jeudi 15 juin 2017

Non, vos moules, je n'en veux pas !

Il a 17 ans et est d’une intelligence rare. Un excellent élève aussi. Il a l’air seul et a du mal à se faire des amis. Beaucoup ne le supportent pas, sans raison à vrai dire. Le lot de l’adolescence et nombreux sont ceux qui en pâtissent.
Très grand de taille, il est gauche dans ses gestes mais qui ne l’a pas été à cet âge-là ?
Il lui confia qu’il souffrait de solitude et qu’il avait déjà pensé au suicide.
Penser au suicide à 17 ans ! Parce que le regard des autres dérange, parce que les autres vous soupèsent, parce que leurs normes ne sont pas les vôtres, parce que vous vous sentez différent, parce que vous vous en voulez de vous sentir différent, parce que vous ne vous comprenez pas …
Ce qui fait le plus mal dans cette existence, c’est cette frange de la société qui croit détenir la vérité, qui vous serine ses poncifs à longueur de vie, qui se noie et veut vous noyer dans son système de conventions stupides, qui vous toise, vous jauge, vous juge, vous « expertise » et vous condamne.
Ces gens-là, il faut savoir s’en préserver, il faut savoir les arrêter, il faut savoir les fronder.
La sensibilité exacerbée d’un môme de 17 ans qui pense à en finir avec la vie vient du regard de ces personnes plates engoncées dans leur étroitesse spirituelle, dans leurs règles immuables et dans leurs diktats de vie.

Vous n’avez pas le droit d’imposer vos moules à un jeune de 17 ans qui cherche à exister comme il le sent.

vendredi 9 juin 2017

L'ISC et moi, III. Une affaire de principes.

Le 3ème proviseur de l’ISC fit donc bonne impression au départ. Ses tentatives de se rapprocher du proviseur-adjoint ne donnèrent pas grand-chose mais je crois que les propriétaires l’aidèrent un petit peu même s’ils étaient adeptes de « laisser faire et observer », « prêter l’oreille », « laisser agir les lèche-bottes », et «  diviser » …

Et puis surtout, les rapporteurs étaient nombreux. Là nous sommes encore sous l’ère Ben Ali. L’une des choses les plus vulgaires était visible à l’heure de la pause méridienne du staff administratif du 1er étage : le passage à la queue leu leu des personnels de nettoyage transformés en serveurs munis de cloches clinquantes : le déjeuner de « l’équipe dirigeante ». Des habitudes qui ont continué après le départ des Ben Ali.

Cette promiscuité qui n’avait rien de rigoureux dans un établissement professionnel, scolaire, équipé d’une cantine pour tous, outre sa vulgarité criarde, avait permis un tissage de liens entre personnes de différentes origines professionnelles : les proches de Mme Ben Ali, tous profanes en pédagogie, anciens commerciaux et de jeunes novices montés au créneau, « personnel de confiance », détenteurs de la cantine et de la cafétéria de l’établissement devenus gérante, directrice d’approvisionnement, DRH … en compagnie d’un proviseur, Mme Askri, censée restructurer l’école et l’assainir.

Ce qui revient à dire que, à la tête officielle, mais en fait officieuse pour nombre de choses, de l’établissement, évoluait et évolue toujours une ancienne directrice d’établissement tunisien qui, au quotidien coopère avec les hyper proches du sérail dans une ambiance de cancans, de médisances, de dossiers constitués sur les uns et les autres, de dérision, d’argent … 

La futilité et l’esprit de clan, la malveillance et les combines possibles, le manque de rigueur et de professionnalisme, l’ignorance totale du pédagogique et de tout ce qui constitue un établissement scolaire caractérisaient on ne peut plus le sérail et de se retrouver au quotidien avec ce joli monde vous change un saint. Et les saints n’existent pas et n’ont jamais existé qu’à l’intérieur du terme lui-même.

Cette ambiance de salon d’esthétique de gamme moyenne a continué après la révolution de 2011, après quelques mois d’épouvante, de discrétion apeurée et de quasi inexistance visible des proches de l'ancienne propriétaire.

L’école passa des mains de Mme Ben Ali et de ses proches à celles de ses proches exclusivement, sans intervention de l’Etat, les premiers temps pour ensuite mettre à sa tête le proviseur elle-même, Mme Askri en l'occurrence, en administrateur judiciaire, pour ensuite mettre l’école sous la tutelle de la Holding Karama pour enfin nommer un nouvel administrateur judiciaire étranger à l’école en la personne de M. Sami Hamdi qui m’expliqua que le non renouvellement de mon contrat était consécutif à mon absence d’un mois l’année précédente - donc avant son arrivée - , absence suite à une intervention chirurgicale et absence dûment justifiée. ( De même, mes classes avaient bénéficié d’un suppléant avec qui j’étais en contact professionnel durant mon arrêt et ma convalescence. )

Le proviseur, elle, qui avait intégré l’école deux ou trois ans après moi et avec qui j’ai travaillé - en ce qui me semblait être à moi un parfait accord professionnel -  a demandé officiellement au Ministère d’autoriser aux onze professeurs du MEN que nous étions un détachement à l’ISC. 

Nous y étions depuis, pour moi du moins, neuf ans dans le système dit français et le Ministère ne pouvait qu'approuver et ce fut le cas. Sauf que quelque mois plus tard une "information" - téléphonique je crois - parvint au Ministère concernant en exclusivité ma personne avec la mention orale suivante : à ne pas reconduire en raison de son souhait d'arrêter de travailler. L'entourloupe. Cadeau qui m'a été fait par une pseudo "amie" qui venait d'arriver à l'établissement en qualité de proviseur-adjoint après des années de course après le poste et la médiation du proviseur et qui d'emblée s'inscrit dans la médisance outre sa profonde incompétence, Mme Ben Fadhla. 

On se débarrasse d'une personne qui parle, dit ce qu'elle pense, oppose un refus à l'injustice, sait beaucoup de choses et n'a pas froid aux yeux. Moi-même. Ce qui était regardé avec respect chez moi, auparavant, mon sérieux et ma compétence, mon franc-parler, devenait gênant et probablement exigeait de la part de certains de faire attention. D'autant que dans un pays au chômage et en pleine ébullition post révolutionnaire, des recrutements ont été faits – aux dépens d’autres bien évidemment - sur la base du copinage et des liens de famille par " l'équipe dirigeante" au complet, celle de Mme Ben Ali. N'avaient déguerpi que ceux dont la situation n'était pas légale. Quant au staff administratif, il s'accorda des titres et ce qui va avec et cela après le départ des Ben Ali à huit clos et en toute impunité.


Cette école a continué à agir comme bon lui semblait, continue à agir comme bon lui semble, et même que, on conseille en douce à ceux qui sont remerciés sans préavis d’aller voir, l’ancienne famille régnante. Il faut convenir d’une chose : l’école a toujours fonctionné sans professionnalisme aucun, sans équité aucune, avec des passe-droits, du favoritisme, des rancœurs personnelles, des calculs, des préjugés, de la médisance, des futilités graves et cela a non seulement continué après les Ben Ali mais a sûrement empiré après leur départ. 
Le personnel dit de direction a vite repris ses pratiques, les proches ont continué, après la période de grosse frayeur et de panique d’éventuelles représailles, à vivre l’irréalité totale, en pleine schizophrénie. L'école était leur "bébé". Et il leur fallait un maître devant lequel s’aplatir comme avant, ils suivirent l’ordre des choses, la hiérarchie dont ils ignoraient tout, sauf que cette hiérarchie n’ayant jamais existé, les relations restèrent amicales et d’intérêts communs.

Comment comprendre autrement les cotisations non payées et pas uniquement pour moi. Les témoignages de nombreux collègues français, suite au suicide de feu Thierry Curcio quant aux mauvais traitements pratiqués dans cette école, sont ahurissants. Elle est où la responsabilité de l’équipe dirigeante ? Pourquoi les contrats de travail n’étaient pas donnés aux professeurs ? Pourquoi les fiches de paie n’étaient pas systématiquement remises ? Pourquoi il n’y a pas de préavis de non renouvellement de contrat et comment se permet-on d’agir ainsi sans écrit ? L’administration peut-elle se permettre de se passer des écrits professionnels qui sont des éléments fondamentaux du code du travail ?

L’ISC a fonctionné et fonctionne dans l’ignorance des lois relatives au Code du Travail, héritage des conditions même de l’existence de cet établissement. Une collègue, mère d’un enfant,  a été sommée de quitter son logement de fonction avant la fin de son contrat et a dû se réfugier à l’aéroport puis chez des amis pour ne pas se trouver dans la rue.

Cet établissement ne peut continuer à agir de la sorte, la souffrance au travail, le harcèlement moral,  dont on ne parle pas ici - en Tunisie -  ou dont on parle peu, est un sujet qui mérite réflexion et s'il y a un vide juridique, il faut y pallier. Le drame du suicide de feu Thierry Curcio sera, l'occasion de réviser les pratiques de cet établissement. Cette tragédie lèvera le voile sur des dysfonctionnements, des passe-droits, du clientélisme, de l'irrespect, de la discrimination. De graves entorses aux lois, aux règles strictes du code du travail, à la dignité humaine. Une école qui affiche sa filiation à l'AEFE pour exister et pour surtout appâter élèves et professeurs.

"L'ISC est une une boîte à fric et l’excellence y est un leurre " comme l'a si justement dit un ancien collègue qui ayant fait un rapport en interne sur les multiples dysfonctionnements s'est vu remercié au bout de trois mois alors que son contrat était de deux ans. Il fut indemnisé parce qu'il les avait menacés de leur intenter un procès.

Et cela ose se nommer école.

dimanche 4 juin 2017

L'ISC et moi, II.

II.
Une des choses qui m’avaient choquée dans cet établissement en cette rentrée 2007, très inattendue pour moi, c’étaient les cendriers jonchés de mégots dans les bureaux desdits responsables : gérante et amie, à une époque qui était pour l’interdiction de fumer dans les administrations, juridiquement. Mais nous étions juste un pays à la mode. Et en même temps et assez rapidement, un espace fumeur pour les autres. Encore un détail. Mais il s’agit d’insister sur la schizophrénie du discours et la coquille vide qu’était cet établissement.

Seule chose intéressante : les apprenants, dans les 300 et quelques à ce moment-là. Un grand nombre parmi eux était insupportable, de suffisance et de vacuité, d’ignorance et de bêtise mais ce qu’on peut arriver à faire avec les jeunes est énorme : il y a chez eux de l’écoute dès l’instant où ils sentent que ce qu’on leur dit participera à leur valeur d’Etre.
Dès lors, l’apprentissage pouvait se faire et les mises au point ne survenaient que de temps en temps. Parce qu’il y avait aussi, des automatismes à installer, de concentration et de rapide reprise de concentration.

Le proviseur de la 2ème année de l’établissement était Mme Ayachi, une pédagogue, professeur de Lettres, correcte, francophone pur jus, intègre et discrète. Au début, ils la trouvèrent peu stricte. Ils lui donnèrent donc des instructions de sévérité et quand elle le fut, on le lui reprocha. On lui reprocha aussi d’être polie et on lui préféra vite fait une femme qu’elle introduisit elle-même, une de ses anciennes collègues précédemment, et qu’elle savait plutôt réservée. Elle crut savoir. Et puis le pouvoir, la proximité du pouvoir vous changent certaines personnes du tout au tout ou plus justement vous les donnent à voir sous leur vrai visage. Et ce fut, isolement du proviseur, peaux de banane, médisances, travestissements des faits, mensonges, comédie, franche malhonnêteté, clientélisme, jalousie folle de tous, tentatives d’intimidation diverses, harcèlements et même de l’animation foraine en fin d’année…

Ceux qui n’ont pas voulu opposer de résistance, qui ont une forme « d’intelligence pratique » qu’ils appellent adaptation, qui est en fait de la soumission et souvent de l’opportunisme se sont constitués en clan : aller dans le sens du poil, laisser faire et en récolter les avantages. C’est que cette personne avait besoin de soumis pour exister, se faire admettre, prouver sa popularité. Une cour dans la cour avec un ordre de priorité, cela va de soi. Carpet et carpet à mort. C’était exécrable. Lamentable.
Diviser pour mieux régner et même qu’il y avait deux têtes d’autorité dans la haute cour : la gérante et une proche parente, elle, plus expérimentée. Je passe.

2009/2010
Un nouveau proviseur prit les rênes de l’établissement suite à Mme Ayachi. Cette dernière me dit que «  c’était une tête bien remplie » et je crus que c’était une intellectuelle. Je me dis au fond de moi-même que si une vraie pro dirige l’école, il y a des choses que les choses s’arrangent et que chaque responsable assumera sa responsabilité, que le travail de sape qui fit partir Mme Ayachi cessera. Une opération nettoyage et restructuration. Le premier jour, j’eus, de passage dans mon cours, ledit proviseur qui se présentait aux élèves : une dame d’un certain âge, assez masculine physiquement et qui avait le ton plutôt juste. Elle paraissait distante vis-à-vis de la seconde, me félicita d’être un « excellent » professeur. Ricochet, la seconde en fut pincée. Je compris qu’elle savait tout. C’était la première fois de ma vie que je la voyais.

Je sentis plus de professionnalisme, plus de rigueur. Mais elle fut bientôt la cible de la seconde, isolée, torpillée, décriée, méprisée… La seconde continuait sur sa lancée, il fallait qu’elle soit seule à bord et elle s’aplatissait d’une telle façon devant le pouvoir, qui ne la vit jamais directement, qu’elle finit par avoir leur adhésion. « Mme la Présidente », « En haut lieu, on me fit savoir », « Ma vie la vraie est là avec Mme la Présidente », « Je n’ai que faire de ma maison, j’ai mon logement de fonction »…

Le nouveau proviseur fit elle des tentatives de rapprochement, la « révolution » fit le reste. Et elle se fit toute petite pendant longtemps et les « Dégage » collés sur sa porte. Pour ensuite reprendre du sale service, autrement, et, déteindre sur les autres.

( à suivre )



samedi 3 juin 2017

L'ISC et moi

I. Eté 2007 


Je reçois un coup de téléphone chez moi, directement du Cabinet du Ministre de l’Education, mon interlocuteur, dont j’ignore l’identité, après les salutations d’usage, me dit que mon profil correspondait au système pédagogique français et qu’une école internationale dispensant un enseignement français allait bientôt ouvrir ses portes. J’avais vaguement entendu parler de ce projet auquel était lié le nom de l’épouse de feu Yasser Arafat. La conversation fut de courte durée, le Monsieur au bout du fil était aimable mais très peu précis, je ne m’attendais pas à l’appel. J’ai pensé que c’était probablement lié à la qualité de mon travail, à mon sérieux, et je l’ai toujours été en toute simplicité, à un sujet du bac qui était le mien par pur hasard et sans que personne ne m’ait jamais citée. C’était au tout début de l’été, l’école n’existait pas encore. Il n’y eut pas immédiatement de suite et je fis vite d’oublier l’échange.
Vers les premiers jours du mois de septembre de la même année, un autre coup de fil d’un conseiller du Cabinet du Ministère me demanda de me rendre sur place, aux Jardins de Carthage - la zone venait d’avoir ce nom - à un établissement nommé Ecole internationale de Carthage. Je répondis que je faisais ma rentrée le 15 septembre à mon établissement d’origine et que par conséquent je ne pouvais pas m’y rendre. Il me dit d’aller voir, de me faire une idée et que c’était plus intéressant pour moi. Mon mari me dit que je ne perdrais rien.
Je ne savais rien de l’école, j’appris sur place qu’elle appartenait à Mmes Leila Ben Ali et Souha Arafat. J’ai croisé Mme Arafat une ou deux fois au hasard des couloirs. Je ne l’ai jamais connue et je ne l’ai plus jamais revue.
J’eus un entretien avec M. G.Robert en présence d’une jeune personne amie de la gérante de Mme Ben Ali - sa nièce en l’occurrence - une jeune fille qui ne connaissait visiblement rien en tout ce qui était pédagogique. Elle fit deux ou trois interventions de circonstance. M. Robert a été professionnel dans le discours, je m’enquis de tout, lui dis que j’étais très difficile sans être méchante et que si l’école se destinait aux enfants gâtés, je n’étais pas la bonne adresse, que j’avais toujours travaillé avec une liberté pédagogique, que je ne savais pas faire de traitement de faveur. Il me répondit que l’école avait précisément besoin de mon profil. Je quittai l’établissement en promettant de réfléchir à la proposition. Le lendemain, l’école m’appela et me fixa rendez-vous avec la gérante de l’établissement. Je m’y rendis et je fis la connaissance d’une toute jeune personne avenante et souriante qui était visiblement au tout début d’une carrière professionnelle, qui était simple mais qui paraissait profane en pédagogie. C’était une jeune gérante et la nièce de la propriétaire des lieux. Peut-être sortait-elle à peine de la faculté ? Je ne saurais le dire mais visiblement, elle n’avait aucune expérience professionnelle.  Je m’informai de tout, appris que l’école dispenserait un enseignement français, que son objectif était d’avoir l’homologation, que tout était aux normes nationales ( CNSS ) et internationales. C’est ce jour-là que j’appris que la personne en face de moi était la nièce de Mme Ben Ali et une connaissance rencontrée sur les lieux m’expliqua tout. Nous étions le 2 ou le 3 septembre, le proviseur me pressa d’assister à une réunion, je n’avais pas encore dit oui et j’étais à la fois attirée par l’enseignement français, le côté international de l’école - qui, jamais, n’exista – la modernité des lieux mais j’avais, aussi, de très fortes appréhensions : l’école appartenait aux Ben Ali, je ne savais pas si tout y était légal, j’avais peur de perdre ma liberté d’être, d’agir et d’enseigner, de sortir de la discrétion de mon existence personnelle – mes choix de vie ont toujours été de m’éloigner des projecteurs, je n’en avais pas besoin, étant issue de vieilles familles honorables de toutes parts.

Le salaire de professeur en Tunisie est en lui-même inférieur à ce que peut gagner un détenteur d’un débit de tabac mais c’est un métier considéré comme noble et il l’est. Et cette arène qu’est la salle de cours m’a toujours séduite. Je m’y sentais dans mon élément et j’avais tellement de choses à passer. Le salaire proposé par l’ISC, du moins aux Tunisiens,  était de l’ordre de 1,3, autant vous dire rien du tout, surtout au regard du travail fourni, comme j’ai pu le constater par la suite.

J’ai participé au démarrage, ma rentrée personnelle était pour le 15 septembre, j’avais donc deux semaines ou un peu moins devant moi pour me faire une idée. Très rapidement, je me suis trouvée poussée gentiment mais assez familièrement vers des photos de classe destinées à la pub par un Monsieur qui était souvent là et qui portait un costume marron, je ne savais même pas de qui il s’agissait, c’est un détail, mais je me souviens encore, je lui disais : «  Non je ne fais pas partie de l’école, je dépanne juste. »  Et il me répondait : «  Tu es des nôtres. »
J’appris bien après que c’était l’un des frères de la propriétaire des lieux. Il était très gentil, un peu entreprenant, bon enfant mais ce n’était pas un pédagogue et ce n’était pas non plus une école. Du tout. J’y ai passé neuf ans. Enrôlée sans mon assentiment vrai mais sans non plus, pour être honnête, un refus catégorique de ma part, ce n’était pas possible.
 Le 13 septembre, j’informai le proviseur et la gérante que je me devais d’assister le 14 à ma réunion de reprise sur les lieux de mon établissement d’origine. Le proviseur : « Mme, nous avons besoin de vous et les élèves vous aiment déjà. »
 La gérante : « Mme, vous restez avec nous, veuillez signer la demande de mise en disponibilité svp. »

J’avais deux ou trois classes et il y avait un mix d’élèves intéressant, une majorité d’adolescents pleins de préjugés : le théâtre c’est du music hall, la peinture n’importe quoi, le chant affaire de vamps, et, des diamants aux regards intelligents et curieux, Lina, les triplés, Elyès et bien d’autres. Ce fut un défi d’homogénéiser tout ce monde, de corriger, de rétablir les choses, de casser les idées reçues, de donner à voir la différence. Le plus extraordinaire, c’est le besoin de limites de bon nombre d’entre eux et précisément des enfants du pouvoir. Je pense à Amine décrit en sourdine comme un dingue qui se rangea vite fait avec moi. J’étais très stricte mais pas du tout cassante et je donnais à chacun une part de mon écoute et de moi-même. Un travail intense de transmission de connaissances, d’échanges humains, de sculptures de profils psychologiques, du premier au dernier jour au prix de ma santé, c’est que c’était mon travail, que je suis entière et perfectionniste et que j’aime les gens. Les élèves sont les seuls indicateurs de l’investissement d’un professeur. Les miens en témoignent encore aujourd’hui. Et j’ai agi en conformité avec la seule phrase qui m’ait plu dans cet établissement où je n’ai cessé de répéter que la liberté pédagogique ne se fractionne pas, que j’étais un professeur trop stricte, une phrase du proviseur : Surtout restez comme vous êtes !
Il sera éjecté à la fin de l’année et c’était juste un proviseur utilisé pour le démarrage. Ce n’était pas le proviseur, il n’y en avait pas, c’était juste un titre. Les structures de ma tête étaient bouleversées. Et dès le premier jour, je sentis une pression. Chez moi aussi et après coup, mon mari : «  Nous allons y laisser des plumes. »
L’école était moderne, la verdure y était belle, les posters au mur donnaient à voir des visages d’enfants suédois, allemands ou scandinaves, tous blonds aux yeux bleus, quelques africains magnifiques et puis des textes : Mon école, Le Savoir … C’était surréaliste, kafkaïen !

( A suivre )