jeudi 1 septembre 2011

Une révolution est une libération


Une révolution est libération, bonheur fulgurant mais aussi trauma comme tout changement fort, angoisse des lendemains qui déchantent, désillusions souvent…La révolution tunisienne a été d’une beauté rare, d’une force rare. Sa facture en pertes humaines n’a pas été très lourde même si une seule victime est, à elle seule, une perte considérable. Mourir pour des idées, par espoir de changement, mourir pour les autres est fort mais c’est quand même mourir.
La révolution tunisienne donne à rêver, laisse entrevoir le scintillement de la démocratie, du droit, elle gomme des décennies de propagande partisane grossière « size stupides obligés », « stupides à vie ». Elle éloigne des slogans creux et vulgaires consommés sur 23 ans - 50 pour d’autres – type «  Farhat chebeb Tounès », littéralement « Bonheur de la jeunesse tunisienne », le plus hilarant de tous, tout un concept de RIEN. Un soulagement, à ne pas douter, que la révolution tunisienne. Une fierté que ses répercussions sur le reste du monde arabe, mais aussi une attention et une angoisse quelquefois paralysantes, une praxis fébrile aussi, par moments, de cette fébrilité de la peur d’accoucher d’un avorton.
D’un avorton…
La révolution doit être une porte ouverte sur un monde nouveau, un monde rêvé…Or, depuis quelques mois notre esprit est inquiet, dérouté, il tourne en rond. Le rêve risque-t-il de tourner au cauchemar ? La liberté tellement désirée est-elle de nouveau la cible des esprits étroits ? La pensée unique gagne-t-elle de nouveau du terrain ? Le pays se complait-il dans le laisser-aller ? L’hygiène a-t-elle des chances de s’installer durablement chez nous ? Le Tunisien va-t-il se ressaisir ? Devrions-nous, nous, les femmes, accepter que certains mâles poilus revoient notre parcours, décident de notre vie au quotidien, parlent de nous en tuteurs autoproclamés nous regardant en sous-personnes, fragiles, réduites à leurs parties intimes qu’il faut dissimuler et placer dans des contextes appropriés en veillant à en éloigner l’ Homme, être rapidement sensible à la chair et à la tentation ?

Dangers de la pensée unique.

Ces derniers temps, le populisme et le racolage battent leur plein, les mariages en série, les cérémonies de félicitations du baccalauréat, les circoncisions, les discours creux des Islamistes, les vidéos de certains énergumènes décidant du destin professionnel de la femme écœurent au plus haut point. La religion musulmane, qui est avant tout un message de paix, est galvaudée à droite et à gauche par des hommes limités intellectuellement, sans profondeur aucune, dénués de tout bon sens et de tout souci économique, endoctrinés ou visiblement en mal avec eux-mêmes psychologiquement pour des raisons personnels de dénuement, de frustration et de complexes divers. Oui, galvaudé, l‘Islam à des desseins politiques, à des stratégies politiciennes, ces hommes quelque peu simplets - pour certains et à leurs interventions - sont souvent manipulés, exploités dans leur foi et il nous semble impératif pour l’heure de lever le voile sur des pratiques de politiques politiciennes dangereuses et fascisantes.
Qu’est-ce que l’Islam, qui est synonyme de sérénité, a à voir avec ces hommes, avec leurs discours musclés et leurs tons autoritaristes ? Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces hommes menaçants, ces discours populistes, un panaché de diktats et de paroles doucereuses, de promesses fallacieuses et de dons en nature ? Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces hurleurs qui mettent le volume au max ?
L’Islam est aux antipodes de ces récupérations politiciennes qui prolifèrent en profitant de la simplicité intellectuelle des bonnes gens, de leur pauvreté et de leurs carences, de leur besoin d’espoirs. Cela s’appelle tromper et mentir, cela s’appelle alimenter la naïveté et l’ignorance, cela s’appelle faire taire et commander. Des calculs politiciens dignes du RCD, on n’est pas loin des caméras qui filment des pauvres gens installés dans pièce unique et salle d’eau, qui se confondent maladroitement en remerciements et en bénédictions du Chef Suprême, du Père donateur, de l’Incontournable, le Seul. De nouveau l’image du « Père Suprême » sauf que celui-là prétend prendre appui sur le divin dont il est le missionnaire, quasiment l’Immaculée conception et obligatoirement le SILENCE.
La révolution du 14 nous a donné le bonheur de la parole libre, du mot percutant, de la répartie affranchie et il est hors de question de mettre cela en péril, la liberté d’expression étant le besoin premier de l’Homme libre.
Le religieux lui est d’un ordre strictement personnel, nous ne sommes jamais autant heureux que dans notre rapport intime et solitaire à Dieu, la religion a le mérite de nous réconcilier avec tout et même avec la mort, et dans ce rapport au divin, il n’y a aucune place aux prêcheurs de propagandes, à la récupération politicienne. Un exemple simplissime : lorsque nous scrutons le ciel, dans un désir de communion avec le divin, un désir suprasensible, la présence d’un tiers coupe l’élan et empêche toute proximité. Oui, dans notre foi, nous avons fortement besoin d’être seuls.
De même, la religion ne doit pas être entachée par les dérives et les vices du pouvoir, parce que le pouvoir est puissance, la puissance est sans limite, et le sans-limite est foncièrement folie. D’où, par ailleurs, l’obligation de l’intermittence du pouvoir et par conséquent de la démocratie.

A vau-l’eau.

D’un autre côté, un autre désappointement, l’état du pays, la notion de travail, de la responsabilité professionnelle, le respect des lois de construction, des lois du code de la route, du respect de l’autre, du respect de la voie publique, la notion de citoyenneté.
Il y a l’impression nette que le pays va à vau l’eau, bien plus qu’une impression pour être réaliste, un constat de chaque instant. Les marchands tout azimut devant chez vous, sur les trottoirs, la voie publique…Les conducteurs et les multiples passe-droits qu’ils s’autorisent…Les administrations désertes…Et la citoyenneté et le civisme dans tout cela ? On argue que toute révolution est suivie de périodes troubles, on en convient, mais n’est-il pas temps en ce milieu de la transition de remettre la pendule à l’heure, de s’astreindre en tout à un comportement respectueux des autres ?
Le Tunisien a souvent bien fait les choses, il a cette belle spécificité d’avoir un pied en Orient et un autre en Occident, positionnement géographique heureux, la Tunisie est ouverte sur les autres, terre d’accueil et de mélange depuis des millénaires, des Berbères, des Phéniciens, des Romains, des Byzantins, des Arabes, des Maures, des Ottomans, des Européens…un mélange qui a gardé ses traces positives en nous. Le Tunisien a de tout temps été accueillant, ouvert, curieux de l’autre, de cette belle curiosité qui consiste à vouloir comprendre l’autre et non l’espionner par le trou de la serrure. Différence s’il vous plaît.
Qu’on ne vienne pas, aujourd’hui, nous faire miroiter une vision monochrome et monotone du pays où on refuse la différence. La Tunisie a souvent eu une ligne assez personnelle et assez libre en tant que pays, c’est ainsi que de la colonisation, qui n’est certes pas la plus belle page de l’histoire du pays, le Tunisien a gardé, entre autres, le parler franco-tunisien ; pour certains, une admiration certaine de l’esprit des Lumières, de la tolérance et de la philosophie…
C’est assurément pour cela que certains pays du monde arabe en ont voulu à la Tunisie de tant de ligne personnelle, de liberté d’être et de penser. Ils en ont voulu à Bourguiba de son avant-gardisme, de son insolence de ton et de sa modernité. La Tunisie pour eux n’a rien à voir avec le monde arabe, c’est comme s’ils étaient propriétaires de la clé principale de l’arabité et du mode arabe. Il n’y a qu’à se rappeler la réaction de l’Egypte quand le siège de la ligue arabe fut déplacé du Caire à Tunis en 79-80 (   bien entendu, il y avait d’autres raisons  ).
Certains vont jusqu’à parler aujourd’hui d’un complet wahhabite et qatari contre la Tunisie. Rien n’est prouvé et il est hors de question de tomber dans des spéculations de bas étage.
Ceci dit, la haine que voue la fameuse chaîne ElJazira à la Tunisie, son dédain et ses nombreuses désinformations sur le pays avant la révolution, durant la révolution et encore aujourd’hui donnent à réfléchir, inquiètent, exaspèrent et enfin poussent à contrer en dénonçant ouvertement cette campagne contre nous, car il s’agit d’une campagne contre nous et non pas uniquement contre Ben Ali comme ils l’avancent et puis Ben Ali est l’affaire des Tunisiens, du droit tunisien, de la conscience politique des masses. Non donc à l’ingérence et aux dollars glissés ça et là, plutôt à droite d’ailleurs.

La femme encore et toujours.

Non, donc, à l’ingérence, non à gommer l’identité tunisienne, à l’uniformiser, à en faire  un-je-ne-sais-quoi sans valeur ajoutée, personnelle. Le Tunisien se doit d’être vigilant, il ne doit pas baisser la garde, il doit veiller à l’équilibre de son pays, il n’a pas d’autre choix que de réussir la transition démocratique. Il doit également aujourd’hui, sous le soleil de plomb du mois de juillet, faire du sur-terrain, sortir de son salon pour aller vers les autres, vers les coins de campagne expliquer aux bonnes gens la nécessité de la vraie démocratie, le danger de ceux qui convoitent leurs voix pour arriver au pouvoir et ensuite, de nouveau, nous imposer le silence. Car nul n’est en droit de nous faite taire.
Les femmes qui sont majoritaires en Tunisie ont du pain sur la planche, les femmes des campagnes, des usines, des villes, des bureaux…toutes doivent comprendre qu’aujourd’hui leurs voix sont cruciales pour leur condition de femme, les études qu’elles ont faites, les responsabilités qu’elles assument, les personnes dont elles sont responsables…Toutes doivent comprendre que leur liberté est menacée, que leurs droits sont dans la ligne de mire, que leur être propre en tant que personne est sur la balance. La femme est une, son histoire est jalonnée d’épisodes malheureux, cela va du refus de sa naissance en tant que femme, à l’obligation de la marier au cousin germain par souci de conserver l’héritage, en passant par la répudiation et autres. Aujourd’hui des voix s’élèvent pour conseiller, sinon décider à la femme de ce que doit être sa tenue vestimentaire, son travail, ses contacts…On parle du rôle de la femme auprès du mari, de son rôle chez lui - la maison de l’époux ! -, de la direction de son regard – le parterre, de préférence – de son rôle de mère…
Nous sommes nombreuses à halluciner. Qui l’eût cru, dans une république, que Bourguiba et d’autres éclairés ont voulu moderne, moderniste, tournée résolument vers l’avant, dans le respect de tous ? Dans toutes les grandes villes de Tunisie, des femmes ont pris le chemin de l’école très tôt, vers le milieu du XXème siècle et bien avant. Certaines ont inscrit leurs noms dans le grand ouvrage de l’Histoire, d’autres ont gardé l’amour des livres et de quelques mots en langue étrangère, certaines encore ont rejoint après une courte scolarisation, les fameuses Dar Maâlma, les fameuses « mederssa » de couture, de broderie, de tissage et autres apprentissages d’antan. Parmi les plus grands conservateurs, les plus grands oulémas de la religion musulmane, certains ont consenti à envoyer leurs filles à l’école en dépit de l’opprobre et des langues déliées. La Tunisie a une belle histoire des femmes, Bourguiba a immortalisé l’émancipation féminine dans ce beau geste d’ôter le voile aux femmes venues l’accueillir en juin 55. Oter le voile, un geste synonyme de libération, de sortie au monde, de liberté, de dépassement de tabous et de complexes millénaires. Ce n’est en rien anti-islamique, l’Islam n’est pas l’Islamisme, l’Islam est religion, besoin de sérénité, souplesse, acceptation de l’autre…L’Islamisme, lui, est folie de pouvoir politique et de domination.
Nous sommes nombreuses à nous sentir très peu concernées par le voile, absolument pas concernées par le voile, en harmonie parfaite avec Dieu – peut-être pas avec les hommes, mais c’est de bien moindre importance. Musulmanes, pratiquantes ou pas d’ailleurs, mais cela est l’affaire de qui au final ? Rassérénées au fin fond de nous-mêmes par une foi inébranlable, un accord avec le Créateur et nous-mêmes, libres du joug des hommes moralement et financièrement, ne consentant à partager la vie que de ceux qui partagent nos idées. Nos mères, souvent, étaient pionnières, elles nous ont balisé à leurs façons le terrain.
Nos pères, souvent, nous ont menées vers le savoir, nous ont portées vers l’apprentissage. Certains nous ont appris la nécessité de nous démettre du carcan du mari, d’échapper à la dépendance financière. On leur voue un culte, on honore leur mémoire et ce n’est pas aujourd’hui qu’on les décevra. Paix à leurs âmes,  ce sont nos seuls tuteurs autorisés, honneur à leur avant-gardisme, à leur confiance en nous, ils nous ont ouvert les portes de la liberté et du savoir, notre volonté et l’école ont sculpté le reste, ont affiné notre regard sur nous-mêmes et sur les autres. Les autres dont on est respectueuses, conciliantes tant que la réciproque est vraie, autrement l’obligation sera de contrer, de se battre, de militer car notre liberté est notre histoire propre et y toucher sera nous atrophier, un geste criminel inadmissible.

Samia Sehili Z.

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