Les liens de sang
- Mais pourquoi tu es devenue ainsi ?
- Ainsi ?
- Oui, portée sur les crises …
- Ce ne sont pas des crises, mais des positions. Ça change tout.
- Et l’utilité ?
- Corriger son monde. Créer des précédents.
- Peine perdue.
- Alors encaissons. Non.
- Tu n’étais pas ainsi.
- A 14 ans ? J’étais probablement en phase d’observation.
- Tu étais douce …
- Forcément : 14 ans et j’étais assistée. Le demeurer est problématique …
- J’ai encore les images en tête, je me souviens de …
- Écoute, j’ai peut-être saisi mon monde. Tu veux que je te dresse le tableau ?
- Je ne veux pas te heurter ni être trop dure avec toi, mais ouvre tes yeux, bon sang ! Il n’y a que des loups et des louves, alors non ! Je sonde, microscope électronique à la main, la loupe ne suffisant plus. Le beau monde dont on nous a parlé n’existe pas.
Déchire le voile qui te cache la réalité, autrement tu passeras pour un demeuré. Et écoute-moi bien, je vais te dire les choses, me concernant du moins. Je ne suis pas une demi-portion et avec toi, je me suis adaptée, dans la colère, la grosse colère. Et tu connais les vraies raisons. Ça, c’est en ce qui nous concerne, nous deux, et les promesses faites à Sobel. Passons.
Après, il y a les autres. Les amitiés désavouées, celles à qui tu fais peur à cause de ta grande liberté, de ton mot fort, de ta personne complète. Les faux.
Il y a aussi les flaireurs, les pêcheurs, les jeteurs de ligne, faussement innocents et les opportunistes, ceux-là s’expérimentent. Pourrais-je encore prétendre à la grande séduction … se disent-ils, au fin fond d’eux-mêmes. Leur démarche biaisée et mielleuse est catégoriquement insupportable. Je fulmine, carrément.
Et puis, celles qui ne te voient plus, quand elles sont accompagnées, des oies de bêtises. Celles qui sont heureuses de ne plus te voir répondre à leurs invites, parce que tu sais leur hypocrisie. Des dindes. Celles qui se placent toujours à une bonne distance de toi. Cela, c’est concernant le second cercle. Lamentable.
Socialement, c’est un combat de tous les jours. « Je te vaux largement. Je suis libre et insoumise à vos diktats de petits machos. Et je vous conseille de m’éviter. »
Je me souviens d’un taré qui m’emboîta le pas alors que je faisais mes courses en plein supermarché. Il portait tous les signes extérieurs d’une fausse religiosité et du haut de son ignorance fort probable, il ne savait comment faire pour m’aborder et me tancer. C’était au beau milieu du règne abscons du pire conservatisme. Une pensée de droite complexée, butée, étriquée et méchante. Jalouse surtout, de cette jalousie de bas étages, inféconde totalement.
Ayant vu son manège répété, je m’arrêtai net devant lui et le toisai du regard, fort provocatrice. Il décampa. Ce n’était que cela, une petite fausse autorité de coq dressé sur ses ergots, en besoin d’être conforté dans ses certitudes aveugles.
Non, je ne voudrais jamais ressembler aux faibles, ni n’abandonnerais une partie serrée. Certainement pas.
Il baissa la tête. Il n’avait plus la force de tout assimiler et il avait un sentiment d’abattement. Il se disait aussi en son for intérieur qu’elle avait elle aussi son grain et qu’il était différent, assez beau en vérité.
- Je ne dis pas cela contre toi. Les liens de sang, c’est beaucoup de douleur et de don de soi. Mais je n’abandonnerai pas la partie, sauf quand les bras m’en tomberont. Et j’y laisse bien des plumes.
Je suis de toi, tu es de moi et c’est ainsi mon frère, dit-elle, dans un sourire.