vendredi 29 août 2014

Eva. III.

III.

Y aurait-il en chaque homme une Eva ?

L'après-mère immédiate ou peut-être même cette part de la mère que l'on ne saura jamais et dont on rêve quelquefois ... Mais non certaines idées ne sont pas autorisées mais vraiment pas ! Eva au déhanchement effronté, femme sans conscience ou presque. Elle vécut en hurlant sur toute velléité de remontrance, arrachant les moments de vie à la force du bras. Eva la délicieuse, aimée presque autant que la mère au regard de la dextérité de ses mains et à tous ses enseignements silencieux, quelquefois brutaux.

 - Du feu ? demanda-t-il.

Elle éclata de rire.

- Je ne fume pas, dit-elle en détachant les syllabes.

Chez Eva, tout était provocation jusqu'au timbre de sa voix. Sous ses regards langoureux, il était déjà l'objet d'un émoi indescriptible, de sentiments confus, d'une fièvre montante. Il remercia la nuit noire de ne pas tout dévoiler mais il savait qu'elle le lisait de l'intérieur. Maintenant, elle dodelinait de tout son corps, d'un pied à l'autre, secouant ses boucles avec volupté. Elle se savait inquiétante et connaissait son ascendant sur les hommes et de surcroît mariés et lui, il l'était bel et bien. Il demeurait debout, silencieux, à regarder le ciel et à la regarder elle, tantôt à la dérobée tantôt ouvertement. Qu'attendait-il à cette heure tardive ? Que cette femme de la nuit lui raconte son histoire ? Qu'elle le prenne par la main et l'emmène très loin de sa vie trop ordonnée ? Qu'elle lui rappelle l'odeur du flanc de sa mère qui l'envahit à chaque fois que sa gorge se serre, que sa poitrine l'oppresse, que ses mains se crispent ? Que Claire l'appelle ? Il eut envie de vite retrouver le petit salon, son fauteuil et la sérénité de sa femme. Cette Eva lui faisait peur, elle était irrésistible et il ne pensait qu'à tourner les talons. Ce qu'il ne fit pas, bien au contraire.

vendredi 22 août 2014

Eva. II.

II.
La première fois qu'il la vit, elle se tenait à l'angle de la rue Mogador. Il était plus de 22 heures et les passants étaient rares. Elle n'avait même pas l'air d'attendre quelqu'un. Elle était adossée contre un réverbère et, sous la faible lumière, regardait ses ongles sous toutes les coutures. C'était vraiment l'heure et l'endroit se dit-il, mais c'était Eva et Eva était une fantasque.

Lui avait quitté précipitamment le domicile conjugal, il avait besoin de respirer et de respirer loin de Claire. Encore une fois, elle avait pensé à tout : le whisky, les noix de cajou, les carrés fromage, le pain aillé, les roses, sa lumière préférée, Liszt, une ambiance feutrée, les rideaux mi-tirés exactement comme il les aimait ... tout.

Claire pensait à tout, tout le temps. Elle était d'une beauté et d'une classe sublime avec sa robe noire à roses fushia. Souriante et douce. Elle savait. Il savait.
Que de fois, ils avaient visionné des films troublants, L'Arrangement, Proposition indécente, Modigliani ... De ces films forts, déstabilisants, sitôt, consciemment rangés dans un coin de la mémoire conjugale.

Marcher dans les rues désertes et donner libre cours à son imagination, ses schémas enfouis, les images de ses seize ans, des mots et des mots, entendus d'autres bouches, des mots sales et désirés. Et puis, cette oppression, cette certitude de l'imminence de quelque chose. Il sentait cela jusque dans ses articulations, cela l'engourdissait mais il contrait en accélérant.
Il alla droit vers elle. Et quand elle releva la tête, le fixa dans les yeux, le soupesa vulgairement, sourit légèrement de ses lèvres rouges charnues du côté de la joue droite, il comprit qu'il avait, là, quelque chose qui remontait à très loin.

dimanche 17 août 2014

Enfin quelque chose m'arrive !

 Un soir, traversant la place d'Italie je crois, Giacometti fut renversé par une voiture. " Enfin, dit-il, heureux, quelque chose m'arrive ! " Et il avait pourtant très mal.
Un événement inattendu dût-il être fortement déplaisant a l'heureuse conséquence de changer le cours des choses. En tout cas, c'est la solution au vide. Dixit CQATR.

vendredi 15 août 2014

Eva. I.

I.

Connaissez-vous Eva ?

Personnage de mes 20 ans peut-être, au passé sulfureux. Je commençais à peine à moins la juger que le livre me fut pris des mains. Aujourd'hui, je connais toute son histoire. C'est moi qui l'ai finie. Si ce n'est pas cela vivre.

mardi 12 août 2014

La Lectrice à Mandin

Quand la sensibilité surgit d'homme vêtue,
Il y a comme de la pudeur,
De l'émotion.

Quand lire, scruter, dénicher, s'emparer et entendre
Font des lignes, le lieu de La Connaissance,
Vivre devient heureux et mourir reconduire

Quand la femme sous la plume du Scribe orfèvre
Devient le bleu tant désiré :
Encre ou mer qu'importe !
Élue restituante de signes
Et de sens

Elle Vous doit bien cela, Poète.
Vous l'intronisez herméneute

Au corps-plume,
De ses plis,
De ses touches,
À forger
Des mots ...

Ève chez Mandin
Est palimpseste ou rien.

lundi 11 août 2014

Djerba II

Deux communautés coexistent à Djerba juive et musulmane. Depuis des lustres. En parfaite intelligence. Non qu’elles partagent tout, chacun occupant un domaine propre, mais ayant en commun pareillement le souci du « vivre », de la subsistance, du labeur. En tout point ressemblants sauf à de discrets signes religieux sur leurs échoppes, à un accent à peine perceptible, une sorte de « tche » ou de « khe » que les Djerbiens de confession juive roulent plus que les musulmans. L’arabe de Djerba est la langue de tous.
Les problèmes relationnels et politiques moyens-orientaux entre Palestiniens et Israéliens ne les concernent pas trop visiblement. C’est d’ailleurs un sujet ignoré, tu, banni peut-être. Il eût paru incongru de l’évoquer, suspect.
Les deux communautés sont ancrées dans leur vécu, dans les impératifs de leur vie, dans leur train-train quotidien. Aucune trace d’hostilité. Une convivialité spontanée et des journées marquées par des salamalecs synchronisés sur l’ouverture, la pause, la fermeture des échoppes.

Djerba Houmt souk est un raz de marée de touristes durant la saison estivale. Le reste de l’année également avec, à chaque saison, un type particulier de visiteurs avec ce que cela suppose comme attirail: appareils photos, caméras, djellabas colorées, turbans ( plutôt hindous que djerbiens bizarrement )…
Les Djerbiens se sont habitués aux excès des touristes, ils n’y prêtent pas ou plus attention. Le touriste est un client et le client est le maître absolu. Djerba, l’été, c’est le tourisme de masse et la saison estivale est la période la plus fructueuse de l’année.
En d’autres temps, d’autres visiteurs, des habitués, des résidents la moitié de l’année des fois. Des riches occidentaux, des célébrités, des politiques, de grands couturiers internationaux en mal de quiétude et de silence. Souvent, propriétaires d’immenses villas à l’architecture typiquement djerbienne, aux murs peints à la chaux mais, avec à l’intérieur, piscine, jacuzzi, terrain de tennis, chambre froide, chambre forte, bref tout le nécessaire vital des richissimes attirés par le désert, pas très loin à quelque heures de route, en 4/4 silencieux ( et polluants ) entièrement électroniques, équipés afin de venir à bout de tout, de la chaleur étouffante, des dunes de sable, de l’orientation.

Ces célébrités connaissent l’île depuis des décennies, elles vous diront - en tout cas celles qui sont restées abordables - que ce n’est plus la même chose, que l’île est dénaturée, envahie, désenchantée. Elles vous parleront du passé, du vieux Djerba et des vieux Djerbiens.

Les Djerbiens authentiques sont des artisans, des travailleurs manuels comme il y en a plus, des épiciers, des tisserands, des cordonniers - qui vous ressemelle pour la énième fois une chaussure qui a plus de dix ans de vie - allez savoir - et plus d’un porteur à son actif.
Ils sont là, presque à l’aube, devant leurs échoppes, de part et d’autres des étroites ruelles, à l’œuvre, tout à l’œuvre. De temps à autre, des propos rapides, une courte réflexion, rien qui les distrait trop longtemps de leur ouvrage.
Des touristes passent et repassent fréquemment aux trois quarts nus, comme jamais ils ne feraient chez eux. Les Djerbiens - amateurs - de femmes voient tout, toujours tête baissée, jaugent sûrement plus les mollets que l’ensemble puisqu’on ne les voit presque jamais lever la tête, à moins qu’ils ne soient à l’aise avec des pratiques d’un temps révolu inconnues des gens de maintenant.
Le corps féminin est apprécié, pesé, soupesé, noté à chaque fois dans une discrétion impossible à décrire. C’est à se demander s’ils n’ont pas des yeux ailleurs qu’à l’endroit habituel.
Preuve de l’exercice de la vision, le sifflotement, toujours tête baissée auquel répondent d’autres sifflotements. Le message est passé. Un tour de passe-passe. Les vieux artisans djerbiens sont pudiques entre eux. Je ne sais pas d’ailleurs si c’est de la pudeur. De leurs épouses, ils ne parlent jamais entre eux mais de la femme, les plus hardis osent des plaisanteries voilées, des allusions, des rapprochements avec le soleil, la beauté éclatante, la lune, la blancheur de la peau très appréciée des Djerbiens, l’abondance, l’embonpoint…Des goûts masculins d’une autre époque, machistes, profondément gravés dans certains imaginaires fantasmatiques d’hommes du Sud, du Nord peut-être même, qui sait. (Du nord du Sud, du nord du Nord ou plutôt du sud du Sud? A s’en mêler les pinceaux ce cloisonnement de la planète. )

Le corps de la femme, l’admiration et le désir qu’il suscite passent chez les anciens plutôt par le silence.
Djerba est une société patriarcale où la pudeur est de rigueur, où la femme est paradoxalement aux commandes, où le désir du corps est partout, où tout se fait dans le silence, où chacun ferme les yeux tant que les apparences sont sauves, où le scandale n’arrive jamais car aussitôt étouffé sous les yoyos des femmes. Jamais le bienvenu.
Les Djerbiens qui vivent dans la capitale ont souvent poursuivi des études très poussées dans diverses branches. Ils ressemblent très peu à leurs parents et grands-parents. Beaucoup ont fait fortune dans le commerce artisanal en vendant des terres à Djerba que leurs ancêtres avaient payés trois fois rien ou qu’ils n’avaient pas du tout payé. Ce n’était pas dans les pratiques de l’époque, il y en avait pour tout le monde et c’était à qui est arrivé le premier.
Ces Djerbiens-là passent le mois d’août sur leur île natale. Ils sont accueillis avec tous les honneurs dus à leur carrière professionnelle avec un petit plus, quasi religieux, accordé à ceux que l’on sait être médecins, chirurgiens et autres fouilleurs du corps humain.
A Djerba, ils reprennent la djellaba, un accent du Sud souvent oublié en route pour se fondre dans le socialement correct des grandes villes, des habitudes et une simplicité de vie que la capitale leur a fait oublier et que le découpage horaire n’autorise pas. Et ce sont les petits cafés arabes des vieux quartiers où la silhouette du père est encore visible, les gargotes populaires, la voisine centenaire à laquelle on rend visite les bras chargés de cadeaux, après avoir glissé des couffins débordants de provisions.

Sarah a séjourné durant une assez longue période dans un Dar, une sorte d’hôtel de charme fait de petites maisons individuelles avec service personnalisé, petite piscine privée, cour intérieur, à l’architecture typiquement arabe, toits de voûte, murs hauts peints aux couleurs chaudes, arabesques aux fenêtres, jasmins, bougainvilliers fuchsia et blancs, muguets dans des pots de terre cuite couleur brique. Le tout dans un silence amical. Ces Dar sont appréciés de nombreux artistes et écrivains, dont beaucoup d’occidentaux, qui séjournent assez régulièrement à Djerba. Ils y trouvent la sérénité nécessaire au travail intellectuel et artistique.

Sarah a beaucoup sympathisé avec la femme de chambre, obtenu d’elle qu’elle lui change les draps tous les jours et non un jour sur deux comme c’était dans les habitudes des Dar. Pour Sarah, du neuf tous les jours est une garantie de durée. Elle connaissait ses petits problèmes, sa maniaquerie, les gérait assez souvent ou n’avait pas toujours envie de les gérer, se laissait aller à ses hantises…Mais l’heure n’est pas à Sarah. Laissons-là pour l’instant.

F. se confiait à elle. Elle était divorcée, avait des problèmes relationnels avec ses enfants aux prises avec l’adolescence, avec sa fille notamment. Elle réclamait en silence un père absent. Un irresponsable selon F. parti courir les occidentales qui n’a jamais su gagner un sou à la sueur de sa chemise mais bien à celle de ses caleçons.

F. était dépendante d’un amant oriental qui venait quand bon lui semblait et dont elle était profondément éprise. Elle faisait part à Sarah de ses nuits d’amour torrides et de ses attentes douloureuses.

Leurs rencontres avaient lieu dans un petit hôtel de ville en plein milieu de Houmt Souk. Là où il n’est pas permis de se trouver si l’on craint que l’on jase, là où elle se rendait à n’importe quel moment dès que l’amant donne signe de vie, dès qu’il veut consommer, dès qu’il lui est possible, à elle, d’aimer.

Au milieu du souk, les yeux voient tout, les langues ne se délient pas. Les visages dodelinent, acquiescent. Le corps a ses raisons.

F. demandait gentiment à Sarah si elle pouvait fumer une cloppe dans la courette tout en s’affairant promettant de n’y rien laisser paraître, de vaporiser afin qu’il n’en reste rien, de mettre du muguet partout afin que le soir tout embaume avec la légère fraîcheur qui annonce la nuit.
Fumer pour une femme est d’un vulgaire et d’une honte, disait-elle! Les hommes avaient horreur de cela ! Et ils avaient raison sur ce point-là.

Sarah, dont l’apparence physique était plutôt occidentale, encourageait sans le savoir, F. à se confier et à révéler des pans de sa personnalité qu’elle n’irait peut-être jamais confier à des amies de la région. D’ailleurs, malgré les tentatives de Sarah, de lui expliquer qu’elle comprenait ses problèmes et ses craintes, ses angoisses, sa peur pour sa réputation. Qu’elle comprenait l’île, le pays, la mentalité, F. était totalement sourde. Pour elle, Sarah était d’ailleurs, une occidentale, qui écrivait du matin au soir, qu’elle trouvait bizarre.

Chacune son vécu, son passé, son histoire, ses douleurs. L’air extérieur, chez les gens simples, autorise ou n’autorise pas la vraie communication. Pour F., Sarah est une extra-terrestre qui ferait mieux d’aller vivre vraiment sans livres, pinceaux et carnets qu’elle noircissait. Un si beau corps, un si beau visage, il faut que ça se montre, que ça vive vraiment! On est femmes après tout.

Sarah s’amusait, elle était interloquée. De retour chez elle, elle narrait les contradictions, les bizarreries, la drôle de morale des habitants de l’île, le qu’en-dira-t-on silencieux, le statut de la femme, le faux patriarcat, les pratiques religieuses appliquées et tournées en dérision…

Une amie à elle, originaire de l’île, femme intelligente et affranchie, heureuse à chaque fois que l’occasion lui a été donnée de parler du bled ( dans le sens tunisien : la terre natale ), de ses ancêtres, lui conta une boutade, qui à elle seule, résumait toutes les contradictions de Djerba.

«  Certains travailleurs immigrés qui avaient du mal à joindre les deux bouts, restaient quelquefois un an à deux sans rentrer chez eux, laissant femmes et enfants livrés à la grande famille. Lorsqu’ils ramassaient suffisamment d’argent pour pouvoir inonder de cadeaux l’ensemble des proches, ils prenaient le chemin du retour et il leur arrivait quelquefois de trouver leur foyer égayé par la venue au monde d’un magnifique bébé.

Bienvenue aux présents de la couche! disaient-ils, à leurs épouses radieuses et plus que jamais éprises de leurs hommes! »

Et ce sont les babioles d’Occident, pour bébés, importées de Chine, qui pleuvent, payées au prix de durs labeurs, de sacrifices, d’humiliations et de mauvais traitements quelquefois.

Sarah était prise d’émotion!


23/6/2007

Djerba I

Avez-vous déjà entendu parler de Djerba?

Djerba I



Vie d’ailleurs

Une île du Sud Tunisien avec hôtels, palaces, clubs fermés, restaurants de gastronomies diverses, night-clubs, folklore local…tout le business touristique et économique des îles en général et de la région en particulier que je vais vous épargner pour vous conter une Djerba profonde et déroutante aux nuits cotonneuses, une île suave qui invite à l’amour et ravive le désir.
Éloignons-nous donc le plus possible de la détestable carte postale trop formatée de l’île et trop attrape-nigaud touristique.

Djerba, une mer débordante d’un bleu-vert spécifique aux îles, au sable fin et blanc. Les journées trop chaudes l’été, font d’elle une destination agréable au printemps et en automne quand le soleil est plus clément.

Le vieux Djerba se trouve autour de Houmt Souk (littéralement le quartier du marché).
Quartier arabe, labyrinthique, tout en ruelles, rempli d’échoppes de tout genre, d’épiciers artisanaux, de parfumeurs, de maroquiniers, de tisserands…
Un lieu pittoresque et haut en couleur au milieu duquel trône le marché du poisson: haut lieu de la place. Un marché bruyant comme tous les marchés de la planète où le poisson se vend à la criée et où le hochement de tête joint à une gymnastique éclair du pouce et de l’index fait office de langage commercial, de « com » d’achat et de vente.

Tout autour, des gargotes vous proposant de vous griller vos poissons à même la braise à l’instant même, vous offrant de l’harissa en accompagnement, du piment moulu très fort arrosé d’huile d’olive, de la tabouna, un pain de campagne artisanal cuit sur les parois d’une sorte de four en argile à même le sol.
Diverses gargotes, des tablées ici et là, des nappes de vichy bleu et blanc, des chaises rudimentaires. Les propriétaires, cuisiniers, serveurs, plongeurs à la fois s’affairent à l’affût des clients.
Une seule ne désemplit jamais. Celle du Kerkénien, Kerkenna une autre île de Tunisie. Son assaisonnement du poisson grillé, quelle que soit, sa variété est unique. Une légende, un mythe indestructible, que personne n‘a d‘ailleurs essayé de ternir malgré l‘envie car chez les Djerbiens, le travail est la valeur suprême, le rezk. Son secret de préparation? D’aucuns le payeraient très cher pour pouvoir rivaliser avec lui et non point se contenter de ceux que la file d’attente rebutent. Le graal.

A Djerba, comme ailleurs, là où le tourisme joue un rôle crucial sur le plan économique, les pièges tendus aux touristes sont à chaque coin de rue. Besoin d’un guide, d’un traducteur, d’un expert en marchandage ( qui est de mèche en général avec le commerçant et qui a sa commission ), une dizaine se proposent. Tout le monde parle quatre à cinq langues, surtout les jeunes tout droit sortis de l’adolescence foudroyés fréquemment du regard par les plus âgés. Ils n’y prennent plus garde. Ils sont tout à eux, cheveux coiffés au gel, plaqués à l’arrière, mèches dressées à l’ « out off bed », jeans dernier cri, griffes de grandes marques italiennes affichées ( l’imitation a son haut lieu au Maroc, pays voisin ), tongs aux couleurs vives, bijoux tressés aux poignets et colliers ethniques autour du cou. Bref, tout le tintouin des gamins qui aspirent à saisir leur chance au vol grâce à une rencontre, à une créature de rêve ou pas d’ailleurs, dont le regard s’attarderait sur l’un deux. Le piège, en réalité est de part et d’autres. Sauf que le plus monnayé est, maîtresse thune oblige, le plus accrédité.

La mer ( mère ) de l’île est d’un bleu unique. Elle est généreuse, débordante, limpide, d’une pureté sauvage et dans certains endroits, il y a intérêt à être un très bon nageur.
Y être, un moment de fraîcheur sauvage, d’ontos première, la flotte  vous ballotte par ci par là, la nature naturelle, et, le nageur, quasiment, l’être aux prises de l’Existence.
La mer de Djerba n’est pas du tout la même à tous les points de l’île. Dans certains endroits, tout à l’opposé de celui décrit plus haut, elle est morte, sans vie. Elle est alors l’immense bassine des ménagères djerbiennes qui viennent y laver leur linge, leur laine, leurs animaux quelquefois. La tâche se programme à l’avance, on peut y consacrer une bonne partie de la journée. On peut les voir sur le littoral, en petits groupes, en longs tissus vaporeux, l’éternelle M’dhalla sur la tête, un large couvre-chef en paille serrée sans lequel il n’est pas possible de sortir le jour à Djerba.

La vie pour les Djerbiens, indifféremment hommes ou femmes est d’abord la besogne, une série interminable de tâches à accomplir. Les femmes en sont encore à préparer leur khôl elles-mêmes à base de produit locaux et d’épices, à se teindre les cheveux à la mardouma, une sorte de coloration naturelle d’un noir intense dont elles connaissent le secret de préparation et les vertus, à s’épiler avec une cire maison préparée à base de sucre, d’eau de rose et de citron. ( Le sucre est remplacé par le miel quand il s’agit d’une jeune fille qui s’apprête à se marier et on n’est plus, pour un moment, très regardants à la dépense), à se parfumer à la riha, senteur chaude fortement épicée aux vertus aphrodisiaques, composée par leurs soins, prisée par les hommes, agissant sur eux subrepticement, par le nez, jusqu’au cerveau et de là, là où il faut, stimulant immanquablement le désir. Affaire de femmes aguerries, toujours en l’attente de l’homme, l’homme aimé, nourri, massé, lavé, déifié, maître absolu tant que femme veut et tant que le corps vit.

Les nuits de Djerba sont magiques. Les sirènes ne devraient pas être bien loin. Face à la mer, loin du brouhaha touristique, un ciel silencieux, honnête, constellé d’étoiles à l’infini. Une atmosphère en coton, une brise bienfaisante sauf au mois d’août où elle vient durement à manquer.
L’envie d’aimer et d’être aimé. Les nuits douces de Djerba vous font sentir très intimement la présence du monde, des astres, du cosmos et vous incitent voluptueusement à l’amour physique vous épargnant ainsi, sur la pointe des pieds, des interrogations métaphysiques et des agitations spirituelles par trop dérangeantes.


23/6/2007

samedi 9 août 2014

Kh-mer ou les amours inoubliables

J'ai passé mon enfance et mon adolescence entourée de personnes chères à mon cœur que je ne connaissais pas toujours de très près. Toutes confessions et aucune en même temps. En tout cas, visiblement. Ou alors mes yeux d'enfant et d'adolescente ne distinguaient pas les particularités. Je vous parle des étés de mon d'enfance. Les années 80, 90 ... Pas de précision, je reste comme toute personne aimant le beau et la vie, un peu malhonnête sur le compte des années ...
Les années 80, la mer, l'air salée, les bambolonis, le Café Vert, le festival de Carthage, les bains de minuit ...

Les patronymes nous permettaient de savoir qui était qui mais jamais au-delà de cela. On se regardait, on s'aimait au coup d'œil et puis, à cette chose innommable, qui fait que l'on se plait et que l'on s'approche.
Des années de découvertes, de rires, d'intensité des regards ... Sourire à l'autre, un pincement au cœur et un teint hâlé et doré. Mes potes de l'époque sont aujourd'hui partout, je ne suis pas toujours au courant de leur évolution.

Je me souviens être tombée au début de fb sur un Alain Krief, le nom d'un voisin immédiat que je voyais au quotidien et dont le père était un éminent architecte. Alain, un super timide, un gars quelque peu introverti. La maison des Krief était magnifique, moderne et les tfélim étaient d'une élégance rare. Je ne sais toujours pas si le mot se prononce ainsi. J'ai une tante encore en vie qui se fera un plaisir de tout m'expliquer. Je l'aime beaucoup mais il faudra à ce moment-là trouver l'astuce fine et tendre pour endiguer la logorrhée.

On était allé aux tfélim d'un des Krief ou d'autres voisins, je ne me souviens plus très bien et c'étaient des après-midis et des soirées sublimes, un mélange de goût et de modernisme. Beaucoup d'argent en tout cas, sûrement. Mais cela, c'est aujourd'hui que je le comprends et que je le dis.

Tfélim est une fête de circoncision, tout comme chez les musulmans. Alors des invités, la famille, les amis, les belles toilettes comme disaient nos mères à l'époque ...

L'Alain Krief d'fb n'était pas le bon, j'avais insisté pourtant. Sa photo de profil, un peu floue, un peu vague, m'a laissé deviner de loin les traits de l'Alain Krief de mon enfance. Je le lui dis et il eut l'immense gentillesse de m'envoyer un gros plan qui me dissuada définitivement de l'Alain de devant chez moi et de ses tours de moto dans l'enceinte du grand jardin. Je vous avais dit que c'était un timide et un solitaire.

On se cherche quand on avance dans la vie, on cherche des visages, des voix et même des odeurs. Les odeurs restent toujours les plus fortes, elles pénètrent par nos narines et s'inscrivent définitivement dans notre mémoire. Bien sûr, après, elles fluctuent par ondées, tantôt précises, d'autres fois ténues et peu consistantes.

Alain est un voisin parmi d'autres, bon il habitait juste en face de chez moi mais nous n'étions pas de grands amis, il était trop timide, trop chez lui et entouré de trop de femmes. Mais je crois que la carrure du père et sa profession ou plutôt sa grande réputation lui rendirent difficile toute tentative de se faire de larges épaules et surtout d'en jouer. Il y avait les autres, tous les autres ceux de la buvette de la plage, des adultes, des enfants et les grands : les 20 ans. Ce n'était pas encore ma cour. Nous étions tous, chaque année, à la même plage, agglutinés les uns sur les autres au sauna, une pente cimentée, sur le côté de l'immense propriété des Abdelkéfi, l'endroit assurément le plus chaud et où on pouvait le plus cramer.
La coloration dorée, surtout chez les blondes, et, j'en connais une qui l'était et elle les avait tous à ses pieds.
Dany, Karim, Ahmed, Saber, François ... Dany était beau " mais beauuu " comme disait ma meilleure amie. Elle avait une bonne vue et j'étais myope et que de fois quand je vis de près ces garçons qui avaient selon elle " quelque chose ", que de fois je fus déçue et nous allâmes jusqu'à nous quereller. Je lui en voulais d'avoir soufflé en moi des petits bonheurs dont le point de départ s'avérait, à posteriori, faux.

Où peuvent-ils bien être ? Que sont-ils devenus ? Y en a t-il parmi eux qui ressemblent à ceux que l'on entend quelquefois à la télé ? Ceux qui parlent du conflit du Proche-Orient sans une once de sympathie vers l'autre ? Difficile d'imaginer. Nous avons vécu ensemble nos plus belles années, nous avons partagé notre d'enfance et puis notre adolescence. Nous avons appris en même temps un florilège de sensations, de palpitations et de sentiments. Je ne peux le croire. Nos parents se connaissaient et s'appréciaient, voyaient-ils des choses, qu'à cet âge-là, nous ne comprenions pas ? Je ne saurai le dire.
Je me souviens de M.Raymond qui était prothésiste mais mon père ne jurait que par lui malgré les critiques de ma mère qui ne ratait aucune occasion pour lui préciser qu'il n'était pas un dentiste mais un mécanicien de la bouche. Sympa maman.
M. Maarek qui tenait une bijouterie au Colisée et qui m'offrit une très petite bague, un anneau en torsade très fine surmontée d'une fleur en perles nacrées, un peu comme un mechmoum. Un magnifique cadeau alors qu'on était juste passé lui dire un petit bonjour. Mon père leur offrit un weekend pieds dans l'eau à la villa de K.
Mme Marie L., une très proche de ma mère et de ma tante, elle cuisinait tunisien mieux que personne, le poisson méchoui et l'incontournable tastira. Elle avait toujours du chocolat blanc pour moi, elle savait que j'en raffolais.

D'autres et d'autres et la plage et la mer pour les ébauches de relation loin des yeux vigilants, et les diners et le Café Vert tous les après-midis vers 18 heures et Memmi et les madeleines et Alfred, Cacciola et les délicieuses ...

Parlaient-ils politique ? Évoquaient-ils le conflit du Proche-Orient ? Je ne sais pas. C'était avant Sabra et Chatila et le choc historique, Sabra et Chatila drame perpétré à des milliers de kilomètres et qui fut, me semble-t-il, à l'origine du départ et de la séparation. En tout cas, c'est l'argument-clé du Dr Berrebi, médecin de la famille, ami et quasiment un tonton pour moi. Un Monsieur d'exception et un médecin humaniste qui ne se faisait pas payer souvent et répétait la même phrase : la prochaine fois, en levant la main gauche. Depuis le temps qu'il me demande de sortir mon livre. Encore maintenant et malgré l'âge, toujours alerte, la même question aux miens : alors ce livre ?
Dédé le médecin des pauvres, le conseiller de tous. Je crois que jamais je n'ai vu un praticien comme lui, toujours à se recycler et surtout à communiquer avec ses patients. Un passage à son cabinet et c'était une heure voire plus d'échanges tous azimuts.

Que vous dire ? Je suis une enfant des années 70/80, je n'ai pas vécu les grandes guerres, je n'ai pas personnellement connu le début XX ème, tout cela je l'ai étudié sur les bancs de l'école mais j'ai des sentiments intimes, des certitudes. Dans nos pays, nous fumes heureux, juifs, chrétiens, musulmans et allez savoir quoi encore ! Pourquoi fallait-il un pays pour une religion ? Pourquoi l'Europe s'était-elle mêlée de notre vie ? Était-ce uniquement de la culpabilité ou voulait-elle se débarrasser de ceux qu'ELLE avait exterminés ?

Freud a été approché en son temps par des sionistes pour une collecte d'argent, quand ils lui firent part de l'idée européenne de la création d'un foyer juif en Palestine. Il s'écria furieux : pas en Palestine, ce sera des conflits interminables. Il eut raison.

Israël est là, l'Histoire a pris de l'avance. La Palestine n'est toujours pas un état, elle est grignotée tous les jours un peu plus. Les exactions sont atroces. Roquettes et armes de destruction effroyables. Des images à en perdre le sommeil. Pourquoi ne pas faire parler tous ceux qui sont originaires de Tunisie, d'Algérie, du Maroc et d'ailleurs ? Pourquoi ne pas raviver une histoire belle et tendre ou peut-être suis-je dépassée par l'Histoire ?
Résister est le seul choix pour continuer à croire qu'aimer est facile.



samedi 2 août 2014

Non, je ne reconduis pas l'Histoire !

Non un passé lourd n'est pas à refaire. Quand des personnes ayant souffert refusent de se taire devant la souffrance des autres. C'est cela l'humanisme, c'est cela l'intelligence du cœur et de la tête. 

Arrêtons avec cet argument vide de sens d'Israel doit se défendre ! 
Se défendre d'être sur le sol des autres ?
Se défendre de grignoter tous les jours un peu plus de terre ?
Se défendre d'une stratégie d'épuration visible ?
Se défendre de ne pas savoir arrêter une politique expansionniste ?
Se défendre du lancer de pierres et de roquettes avec des armes de destruction effroyables ?

Les roquettes sont haïssables, Tsahal et son artillerie lourde sont un crime contre l'humanité.

Il n'est pas question de retourner au traité de Balfour, l'Histoire a pris trop d'avance, il n'est pas question du vieux rêve du Grand Israël, il n'est pas question de rayer Israël de la carte ni de crier mort aux juifs ( atrocité de l'Histoire ), Non, il y a toujours moyen de construire le vivre-ensemble, ce n'est pas impossible. Lutter ensemble contre les voix malades des deux côtés : ni impérialisme, ni extrémisme car les deux sont une même chose avec des moyens "élégants" et froids d'un côté, brutaux et fous de l'autre.


Ce n'est pas IMPOSSIBLE, la vraie richesse étant l'Homme. Il faut savoir l'éduquer.