Début 20ème, dans une petite ville sans prétention du Sahel tunisien naquit un homme qui aura un destin sans précédent. Un homme issu d’une famille modeste, le dernier-né d’une nichée de huit enfants. Son parcours scolaire et universitaire n’est pas des moindres, particulièrement en ces temps reculés : Sadiki, Carnot, La Sorbonne. Puis la rencontre d’une dame qui dut beaucoup compter dans la sculpture du personnage. De ce Monsieur, on parle et on continue à parler, longtemps probablement car une nation qui oublie ses hommes et femmes d’exception n’est pas dignes d’eux. Sa mémoire courte lui rendra ardue la tâche d’aller de l’avant. Les femmes et les hommes de ma génération n’avaient pas la maturité requise pour l’apprécier en son temps, nous l’avions plus connu sur le tard quand il prit de l’âge et que l’âge et l’entourage véreux firent de lui une marionnette. En réalité, le mot « marionnette » sitôt écrit semble pesant, non qu’il soit inadapté, mais en égard au personnage et à son avant-gardisme. Et puis le temps patine les êtres et surtout les êtres d’exception au regard de leur parcours, de leurs réalisations et en comparaison avec les « petits », les creux, les sans-envergure, les populistes qui se construisent sur la misère du peuple, ses carences, ses nœuds, ses frustrations, sa rancœur justifiée tel l’inSupportable « Mousemeh Kérim ». Mais le peuple n’est pas à blâmer, car le peuple est le Peuple, la base, le ciment, le bras besogneux d’une nation. Le peuple n’est pas à blâmer, le politique OUI. Jusqu’où un programme politique a-t-il voulu élever un peuple, le porter et le porter haut économiquement, socialement et intellectuellement ?
Oui Bourguiba a été un grand homme, un homme d’envergure avec un vrai projet et un modernisme avéré. Nous ne connûmes pas, nous, son heure de gloire, nous sommes nés bien après l’Indépendance et nous ne vécûmes pas l’épopée bourguibienne de la libération. Même que très jeunes adolescents, on dénigrait fort tous ceux qui fricotaient avec le PSD.
D’abord en réaction et par opposition avec beaucoup de nos parents et aussi parce que la corruption du parti se faisait sentir fortement, le leader vieillissait et même ceux qui vénéraient Bourguiba n’étaient pas très contents de la tournure des évènements, souhaitaient souvent le voir suivre les pas de Léopold Sedar Senghor et céder le pouvoir de son vivant. Que BCE l’évoque aujourd’hui est tout d’abord une preuve manifeste de sa reconnaissance du Maître, du leader, un respect de l’Histoire du pays et un rappel de l’avant-gardisme et du modernisme de Bourguiba mis à part son patriotisme, son œuvre incontestée dans la libération du pays et son honnêteté d’homme.
Bourguiba a été un grand avec tous les travers que cela implique dans précisément sa condition d’homme et, assurément plus, d’homme politique. Un égo surdimensionné, un amour possessif de la patrie, une difficulté à accepter le passage du temps, l’oubli…un refus de reconnaître l’implication historique des autres dans le processus de libération, une accaparation du pouvoir…Sauf qu’aujourd’hui, avec le recul, on peut considérer que l’Histoire, l’époque autorisaient quelque peu ces travers, ce culte de la praxis politique d’alors payée au prix de sacrifices, menée sur fond de convictions réelles et d’honnêteté patriotique.
Pourquoi écrire sur Bourguiba, précisément aujourd’hui ?
Pour, tout d’abord, expliquer la hauteur que les jeunes des années 80 avaient vis-à-vis du Monsieur, le mépris du PSD même si de nombreuses personnes dissociaient l’homme du parti au vu de la corruption de ce dernier, dans le sens où le respect du père demeurait plutôt intact et où l’on attribuait « La caravane qui passe », les bus de l’Union des Femmes et autres perles du même mauvais goût plutôt aux « remueurs » du parti complètement méprisés.
Bourguiba était le père certes respecté mais duquel il fallait s’éloigner – comme quand on s’éloigne de nos géniteurs - pour se construire, lassés de son discours et de son histoire qui n’était pas la nôtre et, dont nous n’avions pas connu l’exaltation. Bref, question de générations tout simplement.
Et puis écrire, sur Bourguiba, aujourd’hui, parce que c’est un peu l’heure du retour vers le père après l’impérieuse construction personnelle, la distanciation obligée, parce qu’il n’est plus là et que le temps nous le donne à voir dans sa valeur historique. Non que l’on veuille revivre son temps – on ne refait pas l’Histoire, en tout cas pas à l’identique - , non que l’on ait les réponses, ni les excuses à son œuvre incomplète, par endroits, mais parce que l’heure nous met d’emblée dans l’évocation d’un passé glorieux et dans le comparatif vis-à-vis de l’événementiel du moment et des voix politicardes tonitruantes du jour.
Nous sommes un peu – un peu beaucoup ? – dans la situation des lendemains de gloire forcément décevants, un peu dans la situation du discrédit de soi, du désenchantement. Le retour vers la gloire est donc un besoin, une nécessité pour de nouveau croire en soi. Un classique en fait et c’est ainsi que l’on constate dans l’histoire littéraire un peu avant la fin de la 2ème Guerre mondiale un retour vers le mythe, sa réécriture : Antigone , Caligula et d’autres auxquels se sont attelés Anouilh, Camus, Giraudoux…
Pour nous, ce sera Bourguiba mais aussi d’autres dans des domaines différents, Haddad, par exemple, que le premier Président de la République saura faire valoir en politique, ce qui est en soi l’intelligence du faire politique : la mise en pratique des idées des penseurs, des écrivains et des intellectuels. Aujourd’hui, nous sommes loin de cette époque de construction vraie, de sentiments authentiques. On peut arguer que le recul historique n’a pas pu avoir lieu, que nous sommes en plein dans la mouvance, l’action, que sur le moment la noblesse de la praxis ne peut être visible.
Sémantique que tout cela semble-t-il. Quelle noblesse peut-on trouver dans le discours de R.Ghannouchi ? Quelle clairvoyance politique ? Quel projet et quelle grandeur politique ? On n’osera avancer la notion de modernité. Un cheikh à l’heure on l’on parle de président. Des comparaisons dignes des armoires de nos grands-mères aux senteurs coing-citron – « L’Islam n’est pas un sefsari de soie pour qu’on le range au placard », dixit « notre » cheikh, l’Islam religion du pays dont il fait sa propriété privée pour atteindre le pouvoir. Des « boulettes » aux pauvres qu’il gagne à empêtrer dans le populisme et l’ignorance, mariages en série, calèches aux couleurs locales et, imaginaire oblige, poissons pendants et autres amulettes anti-mauvaix œil. On n’est pas loin de l’Inde carte postale c'est-à-dire aux antipodes des bâtisseurs de la Tunisie moderne qui avaient en horreur l’inerte, qui étaient déterminés, en prime politiquement, à bouleverser les choses et ce geste-culte, pour nombreux Tunisiens, de Bourguiba ôtant le voile à des femmes sous verrous.
Les adeptes féminines de R.Ghannouchi font aussi dans l’humour-femmelette, sur estrade, et Ô sacrilège sous couvert de démocratie !
Quel rapport chères « sœurs » entre votre condition de femmes pro-polygamie, pro deuxième être, adepte de la femme tentation et la démocratie, la liberté d’expression, l’intransigible parité, le respect de l’autre mon égal et dont je suis l’égale tout naturellement ? « Dans mon action politique, pourquoi vais-je m’empêtrer de voilage – et non plus de voile – à table, avec mes collègues hommes, pourquoi ce distingo de sexe là-même où je suis une personne indifférenciée moi qui suis de la même religion et culture que toi ? » dira une femme libre tout en ajoutant que libre ne signifie pas dévergondée.
C’est là où l’on est nostalgique de la pensée bourguibienne, de celle de nos pères qui nous poussaient haut et fort vers l’émancipation et la responsabilité. De quelle oreille aujourd’hui, pourrions-nous entendre le populisme de l’extrême droite ? Quel regard adopter au vu de la démarche d’appauvrissement intellectuel des masses adoptée par Ennahda ? Un parti qui se base sur la même « doctrine » populiste que certaines chaînes de TV par ailleurs amies, qui engrange à base d’ignorance, de misère, de culpabilité et de sensationnel. Non, le Tunisien mérite bien mieux que cela, il vaut mieux que cela, il doit pouvoir aller de l’avant et jouir d’une vie de meilleure qualité. Laissons libre le champ cultuel, ne mélangeons pas spiritualité et impératifs socio-économiques. L’Homme trouve seul le chemin de Dieu, s’y met et l’adapte à ses attentes, c’est une relation on ne peut plus intime, nul besoin d’intrus dans le domaine privé. Par contre, l’Homme en général et, pour notre part, le Tunisien en particulier a droit à une dignité sociale, professionnelle, intellectuelle. C’est le bien-être, le bien-vivre, le savoir-penser. Arrêtons donc de l’utiliser en bonne pâte en jouant de ses faiblesses, de ses lacunes et de l’absence de l’égalité des chances au départ de sa vie.
Bourguiba a eu l’honnêteté de ne pas le faire, il a eu le mérite d’aimer son pays et ses compatriotes, de vouloir les porter haut, par l’école et le savoir, par l’implication de la femme dans le processus économique, par l’effacement du legs de l’ignorance, de la superstition et de la pensée inerte. La politique politicienne, les intérêts des uns et des autres, le désir d’hégémonie régionale, la vieillesse du leader, la corruption du parti, la gangrène administrative, le silence des intellectuels, leur absence, leur bâillonnement ( ? ) ont fait que les choses n’évoluent pas dans le sens du projet moderne et moderniste du départ.
Aujourd’hui, il y a la volonté de conduire ce projet à bon port avec des hommes et des femmes propres intellectuellement, déterminés politiquement qui n’auront de cesse d’introduire le pays dans le cercle des grands. Et pourquoi pas ? Des effluves de gloire dès à présent.
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