mardi 18 juillet 2023

Antigone et Étéocle de Carthage, 1

 

Les liens de sang













































                     

-     Mais pourquoi tu es devenue ainsi ? 

 

-       Ainsi ?

 

-       Oui, portée sur les crises …

 

-       Ce ne sont pas des crises, mais des positions. Ça change tout. 

 

-       Et l’utilité ?

 

-       Corriger son monde. Créer des précédents.

 

-       Peine perdue. 

 

-       Alors encaissons. Non.

 

-       Tu n’étais pas ainsi.

 

-       A 14 ans ? J’étais probablement en phase d’observation. 

 

-       Tu étais douce …

 

-       Forcément : 14 ans et j’étais assistée. Le demeurer est problématique …

 

-       J’ai encore les images en tête, je me souviens de …

 

-    Écoute, j’ai peut-être saisi mon monde. Tu veux que je te dresse le tableau ? 




Il la regardait intensément. Peut-être espérait-il retrouver sa petite sœur ? ) 


 

-    Je ne veux pas te heurter ni être trop dure avec toi, mais ouvre tes yeux, bon sang ! Il n’y a que des loups et des louves, alors non ! Je sonde, microscope électronique à la main, la loupe ne suffisant plus. Le beau monde dont on nous a parlé n’existe pas. 

 

Déchire le voile qui te cache la réalité, autrement tu passeras pour un demeuré. Et écoute-moi bien, je vais te dire les choses, me concernant du moins. Je ne suis pas une demi-portion et avec toi, je me suis adaptée, dans la colère, la grosse colère. Et tu connais les vraies raisons. Ça, c’est en ce qui nous concerne, nous deux, et les promesses faites à Sobel. Passons. 

 

Après, il y a les autres. Les amitiés désavouées, celles à qui tu fais peur à cause de ta grande liberté, de ton mot fort, de ta personne complète. Les faux. 

 

Il y a aussi les flaireurs, les pêcheurs, les jeteurs de ligne, faussement innocents et les opportunistes, ceux-là s’expérimentent. Pourrais-je encore prétendre à la grande séduction … se disent-ils, au fin fond d’eux-mêmes. Leur démarche biaisée et mielleuse est catégoriquement insupportable. Je fulmine, carrément. 

 

Et puis, celles qui ne te voient plus, quand elles sont accompagnées, des oies de bêtises. Celles qui sont heureuses de ne plus te voir répondre à leurs invites, parce que tu sais leur hypocrisie. Des dindes. Celles qui se placent toujours à une bonne distance de toi. Cela, c’est concernant le second cercle. Lamentable.

 

Socialement, c’est un combat de tous les jours. « Je te vaux largement. Je suis libre et insoumise à vos diktats de petits machos. Et je vous conseille de m’éviter. » 

 

Je me souviens d’un taré qui m’emboîta le pas alors que je faisais mes courses en plein supermarché. Il portait tous les signes extérieurs d’une fausse religiosité et du haut de son ignorance fort probable, il ne savait comment faire pour m’aborder et me tancer. C’était au beau milieu du règne abscons du pire conservatisme. Une pensée de droite complexée, butée, étriquée et méchante. Jalouse surtout, de cette jalousie de bas étages, inféconde totalement.

 

Ayant vu son manège répété, je m’arrêtai net devant lui et le toisai du regard, fort provocatrice. Il décampa. Ce n’était que cela, une petite fausse autorité de coq dressé sur ses ergots, en besoin d’être conforté dans ses certitudes aveugles. 

 

Non, je ne voudrais jamais ressembler aux faibles, ni n’abandonnerais une partie serrée. Certainement pas. 







 

Il baissa la tête. Il n’avait plus la force de tout assimiler et il avait un sentiment d’abattement. Il se disait aussi en son for intérieur qu’elle avait elle aussi son grain et qu’il était différent, assez beau en vérité.

 

-    Je ne dis pas cela contre toi. Les liens de sang, c’est beaucoup de douleur et de don de soi. Mais je n’abandonnerai pas la partie, sauf quand les bras m’en tomberont. Et j’y laisse bien des plumes. 

 

Je suis de toi, tu es de moi et c’est ainsi mon frère, dit-elle, dans un sourire.




 














lundi 10 juillet 2023

Rendez-moi mes années, je vous rendrai vos jours, 3



Carthage, 10 juillet

Cabinet de coaching psychologique et Pnl


 
















-       Dites-moi, fit-elle, en souriant.

 

-       Vous noterez que je reviens toujours.

 

-       La parole est libératrice. 

 

-       Pas seulement chez vous. Ici, à Didon, à Carthage. 

 

-       La magnifique.

 

-     Oui, la sublime cité. Mais aucune beauté ne perdurera sans entretien, sans préservation de ses atouts. Et c’est un peu le chaos.

 

-       Un bien grand mot, je trouve.

 

-   Et pourtant. Que fait-on pour entretenir ? Pour sauvegarder ? Pour promouvoir ? C’est porteur Carthage, c’est immense et c’est aussi à couper le souffle. 

 

-       Vous cherchez une souffrance de plus ?

 

-       Non, je m’inquiète du sort de mon espace premier.

 

-       Vous marteliez que « l’identité est un concept creux ». 

 

-   Elle l’est toujours quand on va au fond des choses. Je suis d’ici, d’ailleurs et d’où je veux. Mon espace est celui dans lequel j’évolue le mieux. Pour cela, j’ai besoin de toutes les libertés. 

 

-    Beau discours, mais concrètement ce n’est pas possible. Vous avez besoin d’avoir une identité, des papiers personnels …

 

-       Et le « Et mon bureau ? » des réparties de Nina …

 

-       Pardon ?

 

-    Vous me parlez de papiers et moi j'évoque l'ailleurs. Ça m’a rappelé Rimbaud.

 

-       La vie n’est pas Rimbaud.

 

-       Pourtant Rimbaud a existé, existe encore et fait partie de la vie.

 

-       Un discours élitiste.

 

-       Et donc ? On doit tous être des Nina ?


 

Elle se tut. Ce n’était plus très professionnel. Elle s’était laissé aller. Il le vit. Il voit tout. 


 

-       Je pars ici et là et je reviens toujours.


 

Elle se taisait. 


 

-       Il y a du bonheur ici. Là-bas également. Et comment ! 

Ce qui est pauvre ici, c’est la liberté, elle est malmenée depuis fort longtemps. 

Elle a la corde au cou et on l’enserre. Ce n’est pas supportable. 

C’est exactement cela, ici, la liberté est bridée. Et donc, il n’y a pas assez de beau, d’art, de créa et de souffles porteurs. Voilà pourquoi, je déambule. Et je reviens. Et la liberté suffoque.

 

-       Pas tant que cela, permettez-moi de le dire.

 

-   Tout dépend de notre appétit et là-dessus, il devrait être féroce. J’ai toujours pensé que la liberté exige de nous d’être agissants. Sans cela, il n’y a aucune liberté possible. La faucille, le bras, l’esprit, la plume, le combat, la ténacité … Ailleurs, les choses sont enracinées, il y a des failles, quelque désenchantement, mais la force des lois est vérifiable. Ici, le pied traîne un boulet et c’est mille fois plus difficile d’écrire une histoire claire, sans détours, moderne.

 

-     Vous parliez du temps, il y a peu, ses priorités.

 

-  C’est vrai. Mais il y a un mal-être, c’est comme si nous étions condamnés à monter et à redescendre. Sans avancer. J’ai vécu et je vis trois temps politiques et la paupérisation est toujours percevable, peut-être même plus que jamais. Celle des esprits tout particulièrement. Je veux dire par là que les bases de l’esprit libre ne sont pas encore fixées, du moins majoritairement.

 

-       Il y a l’économie. Vous savez bien.

 

-      C’est un fait, mais pas seulement. Je vais partir quelque temps. J’ai une déception vraie. Ce n’est pas beau tout cela. C’est même criard de vacuité. Au revoir Madame.

 

-       Au revoir Monsieur.












 









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