On est bien peu de choses et mon Amie la Rose ne me l'a pas dit ce matin ...
Nous discutions Noritta et moi. Je lui avais demandé comment lui était venue sa foi, si elle avait ajouté à son héritage culturel quelque chose de personnel, si elle avait retourné la grosse pierre pour voir d’elle-même ce qu’il y avait en-dessous.
- Je suis née dans une famille pratiquante. Pas mon père, mais ma mère faisait la prière, faisait le carême. Pour moi, c’était tout naturel que je lui ressemble et puis la foi m’apporte de la sérénité.
- Quel a été ton apport personnel ?
- J’ai foi en ce qu’on m’a dit et ça me rassérène.
J’avais une tout autre façon de voir les choses et surtout de les poser. Je n’avais jamais rien pris sans l’avoir retourné, rien saisi sans y avoir apposé mon sceau personnel. Il me fallait à chaque fois mettre à rude épreuve mon échelle de conviction personnelle. Mon entendement fort exigeant refusait toute forme d’obédience millénaire, soumise, aveugle. Il me fallait observer, expérimenter, agiter dans tous les sens les prédicats, les soumettre à mon imperturbable rationalisme … Il me fallait interroger le spatio-temporel, les conditions de naissance des grandes idées, le tissu sociologique d’alors, psychologique, le degré d’éveil des contemporains des grands dogmes … Ce faisant, les choses se désagrégeaient et la réalité triomphante faisait son apparition. Le processus ne laissait aucune place aux supranaturels, aux supercheries.
Nous étions devant la mer, une dame vint nous exprimer son admiration.
- Vous êtes belles Mesdames et fort élégantes. Je voulais vous l’exprimer.
Nous la remerciâmes. J’avais l’impression que son beau sourire m’était familier.
- Je ne crois pas, me dit-elle.
Deux jeunes femmes attablées non loin de nous regardaient avec insistance dans ma direction. Noritta était de dos, elle ne vit rien et je ne dis rien. Quand l’une d’elle remarqua mon étonnement, elle se détourna poliment et cela s’arrêta là. Je crois que c’était un couple. Peut-être crurent-elles la même chose de nous. Ou alors c’était moi.
Norrita est professeur de linguistique. Nous étions amies depuis des années. Ce n’était pas une intellectuelle, mais une Dame élégante et courtoise. Issue d’une famille nombreuse, je l’avais souvent considérée comme moi : fille unique. De même, nous avions une dizaine d’années de différence d’âge et je ne l’avais jamais vu. Nous nous voyions régulièrement pour un petit-déjeuner ou un déjeuner, notre conversation était légère et il y avait de l’affection entre nous, malgré de nombreuses différences caractérielles et de tempérament.
Nous avions commandé des cafés et des viennoiseries aux amandes. Je trouvai mon café plutôt fort dès la première gorgée et je me demandai si c’était bien un cappuccino, le seul café que je m’autorisais, ayant un estomac sensible aux excitants. Nous conversions quand j’eus une montée de sang au visage, Noritta le vit et me le dit.
- Tu es toute rouge ! Ton cou, ton visage !
- J’ai une bouffée de chaleur, lui dis-je.
J’allai aux toilettes. Je me rafraichis les mains, le cou. Je tremblais intérieurement. En retournant à notre table, les choses allèrent très vite. J’avais du mal à écouter Noritta et mes idées étaient confuses. Je me levai, partis vers ma voiture garée non loin du café. Noritta m’y rejoignit. Et ce fut affreux. Froid intense, tremblement, zéro énergie, zéro existence physique et peur irrationnelle. Hypoglycémie, hypotension et, cerise sur le gâteau et apport personnel : attaque de panique.
Nous sommes si peu de choses et le tout est de résister. Quelque chose entre s'être oubliée la veille sur le plan alimentaire, un malaise vagal et la peur de mourir.