lundi 20 novembre 2023

La Pythie incrédule, 2

 







II.

 

 

Ma mère est morte à la cinquantaine, au détour d’un coin de rue, sans fracas, vite fait bien fait. Elle garda le lit une semaine, il me semble et jusqu’à épuisement, elle luttait, cherchait à vivre, refusait le diktat. Elle était blanche comme un linge et elle prenait sa voiture et allait chercher le petit.

 

Quand son médecin lui dit que c’était difficile, elle le toisa d’un regard coupant parce qu’avant cela, il la fit un peu rêver. Encore un mensonge semblaient signifier ses yeux sévères. Pourtant, elle avait des yeux en amande miel très expressifs, rieurs et aimants.

 

Elle aimait son mari, puissamment et avait cette jalousie des femmes qui partagent tout sauf l’homme et l’amour. Elle l’embrassait voluptueusement dans le cou, le reniflait, le regardait dans les yeux et le serrait. Béat d’amour, il regardait ailleurs. Quand même, il y avait dans la nature divers goût et c’était un passionné.

 

Ma mère en voulut à S. L., son pneumologue, il avait été rassurant et là, il lui disait, avec peu de mots et en baissant la tête, sa mort prochaine. Ce n’était pas facile. Elle lutta encore un peu car appréhender sa mort est assez abstrait au départ et, le refus, le déni, sont puissants.

Quelques jours et elle abdiqua et garda le lit. Le processus attendait son aval et la mort commença le décompte.

 

Elle partit un 7 novembre, mais cela n’avait rien de politique. Elle portait la chemise de nuit à petits points rose pâle qui n’exprimait que la vie, ses draps de percale blanche étaient étincelants et sa couette à grandes fleurs rose fuchsia dénotait dans sa chambre. 

 

Elle était elle à l’identique, à l’exception de son nez qui pointa son bout, froid. 

 

Alors qu’elle était au plus mal, je courais faire des emplettes de couleurs vives et de tissu soyeux. Alors que son regard se taisait, je lui faisais sa couleur, imperturbable, certaine de sa non-mort et décidée à ne pas la livrer au silence des molécules. J’étais dans un désir obstiné, aveugle de vie, elle était dans l’échec de son combat et on ne pouvait s’écouter et encore moins s’entendre.

 

-       Laisse-moi s’il te plaît, me dit-elle, le regard éteint.

-       Non, répondis-je.

 

 

Hier, en allant rendre visite à ma sœur, je revis tout cela. Et depuis ce matin, je lui signifiais à ma manière que je serai du combat. Pourtant, je parle peu, mais j’écris suffisamment pour élaguer. Toute ma vie est élagage. Pour mieux respirer et pour être au monde avec force. Ce que j’appris ces dernières années, c’est de ne plus solliciter l’émotionnel, mais plutôt le rationnel. Cela fortifie et on reste dans le corps à corps, un système de défense bien moins handicapant. Tout est combat, à la force de l’esprit, du poing aussi, parce qu’autrement, on devient une charge et un fardeau. Non, c’est l’autre qui va mal, pas soi-même. Un peu de tenue.

 

Depuis quelques jours, je construis ma stratégie de soutien afin qu’elle soit adaptée, discrète et forte. Autrement mon rationnel en pâtira et l’émotionnel se plaira à m’entamer. Pas question. Ma philosophie bien mature sera ferme, j’ai l’intention de bien épauler et puis, la mort, je connais depuis mes vingt ans, personne n’en est revenu. Il faut juste trouver la bonne manière de faire les choses et de garantir à ceux qui restent un minimum de continuité sage et rationnelle.

 

D’ailleurs, je me souviens fort bien que la famille en voulut à mon grand cousin quand il s’affaira, dans le plus grand calme, à la mort de sa mère, afin que logistiquement tout soit au point. Toujours ces sociétés de l’observation bête et condamnatrice à vouloir formater jusqu’à la douleur. Pourtant tout dans la nature est pluralité, multiplicité, différences, variantes … La Nature, la première à Être. Les hommes sont franchement incroyables et ce dans tous les sens de l’adjectif et en tous domaines.

 

                                                                                                                                A suivre 

 


 








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire