jeudi 2 mai 2019

Eva XXII


Claire était assise dans son salon, elle écoutait du Bach et son esprit faisait des kilomètres. Cette solitude soudaine lui servait à réfléchir mais elle perdait tous les jours un peu plus de sa perspicacité.

Enest était là-bas. Elle le savait et de toute façon, il le lui disait. Il ne s'en cachait pas. Elle, par contre, ne lui disait pas ce que cela lui faisait, il était à des années-lumière de sa souffrance intérieure. Il n'avait pas le droit de lui faire cela. Non, il n'avait pas le droit. Mais était-ce une question de droit ?

Le pire dans la vie des Hommes est le sentiment. On ne peut rien contre les sentiments. Et là, c'était bien au-delà : un envoûtement qui le dévore. Quand il revenait vers Claire, tout en lui sentait la péripatéticienne. Claire s'enfermait dans sa salle de bain à force d'avoir des remontées. Cette odeur chaude, forte, moite de catin lui donnait des hauts-le-coeur.

Il revenait souvent à l'appartement et restait prostré des heures à attendre le retour de sa femme parce qu'il fallait qu'il lui " dise des tas de choses et qu'il espérait qu'elle le comprenne. Après tout personne qu'elle ne pouvait mieux l'entendre. "

" - Chérie je t'aime mais je deviens fou. Cette femme m'obsède. Je la veux. Je sais, je sais pour tout le reste mais c'est tellement fort. Je n'ai pas besoin de lui parler, je la veux. Je passe des heures quelquefois à l'attendre sur les toits et dès qu'elle est là, je suis en émoi total. Elle a un corps d'une insolence à couper le souffle, elle n'aime pas, Claire, elle assiège littéralement. Pardon mais comprends-moi, tu m'as toujours compris. Je suis fou d'elle c'est au-delà de tout raisonnement. Tout en moi la veut fougueusement, en l'absence de tout discours. D'ailleurs elle n'a pas de mots, elle a des rires qui fusent sans raison et des regards moqueurs. Je sais, je sais pour tout le reste mais je suis fou de sa peau. "

Claire avait un adolescent dans leur salon qui découvrait le corps d'une femme lascive à souhait.

« Eva est divine dans ses bodys à même la peau quand elle n'est pas toute nue dans sa chambre des toits. Même pour ramasser un vêtement, elle a de ces cambrures. Sais-tu qu'elle va toute nue a sa fenêtre ? "

Intéressant se dit Claire, j'avais besoin de le savoir. Il fallait que j'apprenne comment vit une catin qui gagne sa vie à la sueur de ses cambrures. Bien sûr. C'est un sujet de sociologie et il fallait que son homme et le père de son fils en soit le principal protagoniste. Mais pourquoi ne pense-t-il pas à se taire, à dire le moins possible, à réfléchir comme avant cette angoisse nocturne ?
Pourquoi ce jeune homme de sa fac, cet étudiant brillant avec lequel elle avait tellement ri , ce si beau gamin à peine sorti de l'adolescence aux dents éclatantes et rieuses lui faisait-il cela ? Elle a bâti leur vie pendant longtemps d'amour, de tendresse, de présence, de musique et d'art pour qu'il vienne aujourd'hui lui parler en long et en large des vertus cambresques d'une catin puante !

Elle se retenait de le secouer aux épaules et de le violenter au visage pour le dépoussiérer de cette folie qui envahissait ses yeux et son esprit. Son corps, lui, était tendu comme un arc vers un je-ne-sais-quoi de saisissant.

Bach aidant Claire se demandait comment, lui, avait vécu les années de fac, les années de rire et d'amour, les débuts de leur union que tout le monde considérait d'un oeil bienveillant et approbateur, la naissance de leur fils, leur tendresse réciproque, tout le Beau de leur vie jusqu'au moindre détail.

Était-il tout autant qu'elle l'esthète qu'il disait être ? Peut-on l'être véritablement et tomber dans ça ? Vivait-il vraiment avec elle ? Etait-ce vraiment son choix de vie ? Cet appartement la sentait elle dans ses moindres coins, il y était où lui ?

Chez Eva, saisi par un abat-jour qui en a vu de toutes les couleurs, de la misère humaine, du rire provocateur, de la conscience de la matière, de l'amour brut, de l'inconscience de l'autre, du struggle for life, du chagrin vrai, de l'insolence la plus humaine, du rejet de l'autre, de la violence de vivre à tout prix dans le dénuement total.




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