Deux hommes assis au balcon du Pont Neuf. Ils se sourient, esquissent un hochement de tête timide en guise de bonjour. Il est 17 heures. Il fait 3°C. et la Seine est toute sombre de froid.
- Bien frisquet, dit le plus jeune, un cinquantenaire.
- Oui, bien froid, répond celui qui semble être le plus timide.
- Parisien ?
- Non, je viens du Pays des Libres.
- Vous me voyez interloqué, dit-il en souriant.
- Je comprends, dit-il simplement.
- Pourrais-je vous en demander plus ?
- Le pays des Libres est partout où nous allons. Il est dans la tête des rêveurs mais aussi de ceux qui savent résister.
Le cinquantenaire regarda la Seine, il semblait réfléchir.
- Je crois être un rêveur et je crois que je suis capable de résister. Pourtant, je suis platement de mon pays.
- Peut-être que vous pourriez changer d’adverbe, dit le sexagénaire en souriant.
- Vous avez raison tout est dans les adverbes : notre manière d’être. Pourrais-je vous demander le vôtre ?
- Je suis librement du pays des Libres.
- Évidemment, répond le quinquagénaire, voilà une question de trop.
- Rien n’est de trop quand il s’agit de son identité.
- Que voulez-vous signifier cher Monsieur ?
- L’identité personnelle est un travail de longue haleine, un travail de rupture, d’éloignement, de colère, de constructions, de passions, de défis, d’altérité et de rêves.
- Les rêves ne sont que des rêves, ils nous miroitent des eldorados.
- Ce n’est pas faux. Mais il y a la praxis, la détermination, la force du bras et surtout celle des neurones.
Le quinqua regarda de nouveau la Seine, à croire qu’il regardait défiler sa vie.
- J’aurais donc pu faire mieux, murmura-t-il.
- Vous pouvez toujours faire en oubliant les limites.
- Elles s’imposent d’elles-mêmes.
- Repoussez-les. Donnez des tours de bras vigoureux et larges, des tours de neurones libres et libérés et voyez.
- Que reste-t-il de mes neurones ?
- Ce qu’il en reste. Pour cela, il y a les neurologues. Consultez et passez à autre chose.
- Est-ce le Pays des Libres qui vous fait parler ainsi ?
- Oui.
- Librement ?
- Oui.
- Et si vous ajoutiez un autre adverbe ?
- Volontairement.
- Je comprends.
Ils se sourirent et regardèrent la Seine, forte, vigoureuse, dynamique bien que sombre jusqu’au noir complet.
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