mardi 27 septembre 2011

Une étoile est née !


Samedi 10 heures, direction le Palais des Congrès, nous avons convaincu un ami de longue date, penseur et auteur, homme de grande qualité intellectuelle mais désabusé par le politique et presque dans l’indifférence consciemment coupable, d’aller voir du côté du Pôle.
Pourquoi justement ne pas être curieux de ceux qui ont choisi de garantir les chances démocratiques de la Tunisie ?
L’intérêt premier du Pôle est le dépassement du  petit moi, le chef, le militant de 50 ans, la tête à couronner. En effet, au Pôle, il n’y a pas de figure emblématique, de chef incontesté, pas besoin de consacrer une carrière, pas de Sacre, Louis XIV est loin derrière.
De toute façon, nous en avons fini avec les dieux vivants et puis ce sont des pratiques laissées pour les partis de Dieu, un faire politicard, blasphématoire par ailleurs. S’en méfier est un petit mot.
Notre ami est avec nous, il pénètre dans la salle avec une certaine lassitude et un petit air de «  je leur laisse leur révolution » pour en sortir avec des étoiles dans les yeux et un regain de ses convictions politiques profondes.
Le Pôle est un regroupement de quatre partis politiques démocratiques et modernistes, des indépendants, tous unis par la même ferme volonté d’instaurer en Tunisie une démocratie réelle qui garantira l’alternance du pouvoir, la séparation des pouvoirs, qui consolidera les acquis modernistes, garantira les libertés, le rejet de toute forme d’intolérance et de discrimination et j’en passe.
Un moment fort d’exaltation, les belles idées sont immortelles. Elles ont pour elles le mérite de raviver les ardeurs, de ressusciter les convictions qui ternissent avec le gel et l’inertie.
Le Pôle, une étoile blanche sans prétention mais une vraie volonté de mener le pays vers la modernité, d’écrire une constitution nouvelle à l’encre de la liberté.
Un Riad Ben Fadhl, touchant d’humilité et de présence discrètement forte, mon Maître Ahmed Brahim – décidément, on ne peut s’empêcher d’être esclave quelquefois ! Attention, concession faite au domaine de l’enseignement – qui sut contrairement à d’autres se fondre dans le Pôle, faire don de sa personne car la priorité est à la Tunisie. Sana Ben Achour dont l’intervention nous éclaira sur le programme unifié du Pôle, Sana Ben Achour qui s’inscrit en femme de droit dans la modernité intellectuelle résolue loin de toute attache handicapante. Les gens du Sud, tête de listes et colistiers et un projet de modernisation de ces zones arides, souvent, sur bien des plans, une conscience de la difficulté du terrain et une présence féminine admirablement digne, avec voile, sans voile, tant la chose est un détail insignifiant politiquement, sur le terrain, sur le fait du service social et politique.  Le voile, un choix personnel, intimement intime,  bien achalandé chez d’autres motivés par le gain facile.
Le Palais des Congrès, ce samedi, a été un véritable espace politique sans discordance aucune, une intelligence tacite entre les assistants et un bonheur intellectuel que ne peuvent donner que les grandes idées.
Les interventions des Pôlistes s’adressent à l’intelligence de l’assistance, à leur sens du devoir politique et non à leurs complexes, leur misère et leur sentiment de culpabilité possible. Les hommes sont des êtres pensants et agissants et non des pathologies à manipuler. Place nette au sensationnel !
Le parterre de ce samedi était uni par des idéaux indémodables, des valeurs incontestées : travail, dignité, justice, parité, équilibre régional, respect de l’autre, séparation du politique et du religieux.
Si d’aucuns rêvent aujourd’hui de faire de la politique sur la base du religieux, sur l’endormissement des masses, au Pôle, les choses se font à l’autre sortie du couloir, vers la lumière et la conscience du sociétal et du politique.
Notre ami s’était revigoré, il est encore possible de rêver d’une vie meilleure, de voir peut-être ses idées enfin aboutir : le respect de l’autre, la dignité du travail, la liberté d’être et de penser comme on veut, où on veut et au moment décidé.
Décidément le Pôle nous intéresse !

lundi 19 septembre 2011

Histoire et historicité


Début 20ème, dans une petite ville sans prétention du Sahel tunisien naquit un homme qui aura un destin sans précédent. Un homme issu d’une famille modeste, le dernier-né d’une nichée de huit enfants. Son parcours scolaire et universitaire n’est pas des moindres, particulièrement en ces temps reculés : Sadiki, Carnot, La Sorbonne. Puis la rencontre d’une dame qui dut beaucoup compter dans la sculpture du personnage. De ce Monsieur, on parle et on continue à parler, longtemps probablement car une nation qui oublie ses hommes et femmes d’exception n’est pas dignes d’eux. Sa mémoire courte lui rendra ardue la tâche d’aller de l’avant. Les femmes et les hommes de ma génération n’avaient pas la maturité requise pour l’apprécier en son temps, nous l’avions plus connu sur le tard quand il prit de l’âge et que l’âge et l’entourage véreux firent de lui une marionnette. En réalité, le mot « marionnette » sitôt écrit semble pesant, non qu’il soit inadapté, mais en égard au personnage et à son avant-gardisme. Et puis le temps patine les êtres et surtout les êtres d’exception au regard de leur parcours, de leurs réalisations et en comparaison avec les « petits », les creux, les sans-envergure, les populistes qui se construisent sur la misère du peuple, ses carences, ses nœuds, ses frustrations, sa rancœur justifiée tel l’inSupportable « Mousemeh Kérim ». Mais le peuple n’est pas à blâmer, car le peuple est le Peuple, la base, le ciment, le bras besogneux d’une nation. Le peuple n’est pas à blâmer, le politique OUI. Jusqu’où un programme politique a-t-il voulu élever un peuple, le porter et le porter haut économiquement, socialement et intellectuellement ?
Oui Bourguiba a été un grand homme, un homme d’envergure avec un vrai projet et un modernisme avéré. Nous ne connûmes pas, nous, son heure de gloire, nous sommes nés bien après l’Indépendance et nous ne vécûmes pas l’épopée bourguibienne de la libération. Même que très jeunes adolescents, on dénigrait fort tous ceux qui fricotaient avec le PSD.
D’abord en réaction et par opposition avec beaucoup de nos parents et aussi parce que la corruption du parti se faisait sentir fortement, le leader vieillissait et même ceux qui vénéraient Bourguiba n’étaient pas très contents de la tournure des évènements, souhaitaient souvent le voir suivre les pas de Léopold Sedar Senghor et céder le pouvoir de son vivant. Que BCE l’évoque aujourd’hui est tout d’abord une preuve manifeste de sa reconnaissance du Maître, du leader, un respect de l’Histoire du pays et un rappel de l’avant-gardisme et du modernisme de Bourguiba mis à part son patriotisme, son œuvre incontestée dans la libération du pays et son honnêteté d’homme.
Bourguiba a été un grand avec tous les travers que cela implique dans précisément sa condition d’homme et, assurément plus, d’homme politique. Un égo surdimensionné, un amour possessif de la patrie, une difficulté à accepter le passage du temps, l’oubli…un refus de reconnaître l’implication historique des autres dans le processus de libération, une accaparation du pouvoir…Sauf qu’aujourd’hui, avec le recul, on peut considérer que l’Histoire, l’époque autorisaient quelque peu ces travers, ce culte de la praxis politique d’alors payée au prix de sacrifices, menée sur fond de convictions réelles et d’honnêteté patriotique.
Pourquoi écrire sur Bourguiba, précisément aujourd’hui ?
Pour, tout d’abord, expliquer la hauteur que les jeunes des années 80 avaient vis-à-vis du Monsieur, le mépris du PSD même si de nombreuses personnes dissociaient l’homme du parti au vu de la corruption de ce dernier, dans le sens où le respect du père demeurait plutôt intact et où l’on attribuait « La caravane qui passe », les bus de l’Union des Femmes et autres perles du même mauvais goût plutôt aux « remueurs » du parti complètement méprisés.
Bourguiba était le père certes respecté mais duquel il fallait s’éloigner – comme quand on s’éloigne de nos géniteurs -  pour se construire, lassés de son discours et de son histoire qui n’était pas la nôtre et, dont nous n’avions pas connu l’exaltation. Bref, question de générations tout simplement.
Et puis écrire, sur Bourguiba, aujourd’hui, parce que c’est un peu l’heure du retour vers le père après l’impérieuse construction personnelle, la distanciation obligée, parce qu’il n’est plus là et que le temps nous le donne à voir dans sa valeur historique. Non que l’on veuille revivre son temps – on ne refait pas l’Histoire, en tout cas pas à l’identique - , non que l’on ait les réponses, ni les excuses à son œuvre incomplète, par endroits, mais parce que l’heure nous met d’emblée dans l’évocation d’un passé glorieux et dans le comparatif vis-à-vis de l’événementiel du moment et des voix politicardes tonitruantes du jour.
Nous sommes un peu – un peu beaucoup ? – dans la situation des lendemains de gloire forcément décevants, un peu dans la situation du discrédit de soi, du désenchantement. Le retour vers la gloire est donc un besoin, une nécessité pour de nouveau croire en soi. Un classique en fait et c’est ainsi que l’on constate dans l’histoire littéraire un peu avant la fin de la 2ème Guerre mondiale un retour vers le mythe, sa réécriture : Antigone , Caligula et d’autres auxquels se sont attelés Anouilh, Camus, Giraudoux…
Pour nous, ce sera Bourguiba mais aussi d’autres dans des domaines différents, Haddad, par exemple, que le premier Président de la République saura faire valoir en politique, ce qui est en soi l’intelligence du faire politique : la mise en pratique des idées des penseurs, des écrivains et des intellectuels. Aujourd’hui, nous sommes loin de cette époque de construction vraie, de sentiments authentiques. On peut arguer que le recul historique n’a pas pu avoir lieu, que nous sommes en plein dans la mouvance, l’action, que sur le moment la noblesse de la praxis ne peut être visible.
Sémantique que tout cela semble-t-il. Quelle noblesse peut-on trouver dans le discours de R.Ghannouchi ? Quelle clairvoyance politique ? Quel projet et quelle grandeur politique ? On n’osera avancer la notion de modernité. Un cheikh à l’heure on l’on parle de président. Des comparaisons dignes des armoires de nos grands-mères aux senteurs coing-citron – « L’Islam n’est pas un sefsari de soie pour qu’on le range au placard », dixit « notre » cheikh, l’Islam religion du pays dont il fait sa propriété privée pour atteindre le pouvoir. Des « boulettes » aux pauvres qu’il gagne à empêtrer dans le populisme et l’ignorance, mariages en série, calèches aux couleurs locales et, imaginaire oblige, poissons pendants et autres amulettes anti-mauvaix œil. On n’est pas loin de l’Inde carte postale c'est-à-dire aux antipodes des bâtisseurs de la Tunisie moderne qui avaient en horreur l’inerte, qui étaient déterminés, en prime politiquement, à bouleverser les choses et ce geste-culte, pour nombreux Tunisiens, de Bourguiba ôtant le voile à des femmes sous verrous.
Les adeptes féminines de R.Ghannouchi font aussi dans l’humour-femmelette, sur estrade, et Ô sacrilège sous couvert de démocratie !
Quel rapport chères « sœurs » entre votre condition de femmes pro-polygamie, pro deuxième être, adepte de la femme tentation et la démocratie, la liberté d’expression, l’intransigible  parité, le respect de l’autre mon égal et dont je suis l’égale tout naturellement ? « Dans mon action politique, pourquoi vais-je m’empêtrer de voilage – et non plus de voile – à table, avec mes collègues hommes, pourquoi ce distingo de sexe là-même où je suis une personne indifférenciée moi qui suis de la même religion et culture que toi ? » dira une femme libre tout en ajoutant que libre ne signifie pas dévergondée.
C’est là où l’on est nostalgique de la pensée bourguibienne, de celle de nos pères qui nous poussaient haut et fort vers l’émancipation et la responsabilité. De quelle oreille aujourd’hui, pourrions-nous entendre le populisme de l’extrême droite ? Quel regard adopter au vu de la démarche d’appauvrissement intellectuel des masses adoptée par Ennahda ? Un parti qui se base sur la même « doctrine » populiste que certaines chaînes de TV par ailleurs amies, qui engrange à base d’ignorance, de misère, de culpabilité et de sensationnel. Non, le Tunisien mérite bien mieux que cela, il vaut mieux que cela, il doit pouvoir aller de l’avant et jouir d’une vie de meilleure qualité. Laissons libre le champ cultuel, ne mélangeons pas spiritualité et impératifs socio-économiques. L’Homme trouve seul le chemin de Dieu, s’y met et l’adapte à ses attentes, c’est une relation on ne peut plus intime, nul besoin d’intrus dans le domaine privé. Par contre, l’Homme en général et, pour notre part, le Tunisien en particulier a droit à une dignité sociale, professionnelle, intellectuelle. C’est le bien-être, le bien-vivre, le savoir-penser. Arrêtons donc de l’utiliser en bonne pâte en jouant de ses faiblesses, de ses lacunes et de l’absence de l’égalité des chances au départ de sa vie.
Bourguiba a eu l’honnêteté de ne pas le faire, il a eu le mérite d’aimer son pays et ses compatriotes, de vouloir les porter haut, par l’école et le savoir, par l’implication de la femme dans le processus économique, par l’effacement du legs de l’ignorance, de la superstition et de  la pensée inerte. La politique politicienne, les intérêts des uns et des autres, le désir d’hégémonie régionale, la vieillesse du leader, la corruption du parti, la gangrène administrative, le silence des intellectuels, leur absence, leur bâillonnement ( ? )  ont fait que les choses n’évoluent pas dans le sens du projet moderne et moderniste du départ.
Aujourd’hui, il y a la volonté de conduire ce projet à bon port avec des hommes et des femmes propres intellectuellement, déterminés politiquement qui n’auront de cesse d’introduire le pays dans le cercle des grands. Et pourquoi pas ? Des effluves de gloire dès à présent. 

jeudi 1 septembre 2011

Une révolution est une libération


Une révolution est libération, bonheur fulgurant mais aussi trauma comme tout changement fort, angoisse des lendemains qui déchantent, désillusions souvent…La révolution tunisienne a été d’une beauté rare, d’une force rare. Sa facture en pertes humaines n’a pas été très lourde même si une seule victime est, à elle seule, une perte considérable. Mourir pour des idées, par espoir de changement, mourir pour les autres est fort mais c’est quand même mourir.
La révolution tunisienne donne à rêver, laisse entrevoir le scintillement de la démocratie, du droit, elle gomme des décennies de propagande partisane grossière « size stupides obligés », « stupides à vie ». Elle éloigne des slogans creux et vulgaires consommés sur 23 ans - 50 pour d’autres – type «  Farhat chebeb Tounès », littéralement « Bonheur de la jeunesse tunisienne », le plus hilarant de tous, tout un concept de RIEN. Un soulagement, à ne pas douter, que la révolution tunisienne. Une fierté que ses répercussions sur le reste du monde arabe, mais aussi une attention et une angoisse quelquefois paralysantes, une praxis fébrile aussi, par moments, de cette fébrilité de la peur d’accoucher d’un avorton.
D’un avorton…
La révolution doit être une porte ouverte sur un monde nouveau, un monde rêvé…Or, depuis quelques mois notre esprit est inquiet, dérouté, il tourne en rond. Le rêve risque-t-il de tourner au cauchemar ? La liberté tellement désirée est-elle de nouveau la cible des esprits étroits ? La pensée unique gagne-t-elle de nouveau du terrain ? Le pays se complait-il dans le laisser-aller ? L’hygiène a-t-elle des chances de s’installer durablement chez nous ? Le Tunisien va-t-il se ressaisir ? Devrions-nous, nous, les femmes, accepter que certains mâles poilus revoient notre parcours, décident de notre vie au quotidien, parlent de nous en tuteurs autoproclamés nous regardant en sous-personnes, fragiles, réduites à leurs parties intimes qu’il faut dissimuler et placer dans des contextes appropriés en veillant à en éloigner l’ Homme, être rapidement sensible à la chair et à la tentation ?

Dangers de la pensée unique.

Ces derniers temps, le populisme et le racolage battent leur plein, les mariages en série, les cérémonies de félicitations du baccalauréat, les circoncisions, les discours creux des Islamistes, les vidéos de certains énergumènes décidant du destin professionnel de la femme écœurent au plus haut point. La religion musulmane, qui est avant tout un message de paix, est galvaudée à droite et à gauche par des hommes limités intellectuellement, sans profondeur aucune, dénués de tout bon sens et de tout souci économique, endoctrinés ou visiblement en mal avec eux-mêmes psychologiquement pour des raisons personnels de dénuement, de frustration et de complexes divers. Oui, galvaudé, l‘Islam à des desseins politiques, à des stratégies politiciennes, ces hommes quelque peu simplets - pour certains et à leurs interventions - sont souvent manipulés, exploités dans leur foi et il nous semble impératif pour l’heure de lever le voile sur des pratiques de politiques politiciennes dangereuses et fascisantes.
Qu’est-ce que l’Islam, qui est synonyme de sérénité, a à voir avec ces hommes, avec leurs discours musclés et leurs tons autoritaristes ? Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces hommes menaçants, ces discours populistes, un panaché de diktats et de paroles doucereuses, de promesses fallacieuses et de dons en nature ? Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces hurleurs qui mettent le volume au max ?
L’Islam est aux antipodes de ces récupérations politiciennes qui prolifèrent en profitant de la simplicité intellectuelle des bonnes gens, de leur pauvreté et de leurs carences, de leur besoin d’espoirs. Cela s’appelle tromper et mentir, cela s’appelle alimenter la naïveté et l’ignorance, cela s’appelle faire taire et commander. Des calculs politiciens dignes du RCD, on n’est pas loin des caméras qui filment des pauvres gens installés dans pièce unique et salle d’eau, qui se confondent maladroitement en remerciements et en bénédictions du Chef Suprême, du Père donateur, de l’Incontournable, le Seul. De nouveau l’image du « Père Suprême » sauf que celui-là prétend prendre appui sur le divin dont il est le missionnaire, quasiment l’Immaculée conception et obligatoirement le SILENCE.
La révolution du 14 nous a donné le bonheur de la parole libre, du mot percutant, de la répartie affranchie et il est hors de question de mettre cela en péril, la liberté d’expression étant le besoin premier de l’Homme libre.
Le religieux lui est d’un ordre strictement personnel, nous ne sommes jamais autant heureux que dans notre rapport intime et solitaire à Dieu, la religion a le mérite de nous réconcilier avec tout et même avec la mort, et dans ce rapport au divin, il n’y a aucune place aux prêcheurs de propagandes, à la récupération politicienne. Un exemple simplissime : lorsque nous scrutons le ciel, dans un désir de communion avec le divin, un désir suprasensible, la présence d’un tiers coupe l’élan et empêche toute proximité. Oui, dans notre foi, nous avons fortement besoin d’être seuls.
De même, la religion ne doit pas être entachée par les dérives et les vices du pouvoir, parce que le pouvoir est puissance, la puissance est sans limite, et le sans-limite est foncièrement folie. D’où, par ailleurs, l’obligation de l’intermittence du pouvoir et par conséquent de la démocratie.

A vau-l’eau.

D’un autre côté, un autre désappointement, l’état du pays, la notion de travail, de la responsabilité professionnelle, le respect des lois de construction, des lois du code de la route, du respect de l’autre, du respect de la voie publique, la notion de citoyenneté.
Il y a l’impression nette que le pays va à vau l’eau, bien plus qu’une impression pour être réaliste, un constat de chaque instant. Les marchands tout azimut devant chez vous, sur les trottoirs, la voie publique…Les conducteurs et les multiples passe-droits qu’ils s’autorisent…Les administrations désertes…Et la citoyenneté et le civisme dans tout cela ? On argue que toute révolution est suivie de périodes troubles, on en convient, mais n’est-il pas temps en ce milieu de la transition de remettre la pendule à l’heure, de s’astreindre en tout à un comportement respectueux des autres ?
Le Tunisien a souvent bien fait les choses, il a cette belle spécificité d’avoir un pied en Orient et un autre en Occident, positionnement géographique heureux, la Tunisie est ouverte sur les autres, terre d’accueil et de mélange depuis des millénaires, des Berbères, des Phéniciens, des Romains, des Byzantins, des Arabes, des Maures, des Ottomans, des Européens…un mélange qui a gardé ses traces positives en nous. Le Tunisien a de tout temps été accueillant, ouvert, curieux de l’autre, de cette belle curiosité qui consiste à vouloir comprendre l’autre et non l’espionner par le trou de la serrure. Différence s’il vous plaît.
Qu’on ne vienne pas, aujourd’hui, nous faire miroiter une vision monochrome et monotone du pays où on refuse la différence. La Tunisie a souvent eu une ligne assez personnelle et assez libre en tant que pays, c’est ainsi que de la colonisation, qui n’est certes pas la plus belle page de l’histoire du pays, le Tunisien a gardé, entre autres, le parler franco-tunisien ; pour certains, une admiration certaine de l’esprit des Lumières, de la tolérance et de la philosophie…
C’est assurément pour cela que certains pays du monde arabe en ont voulu à la Tunisie de tant de ligne personnelle, de liberté d’être et de penser. Ils en ont voulu à Bourguiba de son avant-gardisme, de son insolence de ton et de sa modernité. La Tunisie pour eux n’a rien à voir avec le monde arabe, c’est comme s’ils étaient propriétaires de la clé principale de l’arabité et du mode arabe. Il n’y a qu’à se rappeler la réaction de l’Egypte quand le siège de la ligue arabe fut déplacé du Caire à Tunis en 79-80 (   bien entendu, il y avait d’autres raisons  ).
Certains vont jusqu’à parler aujourd’hui d’un complet wahhabite et qatari contre la Tunisie. Rien n’est prouvé et il est hors de question de tomber dans des spéculations de bas étage.
Ceci dit, la haine que voue la fameuse chaîne ElJazira à la Tunisie, son dédain et ses nombreuses désinformations sur le pays avant la révolution, durant la révolution et encore aujourd’hui donnent à réfléchir, inquiètent, exaspèrent et enfin poussent à contrer en dénonçant ouvertement cette campagne contre nous, car il s’agit d’une campagne contre nous et non pas uniquement contre Ben Ali comme ils l’avancent et puis Ben Ali est l’affaire des Tunisiens, du droit tunisien, de la conscience politique des masses. Non donc à l’ingérence et aux dollars glissés ça et là, plutôt à droite d’ailleurs.

La femme encore et toujours.

Non, donc, à l’ingérence, non à gommer l’identité tunisienne, à l’uniformiser, à en faire  un-je-ne-sais-quoi sans valeur ajoutée, personnelle. Le Tunisien se doit d’être vigilant, il ne doit pas baisser la garde, il doit veiller à l’équilibre de son pays, il n’a pas d’autre choix que de réussir la transition démocratique. Il doit également aujourd’hui, sous le soleil de plomb du mois de juillet, faire du sur-terrain, sortir de son salon pour aller vers les autres, vers les coins de campagne expliquer aux bonnes gens la nécessité de la vraie démocratie, le danger de ceux qui convoitent leurs voix pour arriver au pouvoir et ensuite, de nouveau, nous imposer le silence. Car nul n’est en droit de nous faite taire.
Les femmes qui sont majoritaires en Tunisie ont du pain sur la planche, les femmes des campagnes, des usines, des villes, des bureaux…toutes doivent comprendre qu’aujourd’hui leurs voix sont cruciales pour leur condition de femme, les études qu’elles ont faites, les responsabilités qu’elles assument, les personnes dont elles sont responsables…Toutes doivent comprendre que leur liberté est menacée, que leurs droits sont dans la ligne de mire, que leur être propre en tant que personne est sur la balance. La femme est une, son histoire est jalonnée d’épisodes malheureux, cela va du refus de sa naissance en tant que femme, à l’obligation de la marier au cousin germain par souci de conserver l’héritage, en passant par la répudiation et autres. Aujourd’hui des voix s’élèvent pour conseiller, sinon décider à la femme de ce que doit être sa tenue vestimentaire, son travail, ses contacts…On parle du rôle de la femme auprès du mari, de son rôle chez lui - la maison de l’époux ! -, de la direction de son regard – le parterre, de préférence – de son rôle de mère…
Nous sommes nombreuses à halluciner. Qui l’eût cru, dans une république, que Bourguiba et d’autres éclairés ont voulu moderne, moderniste, tournée résolument vers l’avant, dans le respect de tous ? Dans toutes les grandes villes de Tunisie, des femmes ont pris le chemin de l’école très tôt, vers le milieu du XXème siècle et bien avant. Certaines ont inscrit leurs noms dans le grand ouvrage de l’Histoire, d’autres ont gardé l’amour des livres et de quelques mots en langue étrangère, certaines encore ont rejoint après une courte scolarisation, les fameuses Dar Maâlma, les fameuses « mederssa » de couture, de broderie, de tissage et autres apprentissages d’antan. Parmi les plus grands conservateurs, les plus grands oulémas de la religion musulmane, certains ont consenti à envoyer leurs filles à l’école en dépit de l’opprobre et des langues déliées. La Tunisie a une belle histoire des femmes, Bourguiba a immortalisé l’émancipation féminine dans ce beau geste d’ôter le voile aux femmes venues l’accueillir en juin 55. Oter le voile, un geste synonyme de libération, de sortie au monde, de liberté, de dépassement de tabous et de complexes millénaires. Ce n’est en rien anti-islamique, l’Islam n’est pas l’Islamisme, l’Islam est religion, besoin de sérénité, souplesse, acceptation de l’autre…L’Islamisme, lui, est folie de pouvoir politique et de domination.
Nous sommes nombreuses à nous sentir très peu concernées par le voile, absolument pas concernées par le voile, en harmonie parfaite avec Dieu – peut-être pas avec les hommes, mais c’est de bien moindre importance. Musulmanes, pratiquantes ou pas d’ailleurs, mais cela est l’affaire de qui au final ? Rassérénées au fin fond de nous-mêmes par une foi inébranlable, un accord avec le Créateur et nous-mêmes, libres du joug des hommes moralement et financièrement, ne consentant à partager la vie que de ceux qui partagent nos idées. Nos mères, souvent, étaient pionnières, elles nous ont balisé à leurs façons le terrain.
Nos pères, souvent, nous ont menées vers le savoir, nous ont portées vers l’apprentissage. Certains nous ont appris la nécessité de nous démettre du carcan du mari, d’échapper à la dépendance financière. On leur voue un culte, on honore leur mémoire et ce n’est pas aujourd’hui qu’on les décevra. Paix à leurs âmes,  ce sont nos seuls tuteurs autorisés, honneur à leur avant-gardisme, à leur confiance en nous, ils nous ont ouvert les portes de la liberté et du savoir, notre volonté et l’école ont sculpté le reste, ont affiné notre regard sur nous-mêmes et sur les autres. Les autres dont on est respectueuses, conciliantes tant que la réciproque est vraie, autrement l’obligation sera de contrer, de se battre, de militer car notre liberté est notre histoire propre et y toucher sera nous atrophier, un geste criminel inadmissible.

Samia Sehili Z.