I.
Elle se mit sous l’eau, s’émulsionna, se frotta, fit ses gestes de toujours et laissa l’eau couler, longtemps, sur ses cheveux. Le moment de bonheur suprême de quasiment tous les jours - bien qu’elle ait les cheveux longs et qu’à force de les brosser, elle se demandait quelquefois si elle n’allait pas devenir chauve. Mais l’eau lui était vitale : de la fraicheur, de l’aérien et tout tombait à ses pieds : les soucis en premier.
Elle coupa ses pointes et les mit dans une tranche d’essuie-tout. Pour après. Elle se sécha, s’habilla et se maquilla très légèrement. Elle détestait le maquillage visible et ne faisait que foncer à peine ses contours.
Prête à sortir, elle passa au jardin, creusa la terre et y mit ses cheveux. Dans son esprit imaginatif, elle mélangeait ses gênes aux créatures invisibles pour y laisser une part d’elle. Une petite participation, de son vivant et de son choix, à la marche du monde et plus spécifiquement à l’évolution de l’univers. Un court instant, elle se demanda si ce n’était pas du génétiquement modifié … mais mis un terme à une imagination qui s’amusait à assiéger.
- Suffit, dit-elle, intérieurement.
Elle rendait visite à son unique sœur bien qu’elles aient été conçues dans deux corps différents. Elles vécurent ensemble, de leur naissance à l’adolescence, et, partagèrent tout. Des lunettes, aux vêtements, aux crises parentales, aux sourires et plus tard aux déchirures. Sa sœur lointaine et proche, tendre et souriante, rieuse et bonne enfant … Et puis, les marques de la vie …
Elle passait chez elle tous les matins, à 7h40, et, ensemble, allaient au lycée. Souvent, elle croisait son père en y allant, elle lui disait bonjour et lui répondait, invariablement, bonne nuit. Un fêtard au grand cœur, mais son épouse lui dit un jour, qu’être la femme d’un homme comme lui n’était pas de tout repos.
Son amie aimait les mots scientifiques compliqués à la prononciation, les noms de médicaments et elles en riaient ensemble. Elle les prononçait très sérieusement et bougeait ses lèvres méticuleusement pour y parvenir.
Staphylococcus, cystolithotomie, angiéctasie … et elles partaient en vrille de rires …
Elle aurait pu faire un métier de la santé, mais elle choisit de chercher le bonheur et l’unité, et, son intelligence ne faisait pas de doute.
Nush - comme celle d’Eluard - était belle, drôle, rieuse, artiste, moderne et en besoin d’équilibre, de tendresse et de Vie. Son amie était rieuse aussi, drôle, mais moins sociable et moins extravertie. Une éducation rigoriste et un milieu assez fermé, mais quand il s’ouvrait, il ne se refermait pas, malgré tout. Question de liens.
Quand on a vécu ensemble au moins une quinzaine d’années, on ne peut s’oublier. L’enfance est le temps de toutes les constructions et de tous les liens forts en affect et en intensité. En grandissant, elles se séparèrent, se rencontrèrent et de nouveau se séparèrent. Mais jamais l’affection forte et indestructible n’en pâtit, ce n’était pas possible ; question de temps, de mots, de silences, de crises, de rires, de honte et de présence du temps de l’enfance.
Un jour, Nush reçut une cousine à elle et immédiatement l’amie et elle ne se supportèrent pas. Probablement de la jalousie à propos de l’appartenance de Nush. L’enfance est un terrain puissant, avec des lois et des codes. Des bûchers et des potences.
- Non, je ne marche pas. Tu vas rentrer chez toi et moi, je ne veux pas rester seule. Alors, tu me laisses avec mon amie ! cria Nush, à l’adresse de sa cousine.
C’était assez pour la raide qu’était l’amie et une amitié à trois commença assez péniblement, mais assez rapidement au final.
Un matin, que l’amie passait chez Nush afin qu’elles aillent ensemble au lycée, un cendrier en plein vol plané faillit atterrir sur sa tête. Elle le saisit et le posa sur la table d’entrée.
- Tonton, c’est dangereux, lui dit-elle. Et on va à l’école.
C’était un Juste malgré tout et il s’excusa. Parce que les adultes sont aussi, au fond d’eux-mêmes, des enfants en grande peine. Soit ils apprennent à mettre le holà, soit ils vivent en dents de scie. Il fit partie du second groupe.
Elle monta dans sa voiture et se dirigea vers chez sa sœur. Elle avait un peu froid, calmait son intériorité avec peine et subdivisait son émotivité envahissante.
- Non, se disait-elle, je serai dans le rationnel.
Elles avaient vieilli les deux et malgré les effets visibles du traitement, elle retrouvait le regard de sa vieille sœur, sa bouche gymnaste du temps des mots scientifiques. Passé le premier moment, bien que l’absence eût duré une dizaine d’années, bien que chacune portât son âge et son vécu, bien que Nush fût assez fragilisée par le protocole, la relation des deux enfants était là, le passé, la tendresse, les rires et le lien fort. Le cendrier aussi.
Un temps qui sera déterminant. Des retrouvailles naturelles.
L’amie savait qu’elle allait être présente. Histoire de vivre ensemble, de continuer, dans la petite distance ou dans la présence certaine.
L’amie se souvint de la seule fois où elles eurent une légère altercation. C’était une raide et une rationnelle à l’extrême.
- Tu me juges, lui dit Nush.
- Non, je comprends ton désir d’unité, mais tu mérites mieux que ce qu’on me dit. Je ne te veux pas cela.
Quelle importance ! Nous ne sommes pas destinés à être identiques et dans nos différences, notre vécu, nos principes, nos désirs, nos besoins, nos carences, nos souvenirs de cendriers jetés à la tête de ceux que l’on croit être nos adversaires, notre obsession du bonheur … nous sommes la même fragilité sous divers couverts, de protection, de pudeur, de cache-misère, de désespoir et d’appétit de vie. Qu’importe nos erreurs ! Qu’importe !
Seul demeurer est essentiel, le plus possible. Parce que vivre n’a d’intérêt que quand toutes les parties de notre existence existent. Et elles sont chacune une partie de l'existence de l'autre.
A suivre
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