samedi 20 octobre 2012

J'ai mal au pays.

"Ne suis-je pas suédoise?" me dit-elle, mi-figue mi-raisin. Tunisienne bien entendu mais le génie du rêve, même conscient, est dans la perspective. Elle revenait du travail. Un bien grand mot : deux nuits par semaine, de l'argent personnel et une plongée dans le monde professionnel avant de prendre de nouveau l'envol vers l'ailleurs. Notre tunisianité est indéfectiblement en nous, nous la portons comme un flambeau et nous la passons par devoir et par nécessité.
Sa chance, à elle, la Tunisienne, c'est qu'elle évolue de par ce travail dans son milieu naturel, cosmopolite, résolument tourné vers la modernité, depuis un moment, quand même. Tunisienne de chez les Tunisiens, quoi qu'on dise et abstraction faite de tout préjugé, elle a la bonne étoile d'être pétrie d'ouverture, nourrie de recul et promotrice de pluralité culturelle.
Oui, nous sommes nombreux à rêver de Lumières pour notre Tunisie, lumières dix-huitièmistes et nous le revendiquons. Et pourquoi pas? Que rêver de mieux? Rationalisme, pensée critique et souffle nouveau. Une autre façon d'espérer avancer autrement qu'en cherchant l'âge d'or dans le passé.

Le pays est si beau dans les photos du petit matin! Tout un chacun est capteur de beauté de nos jours en un clic et grâce au progrès. Le ciel de la Tunisie est unique, on aime le répéter, des rougeurs comme autant de promesses d'un avenir radieux et une mer paisible qui sommeille et s'étire langoureusement. Vous ne pourrez rien contre la volupté de la nature, autant se laver les yeux et purger sa vision et son esprit.

Sur la route de chez elle, c'est tout autre chose et au matin, il est difficile de tout voir rationnellement, c'est à dire, ici, politiquement et socialement. Il est difficile de sortir le faisceau "compréhension", "réalisme", "réel". Il y a encore trop de torpeur. De part et d'autre.
Elle voyait partout ce qui s'appelle maintenant "La révolution parallèle", celle des poubelles : des égorgées, des déchiquetées, des jetées, des explosées...Il y en a pour tous les goûts et selon toutes les bourses. Qu'à choisir!
Poubelles et herbes hautes de plus d'un mètre tout le long d'un parcours qui fut presque léché, il n'y a pas si longtemps afin que Ben Ali et sa femme oublient jusqu'au sens du mot détritus. Et l'oubli est précisément le glas du pouvoir. 

Faites que votre oeil soit une caméra, c'est possible. Focaliser là-dessus, c'est faisable. Pensez au 14 et à son ivresse exceptionnelle et vous vous direz dans les vapes matinales qu'au final tout n'est que poubelles alentour. Pourquoi? C'est comme qui dirait une vision trouble, un hiatus entre espoir et réel.
Cela dégorge, de partout. L'élan des premiers jours est déjà histoire ancienne : le nettoyage des boulevards, les civilités, les queues devant les boulangeries. Le sursaut du dépressif chronique qui n'aspire qu'à la liberté afin de pouvoir de nouveau nous faire du chantage inconscient? 
Oui, la conscience est à appeler.

La femme est hurlée pute au volant, un classique désormais. J'écris le mot en toutes lettres malgré une retenue habituelle pour tout simplement donner à voir et lever le voile sur des pratiques très courantes.
L'homme post-14 a un regard désapprobateur, moralisateur, un tantinet pincé celui-là. Dans le meilleur des cas, hautain. Il est "ébranlé" dans son mental, tout nouveau, importé du golf, la mode de l'heure de Monsieur tout le monde que l'on croise fréquemment en faisant ses courses. Opportunisme ou stupidité tenace et indécrottable? 
( Même "Echaab" arbore barbe et gandoura. C'est un trentenaire de par ici, clair le jour et hurlant ses revendications sociales dès 18 heures à l'heure où il prend son service de gardien de nuit d'une vieille propriété, purgeant ainsi déficit social, douleur rentrée et eau-de-vie. )


Ma terre a-t-elle hurlé pour cracher et déféquer sur la voie publique?
Je me console à y voir une dépression provisoire, un lendemain de désenchantement passager, mieux une transition.

Je suis dans la tête de cette jeune personne, rayonnante de naturel et riche de pragmatisme, portant, malgré tout, très haut le rouge et le blanc de son humus natal.C'est une Tunisie aussi que vous le vouliez ou pas, libre et tenace, jamais dans le moule et en permanence dans la liberté de penser.
Tout a été dit dans la fougue des jeunes de 20 ans mais aussi dans le refus du statique, de l'immobilisme. Nous sommes loin de la Suède, assurément, nous sommes nous : un potentiel humain indéniable, une volonté farouche de résister, un refus réel d'assister au projet d'ancrage d'un modèle de société bien plus que déplacé : ni d'orient ni même d'occident fût-ce la Suède. Notre volonté : un pays démocratique respectueux de la différence et prônant l'ouverture.

Lave tes yeux de l'avancée des autres, cet humus est le nôtre, les immondices ne prendront qu'un temps, si tu t'ériges en tunisienne, debout, à l'écoute et prompte à la réponse, criant ton mal à la ronde et oeuvrant pour la construction d'un édifice nouveau porteur d'alternances, de différence et d'équité.

Ce sera porter et bien porter sa tunisianité.


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