samedi 30 décembre 2023

Écrire Mme Halimi












I.

 

 

23h33, elle appella sa Mum - comme elle aimait l’appeler - alors que d’ordinaire les appels s’arrêtaient à 20h. 

 

-       Mum, j’ai eu 18 au partiel de Mme B. ! exulta-t-elle. 

 

Le bonheur ! Et tant pis pour le timing convenu, lui dit sa génitrice. Sa petite devenue grande, si fine et si perspicace. Elle comptait les palmiers en quittant son pays et en allant rejoindre sa mer de l’autre côté de la Méditerranée. 

 

-       Il me la faut pour mes yeux, ma tête, mon humeur et mes pensées insistantes, disait-elle aux siens.

 

La Mum connaissait l’incroyable sensibilité de cette jeune personne, sa capacité à lire les êtres et les plus infimes expressions faciales. Elle avait choisi la littérature alors qu’elle aurait pu faire psychologie ou droit, ou journalisme, ou criminologie ou histoire ou danse ... Évidemment la littérature. Une affaire de famille, de plume, de combat, d’implication, d’amour, d’amour infini …

 

Son travail de recherches recèle de références fort intéressantes, personnelles, familiales, sociales, politiques, nationales, historiques … Et cela vous prenait par la main et vous emmenait loin, loin … Un tourbillon que l’art de dire chez cette étrange jeune fille. 

 

PDA, comme l’appelait sa mère, perdit son géniteur un soir de 2011 alors qu’elle était en soirée pyjama chez Évane B. une amie d’école. Il l’autorisa à y aller et quelques heures avant son départ, il le regretta.

 

-       Où est-elle ? Où est-elle ?

 

Et il partit sans l’avoir revue une dernière fois et elle eut du dégoût pour la nourriture pendant longtemps et ce, jusqu’à devenir filiforme, tant elle vit la famille et les amis s’empiffrer lors des différentes cérémonies funèbres. Et il partit en vrai « prince », lui le militant, le rebelle, le progressiste, le moderniste, habillé de roses blanches, de toutes parts.




 

 

II.

 

 

Il ne s’aimait pas, parlait peu et vivait dans une solitude psychologique. Quand il lui arrivait de sourire, il y mettait fin, vite fait. Il avait pourtant un charme irrésistible. 

 

Cloîtré en lui-même. Et c’était ce qui le définissait le mieux. Et il s’emplissait de savoir, d’instruction, de connaissances, de lectures … Un amour de la chose savante, mais pas que cela. 

 

Il suffit de ne pas s’aimer pour ne pas pouvoir aimer les autres. On s’y attelle au début, on y met toute son âme ( ce mot n’a aucun sens en vérité. C’est une invention religieuse. Pour berner. ) on se le rappelle au quotidien … Et après, la force s’amenuisant, la conviction battant de l’aile, on se remet à se détester avec la même colère du passé, la même rage restée intacte durant l’intermède. Et commence le travail de sape, laborieusement.

 

Debout devant la mer, les mains dans les poches, il se tenait assez loin des siens et il affichait sans s’en rendre compte une expression de dégoût. Et il se disait au fond de lui-même que le soleil lui faisait plisser les yeux. Pourtant, ce n’était pas du tout la même chose.

 

En voiture, il grognait sur les airs musicaux qu’il trouvait répétitifs, lassants et sans saillie ni créativité et il reprenait la même expression de dégoût.

 

Plus le dégoût s’installait plus, plus il s’enfonçait dans le silence.

 

Un soir qu’il était plongé dans une solitude psychologique extrême, entièrement dans les griffes de ses obsessions crépusculaires, il se leva d’un bond et sortit dehors respirer l’air frais du soir.

 

-       Je suis mal, se dit-il. Je suis mal.

 

Qu’avait-il de si lourd à porter ce quadragénaire tourmenté ?

 

-     Je suis rattrapé par ce vieux chien galeux, par cette boue indécrottable, par la puanteur alentour, par cette aridité de tous, par ce silence ancestral haïssable, par cette douleur ancienne, lancinante … Ils m’achèveront.

 

Un passé très lourd, d’autant que les mots buttent. Un passé froid, laid, des êtres d’impuissance et de faiblesses. 

 

-       Non, je ne veux pas être le roi désigné. Non, je ne veux pas traîner le rocher de Sisyphe. Le trône édifié est une duperie. Nous le savons tous. Et vous le savez. Oui, vous m’avez eu avec vos appels répétés, vous m’avez volé ce que j’ai de plus cher. Alors même que je voulais valser avec les étoiles.

 

Il ferma les yeux et s’endormit. Définitivement. 




 

 

III. 

 

Mme Halimi

 

 

Je m’appelle Zein et je suis née dans la bouse. Elle déteignit sur moi, durant ma grande enfance, mon adolescence et mon grand âge.

J’eus donc droit à une accalmie de quelques années.

 

Mes bottes étaient engoncées dans la boue aux trois-quarts et mon haut de corps s’impliquait entièrement pour me faire avancer. Ma motivation aussi. J’allais à l’école, ce lieu magique où mon esprit se plaisait à s’étirer pour mieux grandir.

 

Mme Halimi m’accueillit avec un petit sourire, mais je devinais son grand cœur.

 

-      Bonjour Zein, répartissez les cahiers sur les pupitres. Suivez le plan de salle d’aujourd’hui.

 

Mme Halimi décidait chaque début de semaine d’emplacements nouveaux. Elle mettait côte à côte filles et garçons, pauvres et riches, studieux et rêveurs, parce que dans la vie c’est ainsi

Je ne comprenais pas toujours ses raisons profondes, mais je les mettais de côté pour plus tard, quand je serais plus à même de saisir la vie.

 

Cette longue Dame longiligne et droite dans ses bottes - dans les deux sens – était, alors, la plus importante à mes yeux. J’avais ma mère et puis elle. Et ma mère pouvait attendre, pas Mme Halimi.

 

Un jour que les mots se débattaient dans ma tête à cause de leur grand nombre, mais aussi de leurs sens approximatifs ou devinés, elle mit entre mes mains un thésaurus, un lexique auquel aucun sens ne résiste et ce fut pour moila porte grande ouverte des mots et des sens que je passerai ma vie à combiner pour rapporter les choses, la nature, les êtres et les situations. Et surtout les silences. 

 

Cinquante ans plus tard, je donnai rendez-vous à mon ami fou au parking d’un magasin pour lui demander son avis sur la littérature des exclus silencieux et sur la situation du pays. 

 

-      Il y a une littérature, me dit-il, une seule. Quant au pays, le combat est le même entre ceux qui ne lâchent pas et ceux qui accaparent. 

 

Je ne fus pas convaincue, c’était laconique, ramassé et assez schématique.

 

-    Ce sont des êtres à la sensibilité exacerbée, des êtres de silence, d’exclusion, d’auto-condamnation, de souffrances multiples. Je vous parle de ceux d’hier, des êtres troubles. Pas des vociférants en pulls résilles d’aujourd’hui. 

 

Je ne fus pas convaincue, du tout. Ce fut plat. 

 

Et cette rencontre décidée était le résultat direct de l’enseignement de Mme Halimi. 

( À suivre )













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