samedi 3 juin 2017

L'ISC et moi

I. Eté 2007 


Je reçois un coup de téléphone chez moi, directement du Cabinet du Ministre de l’Education, mon interlocuteur, dont j’ignore l’identité, après les salutations d’usage, me dit que mon profil correspondait au système pédagogique français et qu’une école internationale dispensant un enseignement français allait bientôt ouvrir ses portes. J’avais vaguement entendu parler de ce projet auquel était lié le nom de l’épouse de feu Yasser Arafat. La conversation fut de courte durée, le Monsieur au bout du fil était aimable mais très peu précis, je ne m’attendais pas à l’appel. J’ai pensé que c’était probablement lié à la qualité de mon travail, à mon sérieux, et je l’ai toujours été en toute simplicité, à un sujet du bac qui était le mien par pur hasard et sans que personne ne m’ait jamais citée. C’était au tout début de l’été, l’école n’existait pas encore. Il n’y eut pas immédiatement de suite et je fis vite d’oublier l’échange.
Vers les premiers jours du mois de septembre de la même année, un autre coup de fil d’un conseiller du Cabinet du Ministère me demanda de me rendre sur place, aux Jardins de Carthage - la zone venait d’avoir ce nom - à un établissement nommé Ecole internationale de Carthage. Je répondis que je faisais ma rentrée le 15 septembre à mon établissement d’origine et que par conséquent je ne pouvais pas m’y rendre. Il me dit d’aller voir, de me faire une idée et que c’était plus intéressant pour moi. Mon mari me dit que je ne perdrais rien.
Je ne savais rien de l’école, j’appris sur place qu’elle appartenait à Mmes Leila Ben Ali et Souha Arafat. J’ai croisé Mme Arafat une ou deux fois au hasard des couloirs. Je ne l’ai jamais connue et je ne l’ai plus jamais revue.
J’eus un entretien avec M. G.Robert en présence d’une jeune personne amie de la gérante de Mme Ben Ali - sa nièce en l’occurrence - une jeune fille qui ne connaissait visiblement rien en tout ce qui était pédagogique. Elle fit deux ou trois interventions de circonstance. M. Robert a été professionnel dans le discours, je m’enquis de tout, lui dis que j’étais très difficile sans être méchante et que si l’école se destinait aux enfants gâtés, je n’étais pas la bonne adresse, que j’avais toujours travaillé avec une liberté pédagogique, que je ne savais pas faire de traitement de faveur. Il me répondit que l’école avait précisément besoin de mon profil. Je quittai l’établissement en promettant de réfléchir à la proposition. Le lendemain, l’école m’appela et me fixa rendez-vous avec la gérante de l’établissement. Je m’y rendis et je fis la connaissance d’une toute jeune personne avenante et souriante qui était visiblement au tout début d’une carrière professionnelle, qui était simple mais qui paraissait profane en pédagogie. C’était une jeune gérante et la nièce de la propriétaire des lieux. Peut-être sortait-elle à peine de la faculté ? Je ne saurais le dire mais visiblement, elle n’avait aucune expérience professionnelle.  Je m’informai de tout, appris que l’école dispenserait un enseignement français, que son objectif était d’avoir l’homologation, que tout était aux normes nationales ( CNSS ) et internationales. C’est ce jour-là que j’appris que la personne en face de moi était la nièce de Mme Ben Ali et une connaissance rencontrée sur les lieux m’expliqua tout. Nous étions le 2 ou le 3 septembre, le proviseur me pressa d’assister à une réunion, je n’avais pas encore dit oui et j’étais à la fois attirée par l’enseignement français, le côté international de l’école - qui, jamais, n’exista – la modernité des lieux mais j’avais, aussi, de très fortes appréhensions : l’école appartenait aux Ben Ali, je ne savais pas si tout y était légal, j’avais peur de perdre ma liberté d’être, d’agir et d’enseigner, de sortir de la discrétion de mon existence personnelle – mes choix de vie ont toujours été de m’éloigner des projecteurs, je n’en avais pas besoin, étant issue de vieilles familles honorables de toutes parts.

Le salaire de professeur en Tunisie est en lui-même inférieur à ce que peut gagner un détenteur d’un débit de tabac mais c’est un métier considéré comme noble et il l’est. Et cette arène qu’est la salle de cours m’a toujours séduite. Je m’y sentais dans mon élément et j’avais tellement de choses à passer. Le salaire proposé par l’ISC, du moins aux Tunisiens,  était de l’ordre de 1,3, autant vous dire rien du tout, surtout au regard du travail fourni, comme j’ai pu le constater par la suite.

J’ai participé au démarrage, ma rentrée personnelle était pour le 15 septembre, j’avais donc deux semaines ou un peu moins devant moi pour me faire une idée. Très rapidement, je me suis trouvée poussée gentiment mais assez familièrement vers des photos de classe destinées à la pub par un Monsieur qui était souvent là et qui portait un costume marron, je ne savais même pas de qui il s’agissait, c’est un détail, mais je me souviens encore, je lui disais : «  Non je ne fais pas partie de l’école, je dépanne juste. »  Et il me répondait : «  Tu es des nôtres. »
J’appris bien après que c’était l’un des frères de la propriétaire des lieux. Il était très gentil, un peu entreprenant, bon enfant mais ce n’était pas un pédagogue et ce n’était pas non plus une école. Du tout. J’y ai passé neuf ans. Enrôlée sans mon assentiment vrai mais sans non plus, pour être honnête, un refus catégorique de ma part, ce n’était pas possible.
 Le 13 septembre, j’informai le proviseur et la gérante que je me devais d’assister le 14 à ma réunion de reprise sur les lieux de mon établissement d’origine. Le proviseur : « Mme, nous avons besoin de vous et les élèves vous aiment déjà. »
 La gérante : « Mme, vous restez avec nous, veuillez signer la demande de mise en disponibilité svp. »

J’avais deux ou trois classes et il y avait un mix d’élèves intéressant, une majorité d’adolescents pleins de préjugés : le théâtre c’est du music hall, la peinture n’importe quoi, le chant affaire de vamps, et, des diamants aux regards intelligents et curieux, Lina, les triplés, Elyès et bien d’autres. Ce fut un défi d’homogénéiser tout ce monde, de corriger, de rétablir les choses, de casser les idées reçues, de donner à voir la différence. Le plus extraordinaire, c’est le besoin de limites de bon nombre d’entre eux et précisément des enfants du pouvoir. Je pense à Amine décrit en sourdine comme un dingue qui se rangea vite fait avec moi. J’étais très stricte mais pas du tout cassante et je donnais à chacun une part de mon écoute et de moi-même. Un travail intense de transmission de connaissances, d’échanges humains, de sculptures de profils psychologiques, du premier au dernier jour au prix de ma santé, c’est que c’était mon travail, que je suis entière et perfectionniste et que j’aime les gens. Les élèves sont les seuls indicateurs de l’investissement d’un professeur. Les miens en témoignent encore aujourd’hui. Et j’ai agi en conformité avec la seule phrase qui m’ait plu dans cet établissement où je n’ai cessé de répéter que la liberté pédagogique ne se fractionne pas, que j’étais un professeur trop stricte, une phrase du proviseur : Surtout restez comme vous êtes !
Il sera éjecté à la fin de l’année et c’était juste un proviseur utilisé pour le démarrage. Ce n’était pas le proviseur, il n’y en avait pas, c’était juste un titre. Les structures de ma tête étaient bouleversées. Et dès le premier jour, je sentis une pression. Chez moi aussi et après coup, mon mari : «  Nous allons y laisser des plumes. »
L’école était moderne, la verdure y était belle, les posters au mur donnaient à voir des visages d’enfants suédois, allemands ou scandinaves, tous blonds aux yeux bleus, quelques africains magnifiques et puis des textes : Mon école, Le Savoir … C’était surréaliste, kafkaïen !

( A suivre ) 

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