Paris, 21 mars 20
Le monde paraît dans tout son surréalisme à la fenêtre : une ville fantôme. Pas un passant, pas une silhouette furtive, pas une voiture, pas un chien. L’essentiel se fait le matin, promenade rapide, jogging rapide, courses effrénées. Il est 18h, la journée est relativement fraîche même si les oiseaux s’évertuent à chanter. Ils n’ont pas tort, les amandiers sont en fleurs. Et ce rose délicat est d’une très belle sensibilité. L’amandier a donné la couleur, les oiseaux se chamaillent à tue-tête.
L’ambiance générale est à la Dino Buzzati, Le K précisément. Très rapidement, à partir de 14h. Ce qui n’a pas l’air de vouloir cesser, ce sont les sirènes. Régulièrement.
- Rentrez chez vous Monsieur, s’il vous plait.
- Je suis chez moi Monsieur, cela ne se voit pas ?
L’un des policiers s’éloigne. Il décrit la situation au téléphone. Lily S. s’arrêta. Elle voulait intervenir pour casser des schémas.
L’homme est à la rue, regardez ses yeux, tout y est. La rue EST sa demeure. Est-ce si difficile ?
« Je vous donne son signalement. Nous sommes rue Daumesnil, devant le n°23. »
Son signalement. Décrira-t-il son regard ? Il n’est même plus interrogateur. Il n’est même plus expectatif. Il est chaviré. Alors au 23 …
Comment se fait-il que cette grande métropole n’ait pas envisagé par tous les moyens l’hébergement des sans-logis bon gré mal gré, sur toute l’année ? Comment peut-on considérer que leur liberté est une barrière ? Quelle liberté, celle de s’imposer de la souffrance ? Il n’y a pas de démocratie face au chavirement de l’esprit, des yeux, de l’être.
A qui Dior, devra-t-il vendre ses produits si chers et si inutiles mais si beaux ? Que fera Bill Gates de toute sa fortune ? Non, je crois que je ne m’inquièterais pas pour BG. Surtout si nous sommes acculés au virtuel. Il continuera à prospérer. Tout risque fort de devenir robotisé. Nous vivrons cantonnés mais accrochés à nos oreillettes, nos tablettes, nos ordis. Nous sommes peut-être des hologrammes comme l’avancent timidement, pour le moment, certains physiciens. Ceux-là mêmes qui avancent la théorie des multivers et non plus de l’univers. Ceux-là qui travaillent sur la structure du cosmos.
Ce silence qui donne à voir, avec certitude, que tous les systèmes du monde peuvent tomber et se fracasser au sol. Que le confinement de tous autorise les animaux à reprendre ce qui leur appartenait, au même titre que l’homme. Déjà que beaucoup s’enhardissent et reprennent leurs droits. Les cigognes explorent l’extérieur, là, de suite, de très près. Inhabituel.
Rien, dans ce monde, n’a d’intérêt sans l’exercice du regard et aujourd’hui, tous, nous nous valons. Un moment de pause qui sera bénéfique si l’homme était sage. Mais il ne l’est pas et c’est précisément ce qui le fait avancer. Son inconséquence, son amnésie, son égoïsme.
Mais jusqu’où avancera-t-il ? Vers quoi ? Et avec quelles valeurs ?
Seuls les amandiers en fleurs, les oiseaux hardis, les cigognes aventurières constituent un bel espoir aujourd’hui.
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