samedi 9 août 2014

Kh-mer ou les amours inoubliables

J'ai passé mon enfance et mon adolescence entourée de personnes chères à mon cœur que je ne connaissais pas toujours de très près. Toutes confessions et aucune en même temps. En tout cas, visiblement. Ou alors mes yeux d'enfant et d'adolescente ne distinguaient pas les particularités. Je vous parle des étés de mon d'enfance. Les années 80, 90 ... Pas de précision, je reste comme toute personne aimant le beau et la vie, un peu malhonnête sur le compte des années ...
Les années 80, la mer, l'air salée, les bambolonis, le Café Vert, le festival de Carthage, les bains de minuit ...

Les patronymes nous permettaient de savoir qui était qui mais jamais au-delà de cela. On se regardait, on s'aimait au coup d'œil et puis, à cette chose innommable, qui fait que l'on se plait et que l'on s'approche.
Des années de découvertes, de rires, d'intensité des regards ... Sourire à l'autre, un pincement au cœur et un teint hâlé et doré. Mes potes de l'époque sont aujourd'hui partout, je ne suis pas toujours au courant de leur évolution.

Je me souviens être tombée au début de fb sur un Alain Krief, le nom d'un voisin immédiat que je voyais au quotidien et dont le père était un éminent architecte. Alain, un super timide, un gars quelque peu introverti. La maison des Krief était magnifique, moderne et les tfélim étaient d'une élégance rare. Je ne sais toujours pas si le mot se prononce ainsi. J'ai une tante encore en vie qui se fera un plaisir de tout m'expliquer. Je l'aime beaucoup mais il faudra à ce moment-là trouver l'astuce fine et tendre pour endiguer la logorrhée.

On était allé aux tfélim d'un des Krief ou d'autres voisins, je ne me souviens plus très bien et c'étaient des après-midis et des soirées sublimes, un mélange de goût et de modernisme. Beaucoup d'argent en tout cas, sûrement. Mais cela, c'est aujourd'hui que je le comprends et que je le dis.

Tfélim est une fête de circoncision, tout comme chez les musulmans. Alors des invités, la famille, les amis, les belles toilettes comme disaient nos mères à l'époque ...

L'Alain Krief d'fb n'était pas le bon, j'avais insisté pourtant. Sa photo de profil, un peu floue, un peu vague, m'a laissé deviner de loin les traits de l'Alain Krief de mon enfance. Je le lui dis et il eut l'immense gentillesse de m'envoyer un gros plan qui me dissuada définitivement de l'Alain de devant chez moi et de ses tours de moto dans l'enceinte du grand jardin. Je vous avais dit que c'était un timide et un solitaire.

On se cherche quand on avance dans la vie, on cherche des visages, des voix et même des odeurs. Les odeurs restent toujours les plus fortes, elles pénètrent par nos narines et s'inscrivent définitivement dans notre mémoire. Bien sûr, après, elles fluctuent par ondées, tantôt précises, d'autres fois ténues et peu consistantes.

Alain est un voisin parmi d'autres, bon il habitait juste en face de chez moi mais nous n'étions pas de grands amis, il était trop timide, trop chez lui et entouré de trop de femmes. Mais je crois que la carrure du père et sa profession ou plutôt sa grande réputation lui rendirent difficile toute tentative de se faire de larges épaules et surtout d'en jouer. Il y avait les autres, tous les autres ceux de la buvette de la plage, des adultes, des enfants et les grands : les 20 ans. Ce n'était pas encore ma cour. Nous étions tous, chaque année, à la même plage, agglutinés les uns sur les autres au sauna, une pente cimentée, sur le côté de l'immense propriété des Abdelkéfi, l'endroit assurément le plus chaud et où on pouvait le plus cramer.
La coloration dorée, surtout chez les blondes, et, j'en connais une qui l'était et elle les avait tous à ses pieds.
Dany, Karim, Ahmed, Saber, François ... Dany était beau " mais beauuu " comme disait ma meilleure amie. Elle avait une bonne vue et j'étais myope et que de fois quand je vis de près ces garçons qui avaient selon elle " quelque chose ", que de fois je fus déçue et nous allâmes jusqu'à nous quereller. Je lui en voulais d'avoir soufflé en moi des petits bonheurs dont le point de départ s'avérait, à posteriori, faux.

Où peuvent-ils bien être ? Que sont-ils devenus ? Y en a t-il parmi eux qui ressemblent à ceux que l'on entend quelquefois à la télé ? Ceux qui parlent du conflit du Proche-Orient sans une once de sympathie vers l'autre ? Difficile d'imaginer. Nous avons vécu ensemble nos plus belles années, nous avons partagé notre d'enfance et puis notre adolescence. Nous avons appris en même temps un florilège de sensations, de palpitations et de sentiments. Je ne peux le croire. Nos parents se connaissaient et s'appréciaient, voyaient-ils des choses, qu'à cet âge-là, nous ne comprenions pas ? Je ne saurai le dire.
Je me souviens de M.Raymond qui était prothésiste mais mon père ne jurait que par lui malgré les critiques de ma mère qui ne ratait aucune occasion pour lui préciser qu'il n'était pas un dentiste mais un mécanicien de la bouche. Sympa maman.
M. Maarek qui tenait une bijouterie au Colisée et qui m'offrit une très petite bague, un anneau en torsade très fine surmontée d'une fleur en perles nacrées, un peu comme un mechmoum. Un magnifique cadeau alors qu'on était juste passé lui dire un petit bonjour. Mon père leur offrit un weekend pieds dans l'eau à la villa de K.
Mme Marie L., une très proche de ma mère et de ma tante, elle cuisinait tunisien mieux que personne, le poisson méchoui et l'incontournable tastira. Elle avait toujours du chocolat blanc pour moi, elle savait que j'en raffolais.

D'autres et d'autres et la plage et la mer pour les ébauches de relation loin des yeux vigilants, et les diners et le Café Vert tous les après-midis vers 18 heures et Memmi et les madeleines et Alfred, Cacciola et les délicieuses ...

Parlaient-ils politique ? Évoquaient-ils le conflit du Proche-Orient ? Je ne sais pas. C'était avant Sabra et Chatila et le choc historique, Sabra et Chatila drame perpétré à des milliers de kilomètres et qui fut, me semble-t-il, à l'origine du départ et de la séparation. En tout cas, c'est l'argument-clé du Dr Berrebi, médecin de la famille, ami et quasiment un tonton pour moi. Un Monsieur d'exception et un médecin humaniste qui ne se faisait pas payer souvent et répétait la même phrase : la prochaine fois, en levant la main gauche. Depuis le temps qu'il me demande de sortir mon livre. Encore maintenant et malgré l'âge, toujours alerte, la même question aux miens : alors ce livre ?
Dédé le médecin des pauvres, le conseiller de tous. Je crois que jamais je n'ai vu un praticien comme lui, toujours à se recycler et surtout à communiquer avec ses patients. Un passage à son cabinet et c'était une heure voire plus d'échanges tous azimuts.

Que vous dire ? Je suis une enfant des années 70/80, je n'ai pas vécu les grandes guerres, je n'ai pas personnellement connu le début XX ème, tout cela je l'ai étudié sur les bancs de l'école mais j'ai des sentiments intimes, des certitudes. Dans nos pays, nous fumes heureux, juifs, chrétiens, musulmans et allez savoir quoi encore ! Pourquoi fallait-il un pays pour une religion ? Pourquoi l'Europe s'était-elle mêlée de notre vie ? Était-ce uniquement de la culpabilité ou voulait-elle se débarrasser de ceux qu'ELLE avait exterminés ?

Freud a été approché en son temps par des sionistes pour une collecte d'argent, quand ils lui firent part de l'idée européenne de la création d'un foyer juif en Palestine. Il s'écria furieux : pas en Palestine, ce sera des conflits interminables. Il eut raison.

Israël est là, l'Histoire a pris de l'avance. La Palestine n'est toujours pas un état, elle est grignotée tous les jours un peu plus. Les exactions sont atroces. Roquettes et armes de destruction effroyables. Des images à en perdre le sommeil. Pourquoi ne pas faire parler tous ceux qui sont originaires de Tunisie, d'Algérie, du Maroc et d'ailleurs ? Pourquoi ne pas raviver une histoire belle et tendre ou peut-être suis-je dépassée par l'Histoire ?
Résister est le seul choix pour continuer à croire qu'aimer est facile.



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