jeudi 22 avril 2021

Carthage, La dernière étreinte

 C, le 21 avril 21




 

I.               Carthage, la dernière étreinte

 

La mer était d’un bleu étincelant. Je m’en emplis les yeux. Pas loin de la Scala, une femme étreignit un homme et partit. Elle mettait fin à quelque chose de l’ordre de l’émotionnel. Je le vis. Des adieux. Mais c’était serein. 

C’est beau, me dis-je, c’est bien mieux que le passionnel. Une amitié forte. Quelque chose de réfléchi.

 

Je connus autre chose du temps de ma jeunesse, ce n’était pas facile, c’était dur, quelquefois atroce mais intense les jours clairs. Rares.

Je m’étais demandé si l’homme avait saisi la véracité de cette dernière étreinte. Je ne peux le savoir mais ce serait mieux pour lui qu’il l’ait comprise.

 

De l’autre côté, un enfant s’amusait à lancer des cailloux dans l’eau et, ensuite, s’attardait sur l’impact. Il paraissait insatisfait et cherchait sur le rivage une variété particulière de cailloux, peut-être les plus plats. Il essayait de faire faire des ricochets aux pierres et trouvait des difficultés visiblement. Il dodelinait de la tête, tapait le rivage de son pied droit : pas de cailloux réguliers, pas de ricochets donc. A un moment alors que je m’étais détourné de lui, je l’entendis crier : ouais, j’ai réussi, yes ! 

Et il continua à chercher, à observer, à tournoyer dans ses doigts ses trouvailles et ensuite à les essayer à l’horizontal. Un tacticien.

 

Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages. Un puissant rayon s’en dégagea et vint dorer la Bleue. Elle fut étincelante le temps qu’il dura. La mer sait tout, absolument tout. Ce n’est pas de « la flotte », c’est de la profondeur et de l’immensité, du dynamisme, du ressac, du renouvellement et de la force. Et du silence et de la colère. De la mémoire.






 


 

J’ai en mémoire des instants, des images, des odeurs, beaucoup d’odeurs et des bruits. Ce n’était pas ce que je préférais le plus. Parce que les plus grossièrement saillants sont les plus laids. Je décidai de construire des bruits nouveaux, plus doux à l’oreille. Parce que construire est une œuvre et que sans cela, il n’y a rien qui vaille. Je suis un passionné des chantiers surtout quand les matériaux sont rares. Du brut taillé, façonné, ciselé directement dans du granit. 

 

L’Île de Co a été un son, une voix, celle d’un passé assez lointain, quand Sylphide avait la clé des Mers. Confusion de deux temps. Temps de la pierre et temps de rien. Rien. Néant. Que dalle. Les outils restèrent au sol et ne furent jamais utilisés. Ce n’était pas possible. L’amitié est belle, l’amour laid, en l’absence d’une pyramide. 

La mienne, je n’en suis jamais sorti.

 

Je regardai de nouveau la Bleue, la Scala. L’homme étreint n’était plus là. Le gamin continuait inlassablement à jeter des cailloux à l’horizontal, les poches pleines de pierres. Un futur édificateur vraisemblablement. Peut-être sera-t-il étreint un jour aussi sincèrement, aussi affectueusement ? 


Je crois, aujourd’hui, que l’amour n’a qu’un temps. Peut-être que je me trompe. En tout cas, à l’heure de l’exercice intense du regard alentour, on n’attend pas. C’est ainsi. Et derrière, il y eut tellement de force.

 

Je déplaçai ma sensibilité à l’affût de signifiance.






 

 

 

II.              La voix de l’Absence

 

Y a t-il des bruits mineurs ?

 

Je ne crois pas personnellement. Mais certains bruits passent sous silence. Parce que la vie est pressante et parce que nous sommes pressés.

 

J’aime les fluides. La mer est à mes pieds. Regardez la Scala, cette espèce de table sur pilotis dans la mer.  Et le ressac des vagues. Surtout l’hiver. Écoutez. 

 

Le bruit de l’eau qui remplit les évacuations par temps de pluie battante. 

 

Le bruit de l’eau sur l’asphalte à Paris quand je me réfugie chez lui. 

 

Ma sœur est artiste, mon père scénariste, ma mère écrivain et mon frère un entrepreneur de génie. Il n’a pas le temps pour les bruits lui. Quoi que je le pense doté d’une oreille prompte et fine. Dans ma tête, il y a des images, beaucoup d’images, des odeurs et des bruits nombreux. 

 

Quelquefois je fais la sourde oreille pour me reposer des bruits. Poules caqueteuses, bruit détestable pour moi. Eau qui court, qui s’écrase sur le sol, eau qui fuit … Eau qui polit les rochers de mon chez moi, ressac, ressac …

 

Bruit de mes pas sur le bitume.

Bruit des mouettes excitées. Bruissement des branches des arbres hauts.

Et l’inlassable retour vers Didon, la Scala et la Bleue. Le bleu s’ébruite aussi. Il faut le croire. 

Roucoulement de pigeons, de tourterelles. Paris.

Ressac, Paris, Tunis ...








 

 

Y aurait-il des bruits majeurs ? 


Le ressac des vagues, Mozart, Liszt, Bach, Spring Waltz et tous les autres, nombreux, précieux.

 

Mon nez contient les odeurs de mon enfance. Certaines sont insupportables et me donnent encore des maux d’estomac. La soupe de lait aux épinards de 10 heures, l’odeur du réfectoire de mon école, haïssable. Encore aujourd’hui, les boyaux tout retournés.

 

Mais les bruits de l’extérieur, de la nature spécifiquement, sont différents. Voilà pourquoi j’ai vraiment voulu les ranimer pour vous mais aussi pour moi. Pourtant, je ne suis pas spécialiste en montage mais je sais LIRE les bruits. 

 

Les bruits de la mer disent l’Absence. Ils disent la continuité. L’amour aussi. Les bruits des fluides sont hautement signifiants. Le ressac des vagues me parle, il a l’intonation de la voix de mon père. Je crois oui. Parce que j’ai oublié et que l’oubli, quoique fantasque, est terrible.

 

Le bruit des vagues est rire. Nos matinées dans l’eau. J’avais appris à nager très tôt, spontanément. Trois ans peut-être. Mon papa avait peur : « Ne va pas dans le profond. »

Et j’y allais et il me rattrapait. Toujours. Aujourd’hui, c’est le bruit des vagues. C’est lui. Voilà pourquoi.









 

La dernière fois alors qu'il avait un rendez-vous important, un rendez-vous d’hommes importants, des relents d’épinards chauds lui montèrent au nez tandis qu'il se dirigeait vers la salle de réunion en compagnie d’un homme important. Hécatombe de ses terminaisons nerveuses stomacales. Remontées. Il fit demi-tour sans explication et il fit bien de ne pas l’ouvrir. Il prit à toute vitesse le chemin vers chez lui. Bien plus tard, quand il revit ce partenaire, il lui dit avoir vu sa défaillance et à sa place, il pensa à L’Arrangement d’Elia Kazan. Mais il tourna la situation en sa faveur : dans le monde des négociations, il faut savoir être policé. Un seul mot : mentir. Le sourire aux lèvres.








 

 

III.            L’Homme est Dieu

 

A 99 ans et, quelques mois avant sa disparition, il parla de refaire le tour du monde. Il dit sa détestation de la paresse et se lança dans une description posée, réfléchie de ce qu’il ferait volontiers, de ce qu’il tenait à faire. Je ne sais si cette impression d’immortalité est blâmable. Honnêtement, je ne le crois pas. Je trouve même formidable de vouloir se mesurer aux dieux et réactionnaire cette hypocrite piété qui consiste à se considérer comme un être soumis et humble. 


Pousser la limite exige de la hardiesse et quelquefois de l’insolence. Il grappilla de-ci, de-là, lui fit face, la toisa. Elle recula. Jusqu’au précipice. L’homme est Dieu. 









 

 

 

 

 

  

samedi 17 avril 2021

L'amour existe mais ...

 C, le 17 avril 21, 16h17





"L’amour existe Coach mais chacun pleure sa mort, sa jeunesse partie en fumée, son corps en déperdition et sa tête en bouillie. L’amour existe parce que vous aimez m’entendre le dire alors je vous le dis. 

 

Oui, oui, je m’en rappelle, le regard de Sartre enfant - ou sûrement adulte -  regardant sa mère par le trou de la serrure, sa chair rose débordant de part et d’autre de la cuvette. Je m’en rappelle. Alors que Salvator Dali s’extasie devant de la bouse de vache et y voit des polyformes rares et un camaïeu dont seule la Nature est capable. 







 

Coach, je voudrais vous dire, ici, combien vous m’insupportez avec vos réponses à tout-va. Laissez-moi m’exprimer. Je vous paye bien pour cela. Bon, d’accord, poussez-moi vers le politiquement, socialement, professionnellement et psychologiquement correct. ( Grincement de dents )

Même la Mer, surtout la Mer a ses humeurs. Regardez par votre fenêtre !

 

Pour qui vous savez ( regard lourd de sous-entendus ), l’amour a été un chantier : Ontos. Un chantier humain, social, familial et personnel, un accord avec soi-même. Vous le savez Coach, il y a les petits silences, nombreux par ailleurs … Pour continuer, détourner les yeux, par déni, pour aplanir, pour bien tenir le guidon, parce qu’à mi-chemin, pour ne pas souffrir de cette épine dans la gorge. Bien avant celle du Covid et pour toujours après. 

 

L’amour. Sans chantier, cela n’aurait pas été possible ni par ailleurs intéressant. Le chantier de soi à la base, évidemment, et puis touuus les autres. Est-ce à dire qu’aujourd’hui qu’il n’y a plus moyen de construire ? Et qu’il faille penser l’édifice ? 

 

Je ne sais pas. J’ai pris la ferme résolution de quitter les autres. Le peu d’entre eux que je voie. Ils ne saisissent pas les stratégies argumentatives. Et puis, je ne supporte pas leurs rituels, leurs phrases de circonstances, leurs fausses sollicitude, amabilité, inquiétudes. 

Je suis un pied chez Sartre et l’autre chez Dali d’habitude. Mais là, c’en est trop et la Mer porte en elle toutes les blessures. Quelle dignité ! J’aime.

 

Je me souviens du Confus de Valmy, vous vous rappelez ? Une stratégie de repêchage de soi, une bouée, un temps inssaisi, dessaisi. Une marche sans boussole. Une infinité de petits chocs. Des interprétations erronées, que cela d'ailleurs, et se rasseoir dans le piège accablant et tuant  de la gamberge et des nœuds handicapants. 

 

« Il prit racine au pied de son bureau d’enfant récalcitrant et caractériel, à végéter. Jusqu’à l’ultime rupture. »

 

Aïe, Coach, aïe, aïe, aÏe ! Vous n’y pourrez rien.

 

L’amour existe mais chacun pleure sa mort, son corps en déperdition et sa tête en bouillie, alors oui, toutes les inventions, tous les mythes, toutes les histoires folles fabriquées de toutes pièces trouvent leur signifiance ici. Toutes.

 

Regardez la Mer Coach, elle est sublime, profonde et sensée. Nous serons éternellement des dilués. Bon, des fluides. Dali l’emporte aujourd’hui.


Voilà pourquoi j'aime Ghibli sur son bras d'artiste."

 

( Sourires )






 

 

samedi 3 avril 2021

Mon hippocampe et ma Bleue

 


                                             Ma Bleue  

                                                                 
                                                                                        Au soir


Mon hippocampe fait 1400 kms de côtes. Splendides parce que la Nature est belle incontestablement. Le buste haut levé, un petit corps vigoureux, onduleux qui enlace d’un bras la Méditerranée. Petit pays qui reçoit la Bleue à bras le corps, qui y nage et s’y délecte. Magnifique. Ses senteurs et sa brillance au soleil vous envahissent dès l’instant où vous y faites votre nid. Un jour ou mille. Inoubliable. Voilà pour l’hippocampe bleu et blanc à la lumière rare.


                                 

                                                                  Fell*


 

L’hippocampe a enfanté de belles et grandes bêtes mais des nuls aussi, beaucoup de nuls. Et cela jure avec la splendeur de l’hippocampe, son ouverture sur la Bleue, sa rare exposition et sa liberté naturelle. L’hippocampe souffre de la sclérose de ceux dont les pas lourds, boueux et stupides la heurtent tous les jours. Vindicatifs, opportunistes, caverneux, courts de vue, étriqués, engoncés dans des mythes lointains et étrangers, malhonnêtes, truands, irrespectueux de la nature, du vivant, du végétal … 


Beaucoup de laideur, de barreaux, d’étroitesse dans un bout de terre enchanteur. L’hippocampe et la Bleue méritent mieux que ce désordre, cette manière d’être à vau-l’eau, cet irrespect de l’ordre et de l’organisation, ce refus de porter haut la couleur sociale, le bon déroulement du cours d’eau. Et ça grouille, ça jacasse, ça déblatère, ça blablate, ça jaquette … Du vent et des nœuds personnels vieux de plus de 60 ans, bien plus assurément. La boîte de Pandore, la porte ouverte aux quatre vents, les bourrasques de toutes parts … Conséquence logique, oui, mais qui prend trop d’ampleur, de temps et les dégâts sont nombreux.

 

L’hippocampe et la Bleue ont besoin de leurs meilleures bêtes même si le possessif « leurs »  n’a pas beaucoup de sens dans l’absolu. 


- D’accord, entendu, très bien, leurs meilleures bêtes, en imagination, en stratégie, en savoir-faire, en ingéniosité, en droiture, en esprit perspectiviste, en ouverture, en vrai progressisme … 

 

Voilà une Bleue destinée à être domptée, aujourd'hui - comme avant-hier - à être spoliée, pire à être considérée comme un dépotoir. Un rapide balayage d’un passé proche, nous fait monter à la surface de la sénilité sur le tard, des épouses en mal d’amusements, une nièce, une maîtresse cupide … Ou bien l’âge des terres en main est extrêmement court, ou bien les réalisations sont bien en-deçà, ou les calculs d’épicier ont primé ou il y a la volonté silencieuse de laisser dans la précarité ou, comme partout, il n’y a que le mensonge qui vaille … tout cela et bien plus.

 

Un hippocampe et une Bleue en souffrance et qui méritent tellement mieux. 

Aujourd’hui, l’heure est au leurre, à l’ignorance, aux mensonges divins. Nous sommes à l’heure du commerce des indulgences du Moyen-âge, comparativement. En espérant un schisme comme celui de l’Église d’Europe. 

 

Vivre dans l’hippocampe, mis à part le spectacle de La Bleue est une respiration saccagée, une migraine intermittente. Esprit obtus, réflexion consciente inexistante, soumission complète à la facilité, esprit critique quasi inexistant, vue monochrome, pensée amorphe, intolérance …

 

Un moyen-âge spirituel où le confort réside dans le Même, le sentier battu, la pensée figée, le discours unique. 

 

Pourquoi à mi-chemin de sa vie accepter cette résistance aux changements et la considérer comme une fatalité ?

Pourquoi être acculé à s’enfermer, à faire semblant, à adopter une attitude de routine pour passer son chemin, à se dire fatalement « c’est ainsi » ?

Pourquoi ne pas multiplier les incidences afin que le cours d’eau se diversifie et qu’il emprunte des directions autres ?

Que font nos meilleurs trentenaires à part vivre et roucouler ? 

Où est la conscience des plus avertis ? Est-elle en exercice ? 

 

A l’heure du Scribe, des pas lourds de savates boueuses.

Des solitudes d’études.

Des absences coupables.

Des pseudo-modernistes contraints de théoriser sur le comment de la cuisson des pâtes al dente.

Des expatriés pressés de vivre en toute liberté.

Des silences de couards.

Des gueux méchants, tordus et creux se taillent des portions aux dimensions de leurs insuffisances multiples.

Une école dépouillée, squelettique, qui fait réciter des pages de poussière dans un silence de sieste et de torpeur spirituelle.


 

L’hippocampe et la Bleue beaux comme toujours en ce spring annonciateur de couleurs vivifiantes souffrent de pas lourds agressifs, de mains coupables de saleté, d’apathique généralisée, de maux humains coriaces et aveugles. A mi-chemin, une oppression thoracique.



                                             Bruits cassants


                        
                                                       Passion olfactive


*Fell ou jasmin d'Arabie bien loin de la péninsule arabique, plante asiatique d'origine ...
Jasminum Sambac.