement. 

 

-       Obsessionnel !

 

Alors les pieds des autres, il me fallait du temps et puis venait la dictature. Quelquefois, un lâcher-prise sous la pression des plus conscientes et puis ça re-pointait le bout du nez et c’était selon la vigilance. Et il valait mieux en avoir. Parce que pour me rabaisser le caquet, rien de tel qu’un rappel des règles de politesse élémentaire. Et j’avais honte de moi. 

 

Pourtant, j’étais globalement quelqu’un de plutôt « normal ». Oui, oui, tout ce qu’il y a de plus normal avec quelques obsessions comme nous en avons tous. 

 

 

Elle portait une paire de sandales très fine, à lanières vieux rose qui se fondaient presque dans sa peau. Son pied était soigné, fier, légèrement longiligne et ses ongles étincelaient. Probablement, un brillant, mais très discret. Et j’adorais la discrétion. Elle devait faire un 38 de pointure, un 38 et demi, pas plus. Je savais qu’il ne fallait surtout pas exprimer mes pensées profondes. Les femmes libres étaient dans le jugement et elles préfèreraient savoir que les hommes s’attardaient sur le modèle de la chaussure que sur la morphologie des pieds.

 

- Belles sandales, dis-je, dans une hypocrisie masculine, toute recommandée.

 

-   Vous semblez vous connaitre en chaussures féminines, dit-elle, mi-amusée mi-ironique. 

 

-       Pas vraiment. Mais le beau ne trompe pas, dis-je, dans un sourire vrai.

 

 

Et je l’avais séducteur et assez désarmant. Elle sourit discrètement.

 

 

On passe sa vie d’homme à rêver du must féminin. Elle l’était et je faisais attention à ce qu’elle ne traduisît pas mes pensées profondes. Ses pieds étaient tracés au burin de Pygmalion … Un bonheur d’y poser ses regards … Le graal, de les caresser. En l’espérant fortement incompétente en traduction simultanée. 

Je la voulais en femme et en partenaire pour les derniers cents mètres. Avec détermination. Elle était élégante, posée et intelligente. Et je ne peux pas dire que ma vie d’homme fut parsemée de petits bonheurs réguliers. Non, ce fut tantôt vertigineux tantôt aux abysses. 

Or, j’avais toujours rêvé d’équilibre.