lundi 27 mai 2019

Attention le cancer ne tue plus ...



C., rayon diététique. Je cherchais mes biscuits sans sucre ajouté. Une Dame, au visage avenant :

- S’il vous plait, dites-moi, sauriez-vous lequel est le meilleur jus à l’aloé vera ? Je suis un peu perdue là.

- Je vous montre celui que je me suis achetée et qui est fortement concentré.

Sourires des deux côtés. Un beau visage cette Dame.

- C’est que j’ai eu un cancer, me dit-elle.

- Le cancer ne tue plus, répondis-je.

- Oui, cela fait longtemps pour moi, me dit-elle.

Nous nous sourîmes encore. Je n’étais pas seule et une amie tenait le caddy et m’attendait. Et je déteste les hypermarchés. 

- Au revoir.

Pourquoi n’ai-je pas plus échangé avec elle ? Cela fait deux jours que j’y pense. Une rencontre un peu ratée. J’aurais voulu lui passer des choses …

Et puis ce naturel : j’ai eu un cancer. Un visage radieux. Mais l’impact est toujours là.  

Mama a eu un cancer. Je l’ai accompagnée, j’avais vingt ans. D’abord, elle le cacha parce qu’elle avait peur pour ma sensibilité. 
Ma sensibilité … 
Il n’y a que les mères pour penser de la sorte … Elle le cacha longtemps et partit à 52 ans, en quelques mois à peine. Radiothérapie, chimiothérapie, métastases … 

Mais avant tous ces protocoles, elle resta longtemps dans cette paresse fatale de « je ne pense pas que cela soit grave ». Cela s’appelle se détourner parce que se regarder est très dur dans ces cas-là.

Il y a quatre ans, un immense ami eut un cancer. Je l’accompagnai. Un protocole moins invasif : la BCG thérapie. Une leçon de courage que ce Monsieur. Au retour d’une séance, au volant, je l’ai vu pâlir et transpirer, terriblement. Il s’en sort aujourd’hui et il s’en sortira. Je l’espère. 

Vivre comme d’habitude, me disait-il. Non je ne garderai pas le lit juste un jour ou deux.


Une amie, une Dame immense a un cancer. Elle lutte et suit scrupuleusement les protocoles de son médecin traitant. Elle veut vivre et entend mettre de son côté tous les moyens pour y parvenir. Son frère qui s’inquiétait pour elle l’entendit lui dire : la maladie est là, certes, je lui fais face, je ne baisse pas les bras tant que je le peux mais je ne vais pas en faire une obsession. Et puis, j’ai la responsabilité de ma petite fille. Alors, je n’ai pas d’autre choix que de vivre.

Respect SA ! Quel pragmatisme et quelle belle intelligence ! Une leçon de courage aussi. Tellement forte.

Randou, une très jeune amie, a un cancer. Belle et artiste jusqu’au bout des doigts. Elle lutte. Elle n’a pas trente ans. Je l’ai connue sur le virtuel. Elle disait sa colère de la peur du cancer de la part des autres et de leurs regards. Je lui répondis en commentaire : la vie est un cancer et nul ne sait quand ce sera son heure de partir. Par la vie est un cancer, il n’y a point l’idée de mal, il y a juste cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous. Et c’est beaucoup pour l’être humain, ce qui ne l’a pas empêché de faire preuve de génie.

Le cancer ne tue plus, ne tue pas forcément, le cancer peut rétropédaler. Il faut lui jeter la vie à la gueule, oui à la gueule pour lui faire peur. Ce n’est pas facile, j’imagine, mais il faut le faire. Comme il faut briser l’omerta. Cette terrible loi du silence qui fait mal, qui est en elle-même un mal, qui l'aggrave et le répand.

Attention le cancer ne tue plus pourvu qu’on le regarde dans les yeux sans sourciller, pourvu qu'on en parle, pourvu qu'on le combatte. Ensemble.






                                                                                                     

samedi 25 mai 2019

Prélude à Alzheimer



« Vous vendrez un bien une fois le liquide épuisé. Vous en avez pour sept-huit ans pour tout : soins, médicaments, infirmière, centre spécialisé éventuellement. Mais je préfèrerais que ce soit fait en votre présence, chez moi.

Merci de penser à me laver les cheveux un jour sur deux, je les ai fins. Une toilette quotidienne et une vraie douche tous les deux jours. Surtout ça. La sensation de l’eau qui coule. J’ai tout dépassé avec ça.

Mes ongles mains et pieds, j’ai une sainte horreur des longs. Des vêtements propres au quotidien, des couleurs fraîches et un brin d’élégance. Mon brin. Vous me connaissez. Et ne tenez pas compte de mes refus éventuellement. 

Relayez-vous, vous n’avez qu’à superviser. Ma mère mourrait que je lui lavais les cheveux. C’est une question de dignité. Elle me disait, la seule semaine où elle avait gardé le lit, laisse-moi tranquille. Elle voulait se lâcher à la mort. 
Non, jusqu’au bout, tu seras digne Ma. Je ne sais si j’ai eu raison mais c’est ce qui est à faire. 

J’ai passé les trois-quarts de ma vie soignée et je veux l’être jusqu’au bout. On ne sait jamais de quoi est fait demain. Aujourd’hui à soixante-dix-neuf ans, j’ai toute ma tête mais demain ? Et surtout ne me dites pas que le président a quatre-vingt-onze ans et qu’il est en parfait exercice. Il prend peut-être de la DHEA. Tant mieux pour lui d’ailleurs. 

Moi avec mon obsession de vouloir tout contrôler, je préfère rester au naturel. Là, maintenant, tout de suite, j’ai la maîtrise des choses. J’oublie un peu mais ce qui est accessoire. J’entends moins bien mais je suis alerte et j’avance. Je vois moins mais, dans mon environnement, je saisis tout. Dehors, je retiens et de toute façon, les jours de petite forme, je suis accompagnée de l’un de vous. Mes mains ne tremblent plus, notre médecin a été encore bon. Et mon cardio me rassure tous les trois mois. 

Je l’ai tancé la fois dernière et bien ! Il ne faut plus me la répéter la terrible phrase : vos yeux sont un peu ternes aujourd’hui. Ah non, non, non, je ne suis pas preneuse. Je déteste. Un regard terne, c’est pas drôle ça. 

De toute façon, je n’ai plus peur de rien, je veux juste continuer à jouir de mon entendement. On ne me la fait pas. A ce jour. Non. On ne me la fait pas. 

La mort, elle, est une curiosité, je la regarderai dans les yeux, si jamais, ce sera un moment de compréhension, le dernier. Un apprentissage. L’ultime. Elle m’a ébranlée à trente ans, vite fait. Je l’ai eue en horreur à quarante. J’ai paniqué à cinquante mais vraiment. Ça a été terrible. Mais j’ai dépassé quand j’ai eu de nouveau la maîtrise. Là, j’appréhende. Mais j’ai la tête froide. Qu’elle vienne. 

Mais pas l’autre. La perte de soi. Non. Pas l’autre. N’oubliez pas, vendez un bien. Que je dure digne. 

J'achève mon parcours pour l'heure. En beauté. Selon mon acception de la chose. Oui je n'ai pas été bête. »



samedi 4 mai 2019


J'ai écrit un livre, authentique, fort, vrai, humain avec tout ce qui caractérise l'humain, de faiblesse mais aussi de force, de désir et d'absence, d'intelligence et de sensibilité. Chaque mot était pesé, réfléchi, choisi avec soin. Il fallait que tout ce que j'écrivais soit en conformité totale avec mon degré de conviction intime, ce degré qui est en moi pour tout travail de recherche, de réflexion, d'art ou encore de vérité. Les personnages étaient une constellations de personnes connues de près ou desquelles j'avais entendu parler.

Ce livre a été retenu par un éditeur de renommée et j'en avais été heureuse parce que rien ne compte plus pour moi aujourd'hui que de passer à l'édition papier. J'ai un tel retard et j'ai ... ans. Bon, parce que l'âge en avançant fait peur mais fait aussi que l'on VIT et qu'on n'est pas six pieds sous terre, j'ai inventé Kepler II, une théorie qui m'autorise à avoir trente-huit ans en n'ayant qu'à préciser que c'est ma théorie. C'est un autre sujet, j'en parlerai probablement, cela rassurera beaucoup d'entre nous, les adeptes de vie.

La maison d'édition me fixa deux rdv et j'ai raté les deux, la deuxième raison était valable : mon ainée que j'aime par-dessus tout, tomba malade de cette maladie vengeresse et ignoble du mal-être et je me devais de l'en sortir par tous les moyens. Je pensais être la seule à pouvoir l'aider et j'étais la seule ... Une unique démarche : non tu n'es pas malade, tu crois l'être et je vais te prouver que tu ne l'es pas. Et je le fis ... Cela a duré moins d'un mois mais je m'étais démenée comme une forcenée. De la pure violence : " Je suis malade ! " " Non, tu ne l'es pas. "

Parce que j'ai raté les deux rdv, je me suis tournée vers une maison d'édition d'ici et la réponse vint il y a peu : " Difficile d'accompagner votre livre qui est pourtant bon."
Mon livre est excellent, croyez-moi. Peut-être qu'il ne parle pas d'islamisme - quoi que - peut-être que le fait qu'il parle de l'homme tout court ne fait pas vendre, peut-être qu'on s'en fiche aujourd'hui quand on est éditeur de la dimension ontologique peut-être que c'est moi ... je ne sais pas. Je sais juste que mon bouquin est fort et que mes exigences de scribe sont terribles. J'ai besoin de charger mes mots de vie et je l'ai fait du début jusqu'à la fin. 

Je me suis adressée de nouveau à un grand éditeur et j'attends son retour. J'ai besoin de publier ce livre pour m'en libérer et ensuite sortir tout ce que j'ai en moi. Et j'ai beaucoup de choses en mon for intérieur et cela se bouscule tellement au portillon que j'ai intérêt à évacuer un peu ...

L'image qui me vient en tête, là, alors que je vous raconte ma vie de scribe, est celle de plusieurs petites dunes de sable que je fais grandir tous les jours pour de nouveau en prévoir d'autres. Pour ceux qui me connaissent, ils savent qu'un pompiste passe tous les matins me ravitailler en mots, en images, en souvenirs, en histoires lues ou entendues et ça commence à en faire trop. C'est tout vous dire.

Ce livre-là précisément, je n'attends qu'une chose : le publier. Totalement inédit, trois amis seulement l'ont lu, Moez, Dejla et Alexandre, trois lecteurs impitoyables pleins de sensibilité.

Il y est question de dénûment, de désir, de rencontres, de livres, de campagne oubliée, de politique, de parcours universitaire, d'amour, de tendresse, de différence, de sexualité brute, de vignobles, de cueillettes, d'étudiants désargentés, de vie et de mort, de mort bête. Un livre salvateur, un livre témoignage et peut-être même un livre-hommage.

Sachez juste qu'écrire n'est pas forcément se raconter comme je le fais maintenant, écrire c'est raconter les autres et soi, raconter les autres à travers soi, travestir les autres dont l'objectif de confondre un peu le lecteur même si on reste très souvent sur une honnêteté de base qui ne souffre aucune incartade.
Ecrire est une respiration, une vraie qui permet d'avancer léger.

Je fus poétesse pendant de longues années et cela aussi paraitra un jour. La poésie est le summum de la sensibilité, de la voyance de ce qui ne se voit pas avec les yeux. Après la Poésie tout est facile. Mais la Poésie aujourd'hui ne se lit plus. Il va falloir de nouveau l'imposer. La Poésie est le sens même de la vie. Et nous avons besoin de comprendre.


Je vous dis à bientôt.

:)


vendredi 3 mai 2019


Il y a des jours où on perd les mots, des jours où on voit à quel point nous errons, nous, les humains, des jours sans goût, des jours terribles.

Un temps autre, lent à mourir, un temps perdu à ne pas être fécond, à ne plus croire en cette magnifique traversée, sûrement parce que ce n'est qu'une traversée...

Ces jours-là, il faut les tuer. Ou attendre un peu avant de le faire. Ou même les empêcher de respirer. Ou leur tourner le dos. Oui leur tourner le dos, sans violence aucune. Pour mieux les narguer.

Ce soir, un goût de Drus amer sous ma plume. Demain sera un jour heureux. Oui un jour heureux.



jeudi 2 mai 2019

Eva XXII


Claire était assise dans son salon, elle écoutait du Bach et son esprit faisait des kilomètres. Cette solitude soudaine lui servait à réfléchir mais elle perdait tous les jours un peu plus de sa perspicacité.

Enest était là-bas. Elle le savait et de toute façon, il le lui disait. Il ne s'en cachait pas. Elle, par contre, ne lui disait pas ce que cela lui faisait, il était à des années-lumière de sa souffrance intérieure. Il n'avait pas le droit de lui faire cela. Non, il n'avait pas le droit. Mais était-ce une question de droit ?

Le pire dans la vie des Hommes est le sentiment. On ne peut rien contre les sentiments. Et là, c'était bien au-delà : un envoûtement qui le dévore. Quand il revenait vers Claire, tout en lui sentait la péripatéticienne. Claire s'enfermait dans sa salle de bain à force d'avoir des remontées. Cette odeur chaude, forte, moite de catin lui donnait des hauts-le-coeur.

Il revenait souvent à l'appartement et restait prostré des heures à attendre le retour de sa femme parce qu'il fallait qu'il lui " dise des tas de choses et qu'il espérait qu'elle le comprenne. Après tout personne qu'elle ne pouvait mieux l'entendre. "

" - Chérie je t'aime mais je deviens fou. Cette femme m'obsède. Je la veux. Je sais, je sais pour tout le reste mais c'est tellement fort. Je n'ai pas besoin de lui parler, je la veux. Je passe des heures quelquefois à l'attendre sur les toits et dès qu'elle est là, je suis en émoi total. Elle a un corps d'une insolence à couper le souffle, elle n'aime pas, Claire, elle assiège littéralement. Pardon mais comprends-moi, tu m'as toujours compris. Je suis fou d'elle c'est au-delà de tout raisonnement. Tout en moi la veut fougueusement, en l'absence de tout discours. D'ailleurs elle n'a pas de mots, elle a des rires qui fusent sans raison et des regards moqueurs. Je sais, je sais pour tout le reste mais je suis fou de sa peau. "

Claire avait un adolescent dans leur salon qui découvrait le corps d'une femme lascive à souhait.

« Eva est divine dans ses bodys à même la peau quand elle n'est pas toute nue dans sa chambre des toits. Même pour ramasser un vêtement, elle a de ces cambrures. Sais-tu qu'elle va toute nue a sa fenêtre ? "

Intéressant se dit Claire, j'avais besoin de le savoir. Il fallait que j'apprenne comment vit une catin qui gagne sa vie à la sueur de ses cambrures. Bien sûr. C'est un sujet de sociologie et il fallait que son homme et le père de son fils en soit le principal protagoniste. Mais pourquoi ne pense-t-il pas à se taire, à dire le moins possible, à réfléchir comme avant cette angoisse nocturne ?
Pourquoi ce jeune homme de sa fac, cet étudiant brillant avec lequel elle avait tellement ri , ce si beau gamin à peine sorti de l'adolescence aux dents éclatantes et rieuses lui faisait-il cela ? Elle a bâti leur vie pendant longtemps d'amour, de tendresse, de présence, de musique et d'art pour qu'il vienne aujourd'hui lui parler en long et en large des vertus cambresques d'une catin puante !

Elle se retenait de le secouer aux épaules et de le violenter au visage pour le dépoussiérer de cette folie qui envahissait ses yeux et son esprit. Son corps, lui, était tendu comme un arc vers un je-ne-sais-quoi de saisissant.

Bach aidant Claire se demandait comment, lui, avait vécu les années de fac, les années de rire et d'amour, les débuts de leur union que tout le monde considérait d'un oeil bienveillant et approbateur, la naissance de leur fils, leur tendresse réciproque, tout le Beau de leur vie jusqu'au moindre détail.

Était-il tout autant qu'elle l'esthète qu'il disait être ? Peut-on l'être véritablement et tomber dans ça ? Vivait-il vraiment avec elle ? Etait-ce vraiment son choix de vie ? Cet appartement la sentait elle dans ses moindres coins, il y était où lui ?

Chez Eva, saisi par un abat-jour qui en a vu de toutes les couleurs, de la misère humaine, du rire provocateur, de la conscience de la matière, de l'amour brut, de l'inconscience de l'autre, du struggle for life, du chagrin vrai, de l'insolence la plus humaine, du rejet de l'autre, de la violence de vivre à tout prix dans le dénuement total.