dimanche 4 juillet 2021

Du Temps en offrande

 








I.

 

Le petit avait cinq mois, elle avait vingt-huit ans. Lui entamait sa soixantaine. Elle le pensait vieux, le voyait vieux à son torse dont la peau tombait. Mais est-on vieux parce qu’au-dessus des seins, on commence à avoir un peu de peau ?

 

Deux amies, une tante, les trois avoisinent le siècle. La première ne peut se passer de son rouge à lèvres. La deuxième suit les évènements politiques de son pays avec acuité, réagit avec colère et exige ses droits avec ténacité. La tante trouve du réconfort en se remettant à Dieu mais reste très vive aux choses, aux êtres et aux situations, un regard acéré.

L’âge est un chiffre mais le chiffre ne dit ni l’implication ni la lutte contre le vieillissement.

 

Dans son esprit, les calculs se battent : dans trente ans, il sera apte à tout gérer. Elle en aura cinquante-huit. Mais lui dans trente ans, il ne sera plus là. Dans vingt, probablement, si elle lui cède ce qui est en son pouvoir.

 

-     Dans trois décades, il y a des chances que tu sois là seulement si je te cède dix, lui dit-elle.

-       On n’est sûr de rien sur ce plan-là, dit-il en souriant. 

-       Des probabilités.

-       Je ne veux pas te grignoter ton parcours.

-       On avancera un peu plus ensemble, dit-elle doucement.

-     Chez les miens, c’est souvent entre cinquante-cinq et soixante-cinq que cela se joue.

-       Raison de plus.

-       Je ne t’enlèverai rien, c’est décidé.

 

Le lendemain, au réveil, il sentit physiquement qu’une décade de potentiels divers s’est ajoutée à son parcours. Elle, heureuse de ce legs d’amour, sentit une légèreté d’être au monde jamais éprouvée. 



 

 

II.

 

Je suis le dernier sur ta route

Le dernier printemps la dernière neige 

Le dernier combat pour ne pas mourir 

 

Et nous voici plus bas et plus haut que jamais.

                                                                            


                                                                  P.Eluard, Le Phénix, 1951. 







 

 

III.

 

  •  Donnez-moi du temps et je vous offre de l’amour.
  •  L’amour est un mensonge.
  •  Peut-être, mais il vous ragaillardira et à votre âge, ce n’est pas mal.
  •  Ma vie est derrière, aux trois-quarts, sans amour d’aucune manière.
  •  Justement, je vous en donnerai, sincèrement. En retour, donnez-moi une décade.
  •  Je ne suis pas sûre de l’avoir.
  •  Mais vous m’aviez dit que dans votre lignée, vous dépassiez les quatre-vingt-dix printemps. 
  •  Ce n’est pas vérifiable à tous les coups. Des facteurs génétiques probants. De la probabilité.
  •  Donnez-moi du temps, je vous offre de l’élixir de vie.
  • Vous êtes un glouton et un opportuniste. Votre ambition est laide à voir. Vous m’extorquez de la vie parce que je vous ai avoué mes carences.




IV.

               " Vis ma belle enfant, mon pendant, ma mie.

 

Vis pleinement, longuement, passionnément. Le droit à la vie appartient à tous. Et sans conteste, il est amplement le tien, toujours le tien. 

 

Vis ma belle enfant, ma muse, vis follement.

 

Je n’ai pas oublié. 

Un vol, au-dessus de la mer, en petit avion pour arrêter tes quintes coqueluchoïdes,  Bordetella pertussis de malheur, respire et vis !

 

Vis ma sirène, ma Valkyrie des temps modernes. Je t’offre quelques 52 semaines de temps multipliées. Je suis la Marchande du Temps et de l’amour et j’ai signé, à huit ans, un don de dix printemps. 

 

Prends, étire, ris, aime et vis aussi follement que tu pourras. Tu es la seule à qui j’ôte de moi à ta  destinée. "












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