A S. et à W.
« Non, je ne me suis pas sacrifiée pour mon mari et mes enfants. J’ai aimé, mis au monde, élevé, choyé, puni, pardonné, câliné. C’est beaucoup. C’est juste que la vie est courte mais intense. Et là, je n’y peux rien.
De l’avis de mon fils, je suis joviale. Cela me fait plaisir qu’il se souvienne. Il dit refouler certaines choses et bien, c’est très bien. Bien sûr que j’ai fermé les yeux quelquefois. Cela m’a coûté mais certains tributs doivent être payés. J’ai été récompensée ailleurs.
Lui, était de la stature des self made man, rigoureux et debout. Cela force le respect. Et puis, à cette époque-là, le silence était de mise et les marmelades n’étaient pas son fort. Un homme debout et agissant. On s’aimait beaucoup dans l’obscurité de notre espace, c’était la grâce des quatre. Oui, je souris parce qu’aimer est d’un tel bonheur. Et après, élever et faire grandir, parler et construire. Il y a des moments de solitude, cela va de soi, et puis l’autre édifie, pour lui et pour nous.
Je vois cet être frêle : qu’il est beau ! Je le veux fort et vaillant et brave et aimant. Cette sensibilité est force, mais il ne le sait pas encore. Il l’apprendra et ses yeux ne relèveront que la dimension de l’autre qu’il faut savoir faire sourire et rire.
Qu’il puisse quitter ses sonorités têtues de mensonges faites, de tentacules agrippants et de ventouses vicieuses ! Qu’il puisse parer ses yeux de sérénité savante et s’éloigner de ces nuées d’un soir dévoreuses de marche certaine. Il ne le sait pas mais le saura : en nous réside notre beau fixe et il s’agit d’apprendre à s’adresser à soi : discours d’ontos de mots perlés, d’arrangements de soi avec soi jusqu’à l’oubli de l’hypra.
Tu grandiras Bonhomme d’apprentissages nécessaires et de structures posées.
Je vous vois d’ici, c’est très tôt, je sais, mais autant très tôt que très tard. Certaines choses s’obstinent déjà, passons la main dessus, de velours parée.
Je vous vois unis et réunis, je vous vois riant et parlant, timidement.
Ne suis-je pas joviale ?
Rions tous de toutes ces années de paix, de guerres, d’amour et de pleurs. Ontos, vous dis-je.
Et l’Absent empêtré dans ses mains, dans les méandres morbides d’un moi en déroute. Un enfant à la sensibilité pathologique qui se veut dieu et qui se plaint de ses maux, d’enfant.
Restons ensemble, je serai là, en douceur. Emplie de vous, de vous tous, à vouloir vous voir unis et réunis. Ne t’en fais pas mon petit, tu seras grand, si tu le décides. L’Absent seul m’attriste et je crois que l’échappée est dans l’idée du groupe, du rire et de l’oubli. Je serai là, au milieu de vous tous, tout en douceur à vous entendre m’évoquer.
Fière de toi mon petit, comme il le fut lui aussi. Je te vois debout, initiateur et entreprenant. Non, on ne devient pas perdu pour si peu. Avance, ris, jubile, pour ne pas trébucher et sûrement pas tomber. L’Absent, lui, m’attriste. De le voir, rugissant en silence dans un périmètre étroit, fermé et sans lumière.
Vole mon fils, vole, échappe à l’obscur. Je souris en pensant à toi. »