samedi 24 mai 2025

Toute la beauté du monde, fin


Toute la misère du monde, toute sa beauté puérile 


















-   Je reviens vers vous parce qu’il y a l’impérieux désir de dire. Vous me demandez d’être juge et partie, ce n’est pas chose aisée et je ne serais pas venu vers vous. Vous m’en demandez trop. Savez-vous ce que cela coûte pour un homme de se délivrer dans ces cultures du silence ? 



 

-   Ne croyez-vous pas que le temps est précieux ? Sinon pourquoi je vous demanderais de vous mettre vous-même à contribution pour aller de l’avant et quitter le plaintif.



 

-      Je vous le répète : le délestage n’est pas achevé. Je veux dire les choses et cela est venu après tellement de difficultés. Ne me dites donc pas de passer de suite à l’étage supérieur. Mes rêves se sont effrités, mais je les porte toujours au cœur de mon être, même si j’ai moins la flamme de les mener à bien. 

 

Il y a aussi ces années de recroquevillements que je n’ai pas vu passer. Je campais sur moi-même dans un corps plié, noué, destiné au silence malgré tout …

Le temps est précieux, cela va sans dire, mais il y a les miasmes de l’esprit et du cœur, les miasmes de la psyché qui eux se meuvent et vivent dans une autre temporalité et là, je ne peux rien y faire.



 

-       Le rire dédramatise tout et nous installe d’emblée dans une distance vis-à-vis de nous-mêmes et de nos tourments. Le rire réveille en nous la nécessité du bonheur léger et, par là, le désir de l’atteindre en oeuvrant dans cet objectif. 



 

-     Mais vous omettez les 58 ans, les rêves avortés … Il y a comme une grosse fatigue, mais aussi un désir intense de vivre et de rattraper les années figées à essayer de trouver l’échappatoire … Il y a un phénomène agissant, une sorte de précipitation suivie de halètements … souvent difficile à vivre. Ça coupe le souffle et on est fatigué assez vite, à ne pas trop savoir par quel bout mener les choses. Alors même que l’esprit tourne à pleins poumons. Et moi je viens chez vous pour accoucher de tout cela, peut-être qu’une certaine maïeutique sera prometteuse et féconde. 

 

Alors ne m’infantilisez pas en me demandant illico presto de réintroduire le rire, aux oubliettes depuis des lustres. Le rire oublié, sacrifié, égaré ... Comment voulez-vous que je mette la main dessus ?

 

Évidemment que vous allez m’aider, néanmoins pour l’instant j’ai besoin de purger les passions parce que tous les conduits sont obstrués et que le fait que je sois là est déjà une infime lumière. Je ne suis pas sûr d’être cohérent dans tout ce que je vous dis, mais je dois me délester de bien des choses. D’abord. 

 

Me délester de mots, de maux, de blessures, de rêves perdus, de courte vue, de désaveu de soi, mais aussi d’amour de soi bradé et puis perdu. Je dis la chose et son contraire ? Sûrement et c’est là précisément où le bât blesse et le bât blesse vraiment. J’ai eu une existence d’homme seul, sans voix, d’homme difficile et réfractaire à tout ce qui n’émanait pas de lui. J’ai voulu le bonheur, oui, je crois, à des moments ponctuels, mais je l’ai perdu en route. J’ai perdu de vue le bonheur. Cette chose si diffuse, si volatile, si peu saisissante et saisissable. Je ne pense pas lui avoir couru après et combien j’aurais dû. 

Aujourd’hui je regrette. Est-il encore temps ? Pourrais-je mettre sur pied certains désirs d’antan ? Quelques-uns au moins … Je ne sais pas si mes rêves d’alors et le dur désir ne serait-ce que de frôler le bonheur, sont exactement la même chose. Je ne sais pas aujourd’hui si j’étais dans le partage ou si j’étais autocentré et inconscient des autres … 

 

Peut-être étais-je trop focus sur moi-même avec une courte vue sur les autres ? Peut-être bien ? Vous voyez tout ce déluge d’hier et d’aujourd’hui. Vous voyez bien le nombre de choses auxquelles je n’ai pas de réponses. Ces choses qui m’interpellent, qui me saisissent, qui me ballotent, qui me jettent, qui me percutent, qui ne me font pas percuter … Je ne trouve pas les mots exacts. C’est l’ineffable. Et c’est cela qui fait mal aussi.

 

Je crois que le rire attendra et nous devrons démêler tout cela. 


 

Pour un homme à la psyché malmenée, quelle clairvoyance ! pensa-t-elle. Le rire attendra, admit-elle, en son for intérieur. Malgré les 58 ans. Il faudra mettre de l’ordre. C’était ce dont il avait besoin. Démêler. 

Elle voulait poser un pont pour lui faire hâter le pas. Il lui avait damé le pion.


 

-       Quitte à mourir sans parvenir au rire, dit-il, avant de quitter le cabinet.

 

-       Nous régulerons la vitesse pour ne pas embarquer dans une croisière sans fin.



 

Il lui fallait les commandes pour décider du tempo. 







 



mardi 20 mai 2025

Toute la beauté du monde, 3

Toute la misère du monde, toute sa beauté puérile 







-      Vous savez rire et nous savons tous le faire. Et même que le rire est le propre de l’homme. Vous avez juste oublié et votre mâchoire s’est endurcie. Alors exercez-vous et vous vous décrisperez. Le corps, la psyché est affaire d’exercice.


 

-       Je ne sais plus.


 

-     Vous savez bien vous nourrir, vous toiletter ? Vous savez aussi rire. Mais vous vous complaisez dans l’oubli. Croyez-vous être le seul à trimballer un passé complexe ? Des traumas que nous avons tous en commun différentiellement et à des degrés divers. Croyez-vous que la majorité des êtres humains sur terre réalisent leurs rêves ? Si c’était le cas, on ne vous mentirait pas au quotidien avec les démarches marketing les plus savamment réfléchies et les plus mensongères. Vos rêves, en aviez-vous les moyens ? Il y a quand même un réalisme avec lequel il faut savoir composer. Qu’est-ce que ce spleen que vous trainez au quotidien ? Vous faudrait-il une maladie gravissime pour vous tirer de votre léthargie ? Il y a toujours pire que vos nœuds gordiens. Soyez-en sûr. 


  Après, soit on compose soit on s’enferme dans l’inertie et les vagues psychologiques. 

 


Pincez-vous trois fois par jour, de septembre à décembre. Deux fois le reste de l’année. Mais pincez-vous fort de façon à vous faire un hématome et après regardez-le bien et trouez l’épais voile que vous avez tissé devant vos yeux. Et puis, achetez-vous un carnet de notes et consignez vos humeurs au quotidien. S’il y a trop de négatif, agissez et fabriquez non plus de la bile, mais de la légèreté et du rire. Peut-être que cela fera rictus au départ, mais les choses évolueront progressivement.

 


 

-       Peut-être faudrait-il que vous m’écoutiez davantage ...


 

-       Non, je vous ai assez écouté et là, il faudra que les choses s’inversent.


-      Ce n’est pas parce que mon vécu est moins lourd que d’autres qu’il n’est pas censé agir sur moi.

 

-    Non, dans l’absolu. Mais nous sommes dotés d’une matière grise qu’il faut savoir solliciter régulièrement et la réflexion, le comparatif, le rationnel, une forme de sagesse … nous acculent à nous ressaisir et à remercier la Vie. Une fois, cette conscience est là, à deux, nous adopterons des démarches réparatrices et apaisantes. Commençons par réintroduire le rire. 



À suivre 














lundi 19 mai 2025

Toute la beauté du monde, 2

 

Toute la misère du monde, toute sa beauté puérile 








 

-      Ai-je encore le temps de construire ? Mes rêves se sont effrités. Tout au long de ma vie. Je m’étais laissé prendre par bien des filets … Je ne pus faire autrement.  

 

      Et après, ce fut tout ce que je haïssais, tout ce que je jurais de ne jamais être… Quelque chose d’insidieux a coulé dans mes artères sans que j’y prisse garde et je devins objet du désaveu de tout et, d’abord, de moi-même. Et dehors, ça grouillait, ça bougeait, ça faisait les choses, ça riait aux éclats …


      Je me figeai.


     Je me souviens de cette amie qui me regarda un jour dans les yeux et qui me dit combien mes yeux étaient profonds, combien ma voix était rauque et combien je lui plaisais. Je me claquemurai aussitôt et doublement. Non, non … Et dans le fond, je fus confus, agité, je perdis pied. Cela dut se voir. Je ne sais plus.


      J’avais fui.


      J’étais fort et j’étais faible. J’étais puissant et j’étais décontenancé. Alors qu’il fallait juste rire, plisser les yeux et se laisser aller aux rires. Je savais pourtant le faire, plus jeune. 

     Comment étais-je devenu un automate ? Était-ce le temps si court. Le temps de vie, je veux dire. Pourquoi avais-je peur d’être sollicité ? Humainement je veux dire. 


     Était-ce parce que je vivais loin de ma patrie ? Dans un exil intérieur aussi et une grande solitude psychologique. Et puis, je pris la résolution de décliner toute invite. Et je forçai le trait en devenant agressif et blessant. Afin qu’on me foute la paix.

     Je commençai un laborieux cassage de tout ce qui pouvait me faire quitter la partie la plus sombre de mon être. 



Il se tut, longtemps et elle avança un pion.





  

-       Savez-vous encore rire ?

 

-       Je n’en vois pas l’intérêt.

 

-       Vous retrouver. 58 ans, c’est l’âge du rire, à gorge déployée.

 

-       Je ne sais plus rire. 

 

A suivre