dimanche 2 novembre 2025

Les Furieuses, 2

 

La fronde des femmes de Toundzi








 


Le psychologue de la cellule d’écoute qui fut assez vite mise sur pied était un peu perdu. Il écoutait, prenait note, avait du mal à démêler les fils … Des femmes violentées depuis des décades et puis la déflagration avec la rage de H’léla et toutes veulent dire les choses, raconter, se raconter, passer en revue des vies serviles où le maître mot était la pression, le chantage, l’oppression et les coups.


Comment était-ce possible toute cette impunité ? Comment se fait-il que les hommes de ces régions, de ces contrées se permettaient autant de suprémacisme, de machisme, de violence ?

Était-ce en raison du statut de la femme ? Était-ce ancré culturellement ? Faire de la femme un être voué à l’homme, le père, le frère, l’époux ?

N’y avait-il aucun micro-espace de clarté dans leur esprit qui leur ferait voir la femme violentée comme un ennemi silencieux menaçant et potentiellement explosif - ce que fut H’léla ?

Un terrain conquis, des êtres de silence auxquels il fallait donner des leçons dès le départ dans le but de mater, de faire taire, d’exploiter et d’asservir.

Et H’léla fut poussée à l’irréparable. Et le tyran l’avait cherché.

 

Ce fut autour de ladite Chéma, une gaillarde d’une quarantaine d’années, grande et assez carrée. Il aurait dû y penser, se dit l’enquêteur.

 

-    Il m’a battue la semaine de notre union. Il avait trouvé un prétexte : le dîner n’était pas assez chaud au goût du monstre poilu. J’avais dix-huit ans et il avait vingt ans de plus que moi. C’était comme si mon géniteur me punissait. Je fuis la maison conjugale une heure après et ma mère m’y remit me disant que c’était à moi de ne pas le provoquer. Et il continua assez régulièrement. Serais-je venue au monde pour être l’esclave de ce crétin à savates ? Et puis un jour qu’il voulait exercer son pouvoir de mâle, je lui dis non et il leva la main et je me débattis comme un fauve et il eut peur. Il prenait de l’âge et j’arrivai à maturité. Contrairement à H’léla, j’ai su répondre à la peur par le courage et la détermination. S’il ose encore mettre la main sur moi, je crois bien que je pourrai l’arrêter définitivement … H’léla a vécu l’enfer, voilà pourquoi, conclut-elle, les joues chauffées par la colère, la rage et l’excitation des mots longtemps gardés au plus loin en soi.

 

-  Monsieur, j’ai souffert et je souffre. Une vie forcée, sans amour et sans satisfaction. Je crois bien qu’après cela, je demanderai le divorce d’avec cette brute. Coléreux, impulsif, imprévisible, buveur et ingrat à souhait ! De quel droit ? Qui est ce triste personnage pour que je le supporte encore. L’acte de H’léla sera déterminant pour toutes les femmes de Toundzi. Plus jamais ça. Plus jamais d’impunité. Il aurait dû payer de son vivant ce mufle. Parce que là, il se repose la Brute. Non à cette facilité, à ce retour incessant, à ce cran comme si nous étions des êtres de proximité sanguine. Non, nous ne les connaissons pas et au diable ! Nous ne sommes pas des corps offerts ad vitam aeternam, ni des bras donneurs et réparateurs à vie. Il faudra partir, trouver du travail et batailler pour nos droits. H’léla aura payer pour nous toutes. Les choses ne seront plus jamais les mêmes à Toundzi et ils le sauront bien assez tôt. Des calculateurs dès le départ et nous nous sommes fait avoir pour la plupart. La solution sera de travailler ailleurs contre monnaie trébuchante dans la dignité. Parce que précisément tout est dans la dignité. À quinze ans, nous étions presque des enfants et déjà on nous préparait à l’esclavage, qui plus est nos mères ! Plus jamais ça, de l’égotisme, des êtres qui ne pensent qu’à se vautrer nous prenant pour des vaches et qui renouvèlent les mêmes tares. Des égoïstes et pourtant je n’étais pas si naïve que cela, moi. Mais ma mère répétait qu’il fallait être heureuse une semaine sur une existence de labeur de trente ans. Non la Mamma !


 

Le psychologue voyait la force de ces femmes éclatées depuis l’acte de H’léla et se demandait comment elles avaient pu se taire si longtemps. Il faisait son travail, connaissait la société où il vivait, était un homme, mais ces voix survoltées, ces joues chauffées, ces récits presque hurlés, ces souffrances extériorisées le déstabilisaient.

 

-    C’est l’habitude du silence, se dit-il. Elles ont raison, il faut des lois fortes, coercitives et une application rigoureuse afin d’éviter les pires à venir.

 

Et il décida de l’écrire fortement et sans détour.

 

« Toundzi, ce sont des femmes violentées à mort, éduquées au silence et à la soumission, au servilisme indigne. Une société qui se respecte ne saurait tolérer cela. Éduquons-les à l’école, aujourd’hui, maintenant, là, de suite, afin de poser les bases d’une société égalitaire qui n’aura aucune indulgence en situation d’agressivité, de violence et d’asservissement, d'où que cela vienne. Les hommes de ce coin et d'ailleurs ont besoin d’être rééduqués. »

F. S.

Psychologue enquêteur,

Cellule d’écoute,

La fronde des femmes de Toundzi,

Fin.


























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