vendredi 27 septembre 2024

On est bien peu de choses ...

 

On est bien peu de choses et mon Amie la Rose ne me l'a pas dit ce matin ...






Nous discutions Noritta et moi. Je lui avais demandé comment lui était venue sa foi, si elle avait ajouté à son héritage culturel quelque chose de personnel, si elle avait retourné la grosse pierre pour voir d’elle-même ce qu’il y avait en-dessous. 


 

-     Je suis née dans une famille pratiquante. Pas mon père, mais ma mère faisait la prière, faisait le carême. Pour moi, c’était tout naturel que je lui ressemble et puis la foi m’apporte de la sérénité.


 

-       Quel a été ton apport personnel ?


 

-       J’ai foi en ce qu’on m’a dit et ça me rassérène. 



 

J’avais une tout autre façon de voir les choses et surtout de les poser. Je n’avais jamais rien pris sans l’avoir retourné, rien saisi sans y avoir apposé mon sceau personnel. Il me fallait à chaque fois mettre à rude épreuve mon échelle de conviction personnelle. Mon entendement fort exigeant refusait toute forme d’obédience millénaire, soumise, aveugle. Il me fallait observer, expérimenter, agiter dans tous les sens les prédicats, les soumettre à mon imperturbable rationalisme … Il me fallait interroger le spatio-temporel, les conditions de naissance des grandes idées, le tissu sociologique d’alors, psychologique, le degré d’éveil des contemporains des grands dogmes … Ce faisant, les choses se désagrégeaient et la réalité triomphante faisait son apparition. Le processus ne laissait aucune place aux supranaturels, aux supercheries.


 

Nous étions devant la mer, une dame vint nous exprimer son admiration.



 

-  Vous êtes belles Mesdames et fort élégantes. Je voulais vous l’exprimer.



 

Nous la remerciâmes. J’avais l’impression que son beau sourire m’était familier. 




   - Je ne crois pas, me dit-elle. 




Deux jeunes femmes attablées non loin de nous regardaient avec insistance dans ma direction. Noritta était de dos, elle ne vit rien et je ne dis rien. Quand l’une d’elle remarqua mon étonnement, elle se détourna poliment et cela s’arrêta là. Je crois que c’était un couple. Peut-être crurent-elles la même chose de nous. Ou alors c’était moi.


 

Norrita est professeur de linguistique. Nous étions amies depuis des années. Ce n’était pas une intellectuelle, mais une Dame élégante et courtoise. Issue d’une famille nombreuse, je l’avais souvent considérée comme moi : fille unique. De même, nous avions une dizaine d’années de différence d’âge et je ne l’avais jamais vu. Nous nous voyions régulièrement pour un petit-déjeuner ou un déjeuner, notre conversation était légère et il y avait de l’affection entre nous, malgré de nombreuses différences caractérielles et de tempérament.


 

Nous avions commandé des cafés et des viennoiseries aux amandes. Je trouvai mon café plutôt fort dès la première gorgée et je me demandai si c’était bien un cappuccino, le seul café que je m’autorisais, ayant un estomac sensible aux excitants. Nous conversions quand j’eus une montée de sang au visage, Noritta le vit et me le dit.



 

-       Tu es toute rouge ! Ton cou, ton visage !

 

-       J’ai une bouffée de chaleur, lui dis-je.



J’allai aux toilettes. Je me rafraichis les mains, le cou. Je tremblais intérieurement. En retournant à notre table, les choses allèrent très vite. J’avais du mal à écouter Noritta et mes idées étaient confuses. Je me levai, partis vers ma voiture garée non loin du café. Noritta m’y rejoignit. Et ce fut affreux. Froid intense, tremblement, zéro énergie, zéro existence physique et peur irrationnelle. Hypoglycémie, hypotension et, cerise sur le gâteau et apport personnel : attaque de panique.

 

Nous sommes si peu de choses et le tout est de résister. Quelque chose entre s'être oubliée la veille sur le plan alimentaire, un malaise vagal et la peur de mourir. 











https://www.youtube.com/watch?v=6wxwUfki8EI
💙

vendredi 20 septembre 2024

Moi, Fin

 















Nous prîmes l’habitude de dîner ensemble une fois par semaine, ce qui faisait deux rendez-vous hebdomadaires. La promenade iodée du samedi matin était un pur bonheur marin. Nous assistions à tous les états de la Bleue selon la saison, la force ou la tiédeur du soleil, le vent, son souffle ou ses bourrasques … 


Je me souviens encore d’un samedi glacial, fort pluvieux où en anoraks et en bottes de jardinage, nous marchions en bord de mer, le visage glacé par le froid. Elle avait des gouttes de pluie qui perlaient aux cils et elle souriait à la Méditerranée, elle me souriait et disait adorer le grand froid. 


Nous étions heureux comme des mômes sans que nous eussions posé un nom sur notre relation de quelque nature qu’il soit. J’appris à aimer la vie, simplement, à aimer la mer, le soleil, le froid et même le vent. J’introduisis dans ma psyché le bonheur libre, sans addiction, sans passage obligé par les moyens classiques. Quand je le lui appris, elle me regarda avec douceur et me dit :



 

-  Les exigences du corps sont puissantes. Et assez difficilement assouvies entre dix-huit et cinquante. C’est laborieux et, en soi, c’est une force de vie absolument époustouflante. Et puis, il y a ce déclic de la mi-vie, il y a comme une sorte de dignité. « Je ne suis pas que cela, que des zones érogènes. » Je suis regards multiples, regard profond, scrutateur, analytique, affectueux, aimant, généreux … C’est une intelligence des sens et des émotions, une conscience de la vie et du temps qui passe, du décompte. Ne miser que sur les pulsions durant ce dernier quart d’heure est une gageure perdue d’avance. Des déconvenues à la clé, du mal être … La vie est bien plus que cela. Bien plus étendue et c’est juste magnifique à chaque nouvelle signification.


 

 

Je buvais chaque mot comme un assoiffé au beau milieu du désert. Jusqu’à notre rencontre, et trivialement, je ramenais ma personne aux orifices, pour dire les choses prosaïquement. Et d’ailleurs, depuis quelques années, je n’avais pour objectif principal que de retrouver les performances de mes vingt ans. Je vécus assez mal l’arrivée de la cinquantaine et la baisse de ma libido et je m’acharnais de toutes mes forces pour me sentir dans la peau du bel étalon que j’étais – pour peu que je l’eusse été aux yeux de mes partenaires.



 

Ainsi donc les femmes changeaient de terrain de jeu ou peut-être cette femme si particulière. Était-ce relatif à l’âge ? A son vécu personnel dont je ne connaissais que les grandes lignes ? A ses passions qui la faisaient virevolter selon son propre mot. C’était une pianiste-concertiste sûre et quand elle était emportée par la musique, il lui arrivait de se considérer minuscule en comparaison des notes, de leurs combinaisons multiples dont elle se disait l’exécutrice et non l’interprète. Elle avait un monde personnel à la fois intense et très fermé et d’y retourner après chaque désertion, elle disait retrouver comme une sorte de bassin amniotique. Je suis architecte, donc également dans la créativité, mais dans mon métier tout passait par des calculs et des croquis, des courbes et des poids, des mélanges et des mesures précises. Je ne saisissais donc pas tout. J’inscrivais l’ensemble dans la case Art, pourtant je savais qu’il y avait d’autres choses. Mais elles me résistaient et demeuraient sans nom. 



 

Je la désirai très vite, puissamment et en silence. Je voulais toucher de mes pieds nus l’eau de la Méditerranée. J’adorais compter les mouettes des piquets, observer leur vie et leurs danses. Nos diners multiples, divers, variés étaient des moments absolument rares de mots, de sourires, de silences, de connivence … Mais je la désirais fort et je me sentais traversé par un désir de vie de l’ordre et de la qualité de l’irradiance. 


 

Un soir de mai que nous dînions en terrasse devant la Bleue, je lui demandai à brûle-pourpoint si elle voulait m’épouser. 



 

-       Non, dit-elle, sans l’ombre d’une hésitation. 

 

-       Pourquoi ? Nous nous entendons tellement bien.

 

-   C’est justement pour cette raison. Nous sommes dans une relation humaine, amicale, artistique, naturelle autrement plus intéressante que la voie classique que vous proposez. A côté du fait que le domestique et le quotidien m’horripilent. 

 

-       Je vous veux à moi.

 

-     Et je me veux aussi à moi-même, dit-elle, en riant. Nous sommes à l’âge où n’appartenons qu’à nous-mêmes et vous le savez. Le mariage n’a jamais été une entreprise fructueuse sauf pour mettre au monde un ou deux enfants. Étape par laquelle nous sommes passés. Nous sommes à l’heure du crépuscule. Il est doux, fort beau, inspirant et gratifiant. Ne le gâchons pas. Marchons ensemble de temps en temps dans l’estime, l’amitié et l’esprit de découverte.

 

 

 

Elle vantait les mérites de l’amitié, des pas accordés en bord de mer. J’en convenais en mon fort intérieur, mais j’avais en homme besoin d’amour, de corps à corps. J’avais beau acquiescer à sa philosophie, j’avais beau y adhérer, je la voulais et fort. 


 

Était-ce là toute la différence entre l’homme et la femme, du même âge ou presque, en cette étape inestimable de notre existence ? Était-ce obsessionnel chez nous les hommes ? Était-ce d’ordre éducationnel ? Elle disait que l’affection était primordiale, mais que la passion était mauvaise pour la santé. Et moi j’avais besoin de l’enlacer, de nicher ma tête dans le creux de son cou, de lui murmurer des mots à l’oreille … Je n’osai tout dire de peur de la voir se braquer. 

Peut-être que si elle avait été moins cérébrale, moins dans la maturité, dans l’observation et l’analyse, j’aurais pu avoir droit à de l’amour. J’estimais que l’amour était un sentiment fait pour l’homme du berceau à la mort. Elle était d’accord, mais nos définitions étaient différentes. Elle théorisait et je voulais m’exprimer dans une gestuelle physique.


 

 

-   Je vous offre toute mon amitié, c’est aussi de l’amour. Je n’ai plus l’envie ni le temps de jouer. Clairement.




Fin










lundi 16 septembre 2024

Moi, 3

 








L’équilibre a des exigences que je ne connais toujours pas. Ce n’est pas faute de n’avoir pas essayé, loin de là, mais les choses ont toujours plutôt mal tourné pour moi. Les hommes sont fous, c’est une vérité. Pourtant je prenais le temps de réfléchir avant d’agir et je peux attester que je n’ai jamais trahi. Peut-être qu’à force de vouloir coûte que coûte être heureux … Peut-être que l’obsession du bonheur nous induit en erreur. Peut-être qu’elle nous rend hyper exigeants et insensibles aux petites satisfactions de tous les jours. Peut-être qu’elle nous aveugle et ne nous laisse pas voir le premier des bonheurs : le bien-être physique, les petites choses aussi … Et puis, la jeunesse est plutôt bête … Mais là, c’en était fini de toutes ces tergiversations, cette belle personne, je l’attendrai jusqu’à la fin de mes jours.



 

J’avais une large cinquantaine et donc le ver était bien dans le fruit : je ne savais pas combien il me restait à vivre. J’avais des angoisses et un petit compte à rebours s’était mis en place. Je voulais cette élégante personne, en partenaire, en amie, en promeneuse, en co-lectrice, en ce qu’elle voulait bien me céder ou m’offrir. Et pour cela, je devais dominer mes pensées les plus obsessionnelles. Celles qui faisaient du chemin dans le conduit auditif jusqu’au tympan voire jusqu’à sa caisse ou encore celles qui faisaient focus sur les orteils et la forme des ongles. 



 

Nous commençâmes par des promenades en bord de mer. Elle adorait la Bleue et cela me ravit. La mer apaise, elle emplit nos poumons d’espoir, invite au silence et à l’humilité et pose d’emblée le romantisme comme le seul cadre qui vaille pour exprimer sa sensibilité.


Je me taisais, elle aussi, on regardait le paysage marin comme des naufragés de la vie qui gardaient l’espoir de la sérénité, mais qui prenaient soin de ne pas s’exposer. C’était exactement ce que je ressentais, elle aussi fort probablement. Les femmes sont difficiles à cerner et je n’essayais plus de toute manière. Je laissais les choses se dérouler, les habitudes se mettre en place. 



 

-       La mer est l’expression même de la vérité recherchée âprement. Dans tous ses états. Là, elle est haute, sombre et je la sais tumultueuse dans ses profondeurs. Un peu comme les grands adultes. Elle a un dehors conformiste et une essence bouleversée.

 

-    Sûrement, répondis-je. Je trouve positif le fait que les bouleversements ne nous anéantissent pas et que malgré tout, nous maintenons le cap. 

 

-       Ce n’est pas faux, dit-elle. Nous n’avons pas d’autre choix et c’est vital.


 

 

Qu’avait-elle vécu de si intense ?

A l’âge de la grande maturité, certaines interrogations n’avaient plus lieu d’être. Nous marchions côte à côte et j’avais une envie folle de lui effleurer la main. Je ne le fis pas, par prudence. Elle était plutôt laconique comme personne, dense aussi et je savais qu’il fallait que la première manifestation de tendresse vienne d’elle.



 

-       Par tous les temps, je me balade en bord de mer, m’apprit-elle.

 

-       On peut le faire les samedis matin, si vous voulez.

 

-       Volontiers ! 




Et nous fixâmes un rituel hebdomadaire de promenade iodée, tôt le matin. Et au fur et à mesure, quelque chose se tissait entre nous, de l’ordre de la confiance et de l’apaisement. Nous parlions musique - elle jouait du piano - architecture - ma spécialité – cinéma, politique, mais nous estimions que l’âge avançant, on avait mieux à dire. La polis fatigue.


Sa conversation était plaisante, souple et elle avait de l’écoute. Un samedi, après notre balade marine, je lui demandai si elle voulait dîner avec moi. J’adorais les bons restaurants, les fruits de mer et les desserts au fromage.



 

-       Et c’est mon anniversaire !

 

-       Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, me demanda-t-elle, en souriant.

 

-       Votre présence, répondis-je.

 

-       Mais encore ?

 

-       Votre conversation.

 

-       Soit ! 

 

-    Nous irons au Sablier, nous aurons toute la baie de Gam sous nos yeux. Cela vous convient-il ?

 

-       C’est parfait, j’aime beaucoup ce coin. Je vous invite, dit-elle.

 

-       Je vous inviterai aussi.

 

-       Ce sera parfait.

 

 

Et ce fut un dîner mémorable qui donna du large à notre relation, comme elle la voulait déjà. Le cadre était beau, l’eau traversée par la ligne lunaire scintillait. De petits lampadaires à la lumière corail prêtaient aux tables des airs d’îlots, ici et là. Nous étions des cinquantenaires beaux, élégants, conversant dans une légèreté agréable, nous taisant pour emplir nos narines des senteurs de nos plats iodés, pour flatter nos yeux du spectacle silencieux de la Méditerranée enchanteresse.


Nous parlâmes de nos vies passées sur la pointe des pieds, de nos enfants, de nos rêves avortés, de nos réussites, de nos goûts musicaux et artistiques, de nos livres-cultes, de nos amis, les faux et les vrais …

 


Elle portait une robe longue vaporeuse grège, à fines bretelles, des pierres bleues aux oreilles. Elle avait la peau délicate, ce qui conférait à son allure générale quelque chose de digne et de poétique. De temps en temps, une brise légère me ramenait son parfum, une senteur marine me semblait-il, lointaine et fraîche. Elle était d’une élégance et d’une simplicité belles à voir et je sentis leur effet sur les autres dès notre entrée. Une Dame distinguée, aux mots mesurés. 


J’eus honte de mes pensées profondes des premières rencontres et je compris qu’il y avait d’autres manières d’être bien dans sa peau, d’être épanoui et serein. Elle donnait le tempo, cela lui appartenait, clairement. Et j’étais dans l’obligation de suivre le mouvement. 


Néanmoins, l’homme instinctif n’allait pas tarder à revenir, pour ensuite se cacher, espérer et consentir à trouver au calme, à la mesure et à la sérénité, quelque chose de vraiment beau. Le tout en un cercle vicieux, au final, plutôt vivifiant. Sauf que nous les hommes sommes d’un prosaïque à toute épreuve.