C., rayon diététique. Je cherchais mes biscuits sans sucre ajouté. Une Dame, au visage avenant :
- S’il vous plait, dites-moi, sauriez-vous lequel est le meilleur jus à l’aloé vera ? Je suis un peu perdue là.
- Je vous montre celui que je me suis achetée et qui est fortement concentré.
Sourires des deux côtés. Un beau visage cette Dame.
- C’est que j’ai eu un cancer, me dit-elle.
- Le cancer ne tue plus, répondis-je.
- Oui, cela fait longtemps pour moi, me dit-elle.
Nous nous sourîmes encore. Je n’étais pas seule et une amie tenait le caddy et m’attendait. Et je déteste les hypermarchés.
- Au revoir.
Pourquoi n’ai-je pas plus échangé avec elle ? Cela fait deux jours que j’y pense. Une rencontre un peu ratée. J’aurais voulu lui passer des choses …
Et puis ce naturel : j’ai eu un cancer. Un visage radieux. Mais l’impact est toujours là.
Mama a eu un cancer. Je l’ai accompagnée, j’avais vingt ans. D’abord, elle le cacha parce qu’elle avait peur pour ma sensibilité.
Ma sensibilité …
Il n’y a que les mères pour penser de la sorte … Elle le cacha longtemps et partit à 52 ans, en quelques mois à peine. Radiothérapie, chimiothérapie, métastases …
Mais avant tous ces protocoles, elle resta longtemps dans cette paresse fatale de « je ne pense pas que cela soit grave ». Cela s’appelle se détourner parce que se regarder est très dur dans ces cas-là.
Il y a quatre ans, un immense ami eut un cancer. Je l’accompagnai. Un protocole moins invasif : la BCG thérapie. Une leçon de courage que ce Monsieur. Au retour d’une séance, au volant, je l’ai vu pâlir et transpirer, terriblement. Il s’en sort aujourd’hui et il s’en sortira. Je l’espère.
Vivre comme d’habitude, me disait-il. Non je ne garderai pas le lit juste un jour ou deux.
Une amie, une Dame immense a un cancer. Elle lutte et suit scrupuleusement les protocoles de son médecin traitant. Elle veut vivre et entend mettre de son côté tous les moyens pour y parvenir. Son frère qui s’inquiétait pour elle l’entendit lui dire : la maladie est là, certes, je lui fais face, je ne baisse pas les bras tant que je le peux mais je ne vais pas en faire une obsession. Et puis, j’ai la responsabilité de ma petite fille. Alors, je n’ai pas d’autre choix que de vivre.
Respect SA ! Quel pragmatisme et quelle belle intelligence ! Une leçon de courage aussi. Tellement forte.
Randou, une très jeune amie, a un cancer. Belle et artiste jusqu’au bout des doigts. Elle lutte. Elle n’a pas trente ans. Je l’ai connue sur le virtuel. Elle disait sa colère de la peur du cancer de la part des autres et de leurs regards. Je lui répondis en commentaire : la vie est un cancer et nul ne sait quand ce sera son heure de partir. Par la vie est un cancer, il n’y a point l’idée de mal, il y a juste cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous. Et c’est beaucoup pour l’être humain, ce qui ne l’a pas empêché de faire preuve de génie.
Le cancer ne tue plus, ne tue pas forcément, le cancer peut rétropédaler. Il faut lui jeter la vie à la gueule, oui à la gueule pour lui faire peur. Ce n’est pas facile, j’imagine, mais il faut le faire. Comme il faut briser l’omerta. Cette terrible loi du silence qui fait mal, qui est en elle-même un mal, qui l'aggrave et le répand.
Attention le cancer ne tue plus pourvu qu’on le regarde dans les yeux sans sourciller, pourvu qu'on en parle, pourvu qu'on le combatte. Ensemble.